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Francis Poulenc


Disparu le 30 janvier 1963 à l’âge de 64 ans, Francis Poulenc fut le père d’une œuvre riche et paradoxale, née d’une vision avant-gardiste autant que d’un profond respect des grands maîtres de la composition musicale, d’une grande exigence qui n’a pour autant jamais nui à son accessibilité.

Durant toutes les époques de sa vie, il ne s’est jamais laissé enfermer dans un exercice, préférant au contraire laisser son génie divaguer entre musiques symphonique, de chambre, lyrique, chorale, sacrée ou pour piano seul, puisant son inspiration tant chez les poètes classiques, les contemporains, ses pairs que dans une foi retrouvée. Il fut capable de légèreté et de gravité, d’euphorie et de mélancolie, affirmant un style personnel bien qu’on lui reconnaisse de s’inscrire dans la lignée des Satie, Stravinsky, Ravel, Prokofiev, Debussy ou Chabrier.

Ainsi a-t-il évité d’être associé à un style, une école, tout en ne pouvant être lui-même défini par des périodes précises. Mélodiste hors pair, il connut de son vivant un succès qui ne cessa de s’amplifier après sa mort. Soixante ans plus tard, son héritage se découvre encore, riche de près de deux cents mélodies ou chansons, la plupart accompagnées au piano, les autres par un orchestre de chambre ou un grand orchestre. « La Fraîcheur et le feu » en un seul homme selon la merveilleuse formule de Paul Eluard.

  « Francis Poulenc est la musique même, je ne connais pas de musique plus directe, plus simplement exprimée et qui va droit au but avec tant de sûreté. » Darius Milhaud, extrait d’Études (éd. Claude Aveline, 1927)  

UNE FAMILLE AISÉE, LA MUSIQUE COMME UNE ÉVIDENCE


Francis Poulenc naît le 7 janvier 1899 à Paris au sein d’une famille bourgeoise catholique non pratiquante. Son père Emile est un industriel, fondateur des établissements pharmaceutiques qui portent son nom. Issue d’une lignée d’artisans, sa mère Jenny lui enseigne le piano dès ses cinq ans en lui faisant travailler des œuvres de Mozart, Schubert ainsi que des airs à la mode. Elle l’initie aussi à la poésie, au théâtre et aux arts plastiques.

Quelques années plus tard, son oncle Marcel, frère de Jenny, l’emmène régulièrement à l’Opéra-Comique et des concerts d’avant-garde où il découvre Igor Stravinsky, un choc pour un artiste qu’il aimera toute sa vie.

Aux études de musique au conservatoire auquel il commence à aspirer, son père lui impose toutefois un cursus traditionnel qu’il suivra au lycée Condorcet à Paris. Adolescent, il prend des cours de piano avec Ricardo Viñes qui lui enseigne à la musique de son temps, celle de Stravinsky, Claude Debussy et Erik Satie. Il lui fait aussi rencontrer Maurice Ravel, Manuel de Falla, Jean Cocteau, Marcelle Meyer...

Le jeune Francis doit affronter un double drame, perdant sa mère en 1915 puis son père deux ans plus tard. Il s’installe chez sa sœur Jeanne. Inspiré par un recueil de poésies trouvé chez un bouquiniste, écrit par un soi-disant auteur du Libéria, il compose sa première œuvre en cinq mouvements pour voix et ensemble instrumental, la Rapsodie nègre, qui lui vaut d’être rejeté du Conservatoire de Paris. Elle attire toutefois l’attention de Stravinsky, qui lui permet de signer ses œuvres auprès des éditions Chester où sont publiés Toréador, sur des poèmes de Jean Cocteau, la Sonate pour deux clarinettes, la Sonate pour piano à quatre mains, et les trois Mouvements perpétuels.

Je ne suis pas un musicien cubiste, encore moins futuriste, et bien entendu pas impressionniste. Je suis un musicien sans étiquette
Francis Poulenc, extrait d’une lettre du 6 septembre 1919  

AU CŒUR DU PARIS ARTISTIQUE


À Paris, Poulenc devient un familier du milieu littéraire, en particulier en fréquentant La Maison des Amis des Livres, librairie du quartier de l’Odéon tenue par Adrienne Monnier. Il y fait la connaissance de Louis Aragon, André Breton, Jean Cocteau, Max Jacob, Paul Eluard et Guillaume Apollinaire. De ce dernier, il mettra d’ailleurs en musique Les Mamelles de Tirésias sous forme d’opéra bouffe ainsi que Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée. Il devient alors proche de Cocteau, Jacob et Raymond Radiguet.

En 1920, il écrit Cocardes sur un poème de Cocteau, œuvre inspirée des fêtes sur les bords de Marne, dont la création au Théâtre des Champs-Élysées remporte un franc succès. Après une demande d'adhésion en qualité de compositeur formulée en septembre 1921, il devient sociétaire définitif de la Sacem le 13 avril 1922.

Il se joint au groupe des Six, un collectif né sous l’impulsion de Cocteau et Satie, qui compte dans ses rangs Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud et Germaine Tailleferre. Poulenc y reste le temps de deux créations avant de suivre durant quatre années des cours de composition, cette fois sous la houlette de Charles Koechlin, pour un programme axé sur la technique du contrepoint et l’écriture chorale, vite mis en application pour son premier ballet, Les Biches.

En 1926, Poulenc monte un projet fou intitulé Les Chansons Gaillardes, un concert de huit chansons paillardes interprétées par le baryton Paul Bernac. Pour la suite de ce qui deviendra une collaboration privilégiée, Poulenc lui composera une centaine de musiques et l’accompagnera au piano lors de ses tournées à travers le monde.

L’acquisition d’une résidence secondaire dans un village de Touraine à partir de 1927 permet à Poulenc de s’isoler afin de travailler au calme. Dans la foulée, il compose le Concert champêtre pour clavecin (celui de Wanda Landowska) et orchestre, ainsi que les Nocturnes, Aubade ou encore le Concerto pour deux pianos.

LA FOI COMME UNE RÉVÉLATION


Durant les années 30, Poulenc perd plusieurs proches, dont son amie d’enfance Raymonde Linossier, et le compositeur et critique musical Pierre-Octave Ferroud. Concomitant à ces disparitions, un pèlerinage au sanctuaire de la Vierge Noire à Rocamadour agit comme une révélation et marque un retour à la religion catholique qu’il avait délaissée à la mort de son père. Ce regain de spiritualité marque son œuvre à venir, en tout premier lieu les Litanies à la Vierge Noire, pour chœur de femmes et orgue, qu’il compose en sept jours, puis sa Messe en sol majeur pour chœur mixte a cappella ainsi que les Quatre motets pour un temps de pénitence.

La seconde guerre mondiale vient bousculer le cours de sa vie. Mobilisé à Bordeaux puis démobilisé à Brive-la-Gaillarde, il continue à travailler, écrivant le texte et la musique du ballet Les Animaux modèles, dans lequel il réussit à faire entendre un passage de la chanson Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine que les officiers allemands ne reconnurent pas. Sa cantate Figure Humaine de 1943 doit toutefois attendre la fin de la guerre pour être jouée à Londres à cause des mots de « Liberté » qui la concluent, un poème que son auteur Paul Éluard avait écrit en 1942 comme une ode à la liberté face à l'occupation allemande. En 1945 aussi, il compose le conte musical L’Histoire de Babar, le petit éléphant à la demande de ses jeunes nièces.

La Libération ouvre enfin à Poulenc des perspectives au-delà des frontières de l’Hexagone. Après que le BBC Philharmonic Orchestra, dirigé par Roger Désormière, créé sa « Sinfonietta », il embarque dans la foulée sa pièce orchestrale outre-Atlantique où il fait connaissance avec la soprano Leontyne Price et le compositeur Samuel Barber. Accompagné de Pierre Bernac, il se produit ainsi à New York, Chicago, Los Angeles, San Francisco, ainsi qu’au Canada. Il retournera au début des années 60 en Amérique du Nord pour les créations des Mamelles de Tirésias et de La Voix humaine.

UNE FIN EN MODE MAJEUR


Avec Quatre petites prières de Saint François d’Assise, Stabat Mater et Quatre Motets, Poulenc laisse toujours plus entrer la foi dans ses sources d’inspiration. « J'ai là, je crois, trois bonnes œuvres religieuses. Puissent-elles m'épargner quelques jours de purgatoire, si j'évite de justesse l'enfer » assure-t-il non sans humour. Depuis cette révélation en 1936, celle-ci ne cesse de transcender son processus créatif sans pour autant influer sur son écriture musicale,

En 1953, il entame un travail sur ce qui constituera l’une de ses œuvres majeures, Dialogue des carmélites, un opéra en trois actes sur un texte adapté de Georges Bernanos. Créée en italien à la Scala de Milan, l’œuvre, initialement commandée par les éditions milanaises Ricordi, voit le jour en français à l’opéra Garnier en 1957 puis à San Francisco avec Leontyne Price. Après tout le temps et la passion investis dans sa réalisation, son succès sonne comme une juste récompense aux yeux de Poulenc.

La soixantaine approchant, le compositeur ne compte pas en rester là. Il se lance dans la création de La Voix humaine, une tragédie lyrique d’après un texte de Cocteau datant de 1930. Elle est créée le 6 février 1959 à l’Opéra Comique, avec une mise en scène signée de Cocteau lui-même, et Denise Duval comme interprète principale. L’année suivante, l’œuvre est portée au prestigieux Carnegie Hall de New York.

L’Amérique continue de tendre les bras à Francis Poulenc puisque début 1961, Gloria, son grand motet pour soprano solo, chœur mixte et orchestre, apparait simultanément sur les scènes de Boston et de Paris.

Pour ses deux dernières compositions, la Sonate pour hautbois et piano et la Sonate pour clarinette et piano, il revient à la musique de chambre mais n’assistera pas à ses créations puisqu’il succombe à une crise cardiaque le 30 janvier 1963, à son domicile parisien du 5 rue de Médicis où il vit depuis 1947. Selon ses vœux, ses funérailles ont lieu dans la plus grande simplicité, avec Jean-Sébastien Bach comme seule musique. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise, où il repose aux côtés de sa nièce Brigitte, fille de sa sœur Jeanne, disparue quelques mois après lui.

BIBLIOGRAPHIE

Francis Poulenc de Hervé Lacombe (Fayard, 2013).

Francis Poulenc et ses mélodies de Pierre Bernac (Buchet Chastel, 2014).

Du langage au style, singularités de Francis Poulenc de Lucie Kayas et Hervé Lacombe (Société française de musicologie).

L'auteur

Pascal Bertin

Journaliste spécialisé musique, Pascal Bertin a travaillé au magazine Les Inrockuptibles. Freelance depuis 2010, il collabore au mensuel Tsugi et au cahier musique de Libération, a réalisé de nombreuses interviews pour les sites Noisey et i-D de Vice France ainsi que des chroniques sur France Inter et le Mouv’. Il est co-auteur du Dictionnaire du Rock, auteur du documentaire La Story d’Eminem (CStar), conseiller sur le documentaire Daft Punk Unchained, (Canal+) et co-auteur d’épisodes de la série d’animation Tout est vrai (ou presque) pour Arte.

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