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exposition

Rap ! Un scratch, un beat... 40 ans de rap français


Disiz – Un scratch un beat un rap (2000)  
Le thème est simple : un scratch, un beat, un rap
JM, tu scratches sur ton beat, et moi, j'm'adapte
J'le dompte, parce que j'suis apte à rapper
Après ça, MC, t'as du mal à m'rattraper
Attends, stoppe la caisse claire
Enlève le kit
Enlève tout

C’est au début des années 1980 que le « Mouvement » natif des block parties new-yorkaises débarque sur le sol français. Danse, graff’, deejaying, rap : le hip-hop s’immisce dans la culture par l’intermédiaire des radios libres et des émissions à succès de l’animateur Sidney, dont la quotidienne « Rapper Dapper Snapper» (Radio 7, 1982-1984) et l’emblématique « H.I.P. H.O.P. », diffusée tous les dimanches de l’année 1984 sur TF1.

Malgré cette prise en charge médiatique, l’attrait pour ce genre nouveau baptisé « R.A.P. » (« Rhythm And Poetry ») en référence à la diction rythmée et l’usage central de la rime qui le caractérisent, reste relativement confidentiel tout au long des années 1980. Il faut attendre une, voire deux décennies, pour que le genre gagne en légitimité dans le paysage musical français, jusqu’à atteindre l’extraordinaire succès populaire qu’on lui connaît aujourd’hui.

 

Cette exposition, en co-production avec Radio France, vous invite à découvrir comment, en l’espace de 40 années seulement, le rap est passé successivement du statut de musique réservée à quelques aficionados, à un mode d’expression de la révolte des jeunes des quartiers populaires, à un courant artistique majeur dont la multiplicité de sous-genres et d’incarnations actuelles atteste de la vitalité. Par Zoé Fernandez avec le concours de Joséphine Laffaille, Romain Couturier et Virginie Vincienne de la discothèque de Radio France.

Le monde de demain (1983-1992)


Suprême NTM – Le monde de demain (1991) 
Je ne suis pas un leader, simplement le haut-parleur
D'une génération révoltée prête à tout ébranler
Même le système qui nous pousse à l'extrême
Mais NTM Suprême ne lâchera pas les rênes
Épaulé par toute la jeunesse défavorisée
Seule vérité engagée : le droit à l'égalité
Le voilà de nouveau prêt à re-déclencher
Une vulgaire guerre civile et non militaire
Y en a marre des promesses, on va tout foutre en l'air

Le monde de demain quoi qu'il advienne nous appartient
La puissance est dans nos mains alors écoute ce refrain...

New York, fin des années 70. Une culture neuve prend forme au bas des murs en briques graffés des quartiers noirs ; le Queens, le Bronx, Harlem et Brooklyn se meuvent au rythme des block-parties, ces fêtes de quartier organisées en pleine rue sous la supervision d’un disc-jockey (« DJ ») et d’un maître de cérémonie (« MC ») employés à maintenir l’effervescence générale. L’art du deejaying s’y développe avec la technique du scratch et la diffusion répétitive de breaks (coupures lors desquelles le tempo, le beat, est mis à nu) issus de tubes soul, latinos ou funk propices à la danse. Les MC étoffent quant à eux leurs interventions de blagues et historiettes mises en rimes, qu’ils déclament à même la musique : le rap est né.

 

Le mouvement se propage via le célèbre Rappers’ Delight (1979) du trio Sugarhill Gang, premier morceau de hip-hop jamais enregistré.
D’autres pionniers suivront : Grandmaster Flash & The Furious Five (The Message), the Treacherous Three (Feel the Heartbeat) ou T-Ski Valley (Catch the beat). Bernard Zekri, journaliste français installé à New York, assiste en direct à l’émergence de ce genre nouveau qu’il souhaite importer en France par le biais du label Celluloïd : « Une sale histoire » (Change the beat, 1982) par la rappeuse Beside, apparaît comme le premier titre de rap interprété en français.
Dans la foulée naît aussi le New York City Rap Tour (1982), une tournée française d’artistes américains à partir de laquelle se dessinent les codes du courant « hip-hop » dans l’Hexagone : musique, vêtements, graffiti, et surtout danse avec l’avènement du popping et du smurf. Des cercles de B-boys et B-girls (danseurs de breakdance) investissent bientôt les places du Trocadéro, du Centre Pompidou, ou de l’Opéra à Lyon, mettant au jour un engouement d’abord chorégraphique pour le mouvement.

A la fin des années 1980, le hip-hop semble s’essouffler tandis que les radios libres s’emparent du phénomène. Les nouveaux passeurs s’appellent Phil Barney (Carbone 14), Dee Nasty (Radio FG, Carbone 14, RDH puis Nova), Lionel D. (Nova) mais aussi Sidney (Radio 7 et TF1), Sophie Bramly (MTV Europe) et Olivier Cachin (M6). C’est sur leurs ondes qu’éclosent les premiers raps francophones, ceux de Ministère A.M.E.R., Destroyman et Jhonygo, Assassin, Little MC, Tonton David, Démocrates D. et EJM.
En 1990, le rap français déferle avec une première compil (Rapattitude), un premier album (Y a pas de problème de Lionel D.), un single à succès (Bouge de là de MC Solaar) et un vidéo-clip mythique signé S. Sednaoui pour le Monde de demain de NTM.

Prose combat (1993-2002)


MC Solaar – Prose combat (1994) 
Passe-moi le mic et capte ces mots
Qui sème le vent récolte le tempo
Mon cerveau est mon stylo le moteur
Paix au système D, respect à MacGyver

Quand, avec une allumette il fait un catamaran
C'est marrant et je rie comme Fanny Ardant
Occasionnellement pourtant mon bic se bat
Avec l'art subtil du prose combat

Quelques années seulement après la Marche pour l’égalité et contre le racisme (ou « Marche des beurs ») de 1984, initiée en réponse aux affrontements survenus entre jeunes et policiers dans le quartier sensible des Minguettes à Vénissieux à l’origine de la création de SOS Racisme, et alors que les nouvelles lois Pasqua-Debré durcissent les conditions de vie des étrangers en France, l’affaire Malik Oussekine ravive la fureur des banlieues. Les jeunes des cités issus de l’immigration sont en colère ; le rap s’impose comme un important medium de protestation : Lionel D. « Pour toi le beur » (1990), Assassin « L’Etat assassine » (1995), IAM « Nés sous la même étoile » (1997), Oxmo Puccino « Peur noire » (1998).
Loin de l’insouciance des premiers rappeurs-danseurs et « jongleurs de mots », le genre se veut à présent conscient, révolté, politiquement engagé, dans la lignée des textes incisifs des noirs-américains de Public Ennemy et N.W.A.

 

Autre français installé à New York, Thibaut de Longeville fait en 1994 la rencontre de Iain McNee, alias le « Roi de la cassette » (« Tape King »), plus important diffuseur de mixtapes de hip-hop. Instrument incontournable de la diffusion du rap aux Etats-Unis, le concept fait son apparition en France via la société Passe Passe. Cinq mixtapes y seront produites par mois entre 1994 et 2004, pour le plus grand plaisir des amateurs de nouveautés venues d’Outre-Atlantique. Prenant modèle sur la compilation Power Cypha (1996) du DJ Tony Touch, réunissant sur 50 pistes les 50 meilleurs rappeurs américains de l’époque, le label sort son Opération : Coup de Poing (1997) avec en invités les collectifs Time Bomb, Mafia K’1 Fry, et la Fonky Family.

Les années 1990 sont aussi celles des premiers grands succès commerciaux, avec deux premiers disques de platine pour IAM (L’école du micro d’argent, 1997) et Doc Gynéco (Première consultation, 1996) et de nombreux contrats signés chez les majors de l’industrie musicale (Suprême NTM et Lionel D. chez Sony Music, EJM chez BMG, IAM chez Virgin, MC Solaar et Assassin chez Polydor). Les cadences de vente s’emballent aussi grâce à l’émergence de la radio Skyrock et de son émission « Planète Rap ».
Des superstars du genre se démarquent, parmi lesquelles Stomy Bugsy, Passi, NTM, Akhenaton, Rohff, Disiz la Peste et Lunatic.

Ma France à moi (2003-2012)


Diam’s – Ma France à moi (2006) 
Ma France à moi elle parle fort, elle vit à bout de rêves
Elle vit en groupe, parle de bled et déteste les règles
Elle sèche les cours, le plus souvent pour ne rien foutre
Elle joue au foot sous le soleil, souvent du Coca dans la gourde
[…]
C'est pas ma France à moi cette France profonde
Celle qui nous fout la honte et aimerait que l'on plonge
Ma France à moi ne vit pas dans le mensonge
Avec le cœur et la rage, à la lumière, pas dans l'ombre

Les années 2000 se matérialisent par l’arrivée en France du gangsta rap (ou “rap bling-bling") dix ans après son apogée aux USA. Ce rap, né dans les ghettos, est marqué par des figures telles que 2Pac ou The Notorious B.I.G (assassinés depuis), ainsi que des rappeurs comme Dr Dre et Snoop Dogg. Récit d’un quotidien de luxure et de violence : sexe, drogue, argent, meurtres, haine des policiers et du système, proxénétisme... En France, citons Alpha 5.20 “Bien dans le four”, Rohff “Message à la racaille”, Ol Kainry & Dany Dan “Crie mon nom 2005”...

 

Dérivé du gangsta rap et d’une certaine idéalisation du bling-bling, le courant egotrip se développe en parallèle, représenté en France par Booba (Ouest side) ou la Fouine (Aller retour). Cette mégalomanie gonflée à la testostérone se base sur l’accumulation de punch-lines et la déstructuration du discours pour flatter l’ego de l’artiste, sans réelle revendication politique ou sociale.

Cependant, les “rap dur” (hardcore) et “rap conscient” (rap politique) ne perdent pas en puissance. Développés par des labels indépendants, pour éviter le formatage, ces esthétiques évoluent notamment avec la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés après avoir fui la police en 2005. Le rap hardcore se définit par une écriture crue et trash qui rejette la société : Monsieur R “FranSSe” ; Sniper “La France”, Sinik “Autodestruction” ; tandis que le rap conscient moins fataliste reste porteur d’un message politique et revendicatif : Kery James “Banlieusards”, Rocé “Je chante la France”, Keny Arkana “La rue nous appartient”.

Cette décennie est marquée par le déclin du sample et des scratchs au profit de compositions originales influencées par les musiques électroniques. De nouveaux logiciels remplacent peu à peu les samplers. Les beats s’accélèrent et sont plus saccadés ; le rap de rue quant à lui reste minimaliste, annonçant les prémices de la drill (trap sombre).

On verra bien (2013-2023)


Nekfeu – On verra (2015)  
Ce monde rend fou, tout le monde est en guerre han, han
Plus on s'renfloue et moins on voit clair han, han
Quand t'as pas d'argent, dans ce monde, t'as pas d'droit han, han
[…]
On verra bien ce que l'avenir nous réservera
On verra bien, vas-y, viens, on n'y pense pas
On verra bien ce que l'avenir nous réservera
On verra bien, on verra bien

Ces dix dernières années, le rap français est à la fois une juxtaposition et une fusion de tous les sous-genres du hip-hop, mais aussi des musiques urbaines populaires (variété, RnB, pop-rock). Dès le milieu des années 2010, l'auto-tune, logiciel qui corrige la voix, se répand et touche tous les courants musicaux. Ainsi, même les courants underground du rap sont teintés d’une nouvelle esthétique vocale.

 

Rap conscient, ego trip, gangsta rap se côtoient, et les rappeurs ne se cantonnent pas à un style :  on retrouve le boom-bap des années 80-90 (Benjamin Epps, Hugo TSR), ainsi que des esthétiques nouvelles telles que la trap et ses dérivés. La trap se caractérise par ses rythmes lents, chaloupés, teintés de charley (cymbales) et de basses saturées : Dosseh (Vidalo$$a), Niro (Sale môme), Lacrim (Corleone). Représentant la trap sombre (ou drill), des artistes comme Kaaris, Gradur ou Kalash Criminel poussent la caricature de l’egotrip et du rap de rue hardcore. Alkpote tire le trait vers le comique “Amour (Feat. Philippe Katerine)”, tandis que les marseillais Jul “On m’appelle l’OVNI” et Naps “La kiffance” s’inspirent d’eurodance et de hip-house (rythmes très rapides et sons électroniques). D’autre part, un mouvement plus planant déferle avec PNL et le cloud rap (“Le monde ou rien”).

Le rap conscient est toujours aussi présent, défendu par des artistes venant aussi de milieux sociaux plus favorisés : d’Orelsan “Basique” à Médine “Heureux comme un arabe en France” en passant par Alpha Wann “Ça va ensemble” et Gaël Faye “Irruption”, donnant au rap une dimension plus large.

Ces dernières années, dans le sillage de Diam's, le rap féminin trouve sa place. Citons Aloïse Sauvage, Doria, Chilla ainsi que le tremplin Rappeuses en Libertés qui promeut les artistes de demain.

Du fait de cette démocratisation, aujourd’hui le rap est la musique la plus diffusée et vendue dans l’hexagone. Jul, PNL, Ninho, Damso, Nekfeu, Booba, Niska, Drake, Maître Gims et Orelsan sont les dix artistes les plus écoutés en France ces dix dernières années.