X
interstitiel

exposition

Daniel Balavoine

Un artiste engagé et visionnaire


Il aurait eu soixante-dix ans ce 5 février 2022 … Qu’importe l’âge. Il a trente-trois ans pour l’éternité. C’est « notre chanteur » pour toujours. Il est dans nos têtes, nos soirées, nos répertoires, nos pensées.

La Sacem a souhaité lui rendre hommage, pourtant il n’aimait pas beaucoup être « la » star Daniel Balavoine. Considérons alors cette introspection, ce passage dans la vie de « Daniel » comme la simple envie de nous rappeler à quel point, quand nous écoutons un très bon chanteur-auteur-compositeur, nous ne l’oublions pas de sitôt… 

Il n’aimait pas beaucoup parler de son passé, de son enfance : « Je n’aime pas les souvenirs. D’ailleurs, ils sont souvent faux. La mémoire ne restitue que ce que l’inconscient veut bien passer. Elle déforme, elle triche, elle ment ». 

Offrons-nous un plaisir égoïste et passons un instant avec lui. Remémorons-nous ce personnage engagé, ses chansons qui ne vieillissent pas, ces/ses mots qu’il assemblait savamment et poétiquement donnant naissance à des textes profonds et marquant plusieurs générations… Orelsan, Youssoupha ou Soprano, entre autres, bien connus des générations actuelles, n’ont d’ailleurs pas hésité à s’exprimer lors d’un documentaire télé en hommage à l’artiste. Chacun raconte « l’influence Balavoine » ou un souvenir marquant de leur vie lié à l’artiste, pourtant très jeunes lorsque Daniel nous a quittés. 

Consultez l'intégralité des archives Sacem liées à Daniel Balavoine

Un enfant de caractère


Daniel Balavoine naît le 5 février 1952 à Alençon en Normandie. Son père était ingénieur des Ponts et Chaussées, sa mère, issue d’une grande famille aristocratique du Sud-Ouest, s’occupait de ses sept enfants. Son enfance se passe essentiellement entre Bordeaux, le Pays Basque et les Landes.

Petit dernier d’une belle fratrie, 2 sœurs, 4 frères, il était déjà, selon les propos rapportés régulièrement par sa famille, d’un caractère assez affirmé. Quant à se dévoiler, il estimait qu’un chanteur choisissait ce métier pour dire des choses « autrement » qu’en s’épanchant lors d’interviews sur des questions personnelles en tout genre. Les textes de ses chansons parlaient souvent de choses intimes, il se livrait déjà bien assez ainsi, disait-il.

Quelques détails de son enfance sont donc rapportés par les ainés et leurs souvenirs communs avec le « petit dernier » qu’ils aimaient faire râler et qui le leur rendait bien ! Pour se faire entendre, par exemple, il s’enfermait aux toilettes en chantant criant et tapant sur différents objets tel un orchestre, jusqu’à gagner et les faire plier.  Même si ces épisodes s’apparentaient à de véritables concerts, il n’était pourtant pas question de devenir chanteur. Il n’y aspirait pour ainsi dire pas du tout. Il voulait être « député » ! Ça en dit long sur son engagement futur et les souvenirs d’émissions télévisées marquées par un Balavoine ne mâchant pas ses mots. Il voulait suivre des études de droit, poursuivre par sciences politiques et pouvoir représenter sa région, faire de la politique « locale », seule façon selon lui d’agir et être au plus près des citoyens.

Mai 68, premières déceptions ?


C’est en tant qu’étudiant à Pau qu’il veut motiver et faire bouger la jeunesse locale. 

Mai 1968, contexte politique idéal pour se lancer et faire entendre ses revendications ! Mais c’est plutôt le temps des premières déceptions … Il reproche aux leaders politiques du moment, ceux-là même qui lui ont fait croire et espérer, de se comporter en rock-stars et lutter plus pour leurs aspirations politiques personnelles que pour celles des citoyens, de qui ils se revendiquent pourtant « porte-paroles » : «  Les Alain Geismar, Jacques Sauvageot, Daniel Cohn-Bendit, etc., faisaient des tournées en provinces, comme les chanteurs, quoi ! On se faisait une image d’eux absolument extraordinaire, et puis, finalement, quand on les voyait arriver, on n’entendait que des conneries ! » 

Devenir chanteur n’est donc pas un projet de départ. Il ne commence la musique qu’à dix-sept ans.  A bien y réfléchir ce n’est pas si éloigné que cela de « député ». Être un artiste public et populaire est un excellent moyen de communication pour se faire entendre, chanter le quotidien des français, aborder des sujets de société… Et profiter de sa notoriété au sens noble du terme, pour porter des causes qui lui tiennent à coeur. Daniel Balavoine se confiant au micro de France Inter en 1984 sur le point de départ : « Mon frère faisait médecine et avait une guitare, et moi j’ai arrêté mes études et pris sa guitare ».

C’est bien l’image que renvoie Daniel Balavoine, celle d’un artiste engagé par des sujets populaires, Mon fils ma Bataille par exemple, proches de tout un chacun et qui ne vieillissent que trop peu, ou pour certains toujours d’actualité, comme l’Aziza. Comme avec Coluche, son grand copain d’alors, tous deux voulaient déplacer des montagnes, trouver des solutions à de nombreux problèmes sociétaux, combattre des inégalités. Ils ont mené bien des luttes, la réalité n’est surement pas celle qu’ils imaginaient. 

Un artiste en devenir


Daniel Balavoine est appelé par un groupe de pop-rock Présence, relativement célèbre dans le milieu afin de remplacer le chanteur. Il commence sa carrière ainsi, parmi les rebelles musicaux du moment.

Il était difficile d’imaginer un Balavoine emprunter la voie « yéyé », mode de l’époque et très loin de l’idée qu’il se faisait de la musique. Ni se laisser gouverner par une maison de disque ou un directeur artistique qui, selon lui, manipule ses artistes tels des pantins. Déjà chez « Vogue » avec son groupe, il y reste pour enregistrer son premier album solo, malgré l’échec cuisant de l’album conçu avec le groupe. Déçu, il quitte la maison de disque et veut exister par lui-même.

Correspondre ou répondre aux attentes et désidératas d’une maison de disque ? Très peu pour lui. Il confiera au journaliste Daniel Varrod : «  S’il y a bien une chose à retenir de ces années-là, c’est que, si j’ignorais encore ce que je voulais être ou faire , grâce à l’expérience Vogue, je savais précisément ce que je ne voulais plus être… ». 

C’est en tant que choriste qu’il continue sa carrière, avec son frère Guy. Ils cartonnent.
Ils se retrouvent tous deux choristes d’un Patrick Juvet en quête de renouveau. Lors de répétitions pour un gala auquel Juvet souhaite participer, la star aux cheveux blonds peine à trouver sa place, sa voix, ses mouvements… Un jeune choriste en fond, déjà impatient et sans retenue aucune, n’hésite pas à hurler : « Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? ». Juvet, ahuri, se retourne et écoute tous les conseils donnés par un (jeune) Balavoine qui a déjà tout compris du métier.
De cette audace, une amitié s’installe. Pour son prochain album, Juvet lui fait une proposition tout à fait inhabituelle (et toujours aussi peu commune aujourd’hui) : enregistrer un des quatre titres écrits par Daniel. C’est ainsi que dans l’album Chrysalide de Patrick Juvet, la chanson Couleurs d’Automne est écrite et interprétée par Balavoine lui-même. Sacré tremplin qu’il n’oubliera jamais. 

De cette période avec Patrick Juvet s’ensuit une nouvelle rencontre, et pas des moindres.
Léo Missir, directeur artistique chez Barclay (maison de disque d’Eddy Barclay connu pour faire la pluie et le beau-temps musical) entend ce « choriste-chanteur » et croit fort en son potentiel.
Bien que jeune artiste en devenir, il est déjà réputé pour n’être ni facile, ni enclin aux courbettes. Léo Missir insiste pour le rencontrer et lui faire une proposition. La réponse de Balavoine est directe : « Écoutez, c’est très simple. Je veux bien travailler avec vous, mais si vous me laissez la liberté totale de mener à bien ce que j’ai envie de faire ! Vous ne vous occupez de rien, je décide de tout artistiquement, je veux enregistrer dans les studios et avec les musiciens de mon choix… Ce n’est pas tout : je veux un contrat pour trois albums ferme, avec la publication d’un 30-cm par an… ». La messe est dite.

Starmania, la révélation


 
 Daniel Balavoine et France Gall dans Starmania, en 1979, Paris © Urli/Stills/Gamma
 Daniel Balavoine et France Gall dans Starmania, en 1979, Paris © Urli/Stills/Gamma

De quoi intriguer certains et pas des moindres… puisque Michel Berger et France Gall, alors en quête d’un artiste pour un rôle dans l’opéra rock Starmania, le repèrent lors de ses passages à la télévision et savent immédiatement : Johnny Rockfort, ce sera « lui ». 

Ce rôle de rebelle dépasse la fiction, incarné par un Balavoine empreint des mêmes désirs, mêmes envies : une jeunesse qui veut être heureuse, vite, et vivre dans un monde dans lequel elle a -enfin- sa place.

Le thème de la chanson Quand on arrive en ville est en correspondance totale avec la personnalité et les idéaux de l’artiste.

Cette comédie musicale est un véritable tremplin pour Daniel Balavoine et scelle une profonde amitié avec Michel Berger.

La dernière chance


Et ce fameux troisième album pour lequel il a signé chez Barclay, qu’en est-il ? C’est en 1978 que Daniel Balavoine l’enregistre. C’est un peu l’album de la « dernière chance » … Il le sait. Léo Missir aussi.

C’est avec cette pression que Daniel écrit Le Chanteur, en une heure, au studio d’enregistrement, quand tout le monde part diner et qu’il reste seul pour trouver « le » tube.
C’est l’histoire d’un chanteur en trois étapes : un jeune qui se présente et débute dans la chanson, puis connait un énorme succès au point de se laisser déborder, pour finir ringard et dépassé, refusant de voir sa triste réalité. Quand Léo Missir arrive, stressé, pour écouter les quelques enregistrements de la dernière chance, le titre l’impressionne ! Les paroles sont d’une maturité étonnante. Encore jeune et loin de la carrière du chanteur de la chanson, c’est pourtant avec une parfaite justesse qu’il décrit le succès fulgurant de cet Henri jusqu’aux méandres d’une fin de carrière sans gloire. 

Le 45 tour est enregistré, en face B au départ… c’est aux radios de faire relai, et par là même, la pluie et le beau temps d’un artiste.
C’est grâce à la prise de risque de Pierre Lescure, alors animateur sur Europe numéro 1 (devenu Europe 1) et Monique Le Marcis, directrice artistique de RTL, que l’on doit la diffusion de cette chanson. Car personne n’y croit, ni ne veut la passer à l’antenne. Sur Europe numéro 1, malgré l’opposition de l’équipe, Pierre Lescure, lui, il sait. Et Monique Le Marcis menace de démissionner si on ne passe pas cette chanson sur les ondes de RTL !

Daniel Balavoine sera reconnaissant quelques années plus tard lors d’un déplacement un peu compliqué en province, Monique Le Marcis se souvient : « Quelques années après, devenu vedette, il avait accepté de se produire dans une de nos émissions en province, une galère. J’étais venue l’accueillir. Quand un artiste se déplace, moi je trouve ça normal. Il m’a dit : Je suis venu à cause d’une certaine lettre de démission que vous avez écrite… ».

Un rockeur avant tout


Daniel Balavoine se sent « enfin » légitime. Il trouve sa place dans le paysage musical français. Mais une place qu’il ne veut qu’à contre-courant. Il s’envisage comme un chanteur de rock et non de « variété ».
Il s’en défend régulièrement. Invité dans l’émission « Les enfants du Rock » en 1984, graal tant espéré, Daniel justifie à travers un choix d’images, ou des mots, qu’il appartient bien à ce style qu’il admire tant. Sa voix, organe précieux dont il dispose lui permettant des prouesses techniques peu communes pour une voix masculine, lui est pourtant souvent reprochée…

Dès le départ Eddy Barclay ne s’en cache pas, il ne croit absolument pas en cette voix haut-perchée ou « féminine ».
Daniel n’hésite pas durant l’émission à ironiser et se justifier : « Dans le milieu de la musique rock en France, ce qui est très rigolo, c’est que tant que les artistes sont anglo-saxons, s’ils ont des voix aiguës, ce n’est pas grave. Bowie a chanté haut bien avant moi. Les Beatles avaient des voix particulières. Les chanteurs de Queen, Supertramp ou Police chantent très haut. Quand c’est en anglais ça va. Ça n’atteint pas à la virilité française. Il faut arrêter tous ces trucs-là.»

Je suis ce que je suis, j'ai la voix que j'ai. La musique rock ne se juge pas là-dessus. Le rock c'est la sueur et peu importe la manière dont on transpire.
Daniel Balavoine, 1984.

Ce que l’on peut incontestablement juger de rock chez Daniel Balavoine c’est ce génie, cette audace, cette avance qu’il aura su avoir sur son temps.
La technologie, l’électronique le fascinent. Il va plus loin dans l’investissement personnel, la production. Il explore, s’implique, teste, joue avec des sons, s’entoure de nouvelles machines, d’ordinateurs… C’est un visionnaire !
L’intro de la chanson Vivre ou Survivre en est un parfait exemple, un savant mélange de rock-électro.
Dans le morceau Tous les cris des SOS, Daniel Balavoine use de sample, s’enrichit d’un nouveau clavier appelé Fairlight, avec lequel il composera d’ailleurs l’album Sauver l’amour, véritable réussite, succès incontesté et encore très contemporain. 

Le Paris-Dakar


Ne pas évoquer le Paris-Dakar en parlant de Daniel Balavoine, reviendrait à peu près à nier l’existence du soleil. Non pas pour évoquer cette fin tragique de 14 janvier 1986, nous privant à tout jamais d’un génie musical. Mais rappeler une nouvelle fois à quel point l’engagement n’était rien d’autre que son moteur quotidien.

Il y participe une première fois en 1983, puis en 1985 et enfin en 1986, nous laissant un goût amer. S’il ne cache pas sa passion pour l’automobile et les sensations qu’offrent un rallye, ce ne sont pas les uniques raisons de sa participation. Ne l’oublions pas, Daniel était un engagé, un vrai, celui qui ne fait rien au hasard, rien sans but ni combat à mener pour sauver le monde ou défendre une cause qui lui tient à cœur.

Lors du premier rallye en 1983, il découvre une Afrique qu’il n’imaginait pas tant en souffrance. Il profite des différentes étapes pour aller à la rencontre des populations, parler, échanger. Lors du second rallye de 1985, il crée une organisation « Les Paris du Cœur » : pourquoi ne pas profiter du Paris-Dakar pour venir en aide à ces populations démunies, leur apporter le nécessaire lors d’étapes et réfléchir à des solutions améliorant leur quotidien. Naît l’idée d’installations de pompes hydrauliques, donnant accès à l’eau à des villages complètement reculés.

Mais qui davantage que Daniel Balavoine peut résumer au mieux « son » Paris-Dakar : « Au début, les journalistes de la presse automobile sont venus voir la bête curieuse : ils me demandaient si je faisais ça pour la pub. J’ai dit et je maintiens orgueilleusement que je n’ai pas besoin de ça ! Et qu’en plus, si vraiment j’avais besoin de faire un coup d’éclat pour vendre des disques, j’aurais plus vite fait de montrer mon cul sur la place de l’Étoile que d’aller m’emmerder pendant vingt-jours dans le désert ! » Les enfants du Rock, 14 septembre 1984.

Jeune pour l'éternité

Pour préparer ce travail d’écriture, j’ai demandé à plusieurs personnes prises au hasard, de me donner spontanément un ou deux mots (en dehors d’un titre de chanson) qui semblent le mieux qualifier Daniel Balavoine ou leur faisant directement penser à l’artiste. Voici les plus fréquents : « politique », « grande gueule », « engagé », « Paris-Dakar », « l’émission 7 sur 7 », « rockeur français », « François Mitterrand », « Starmania », « mort trop jeune », « contemporain ». Il pourrait y avoir « Liban », « Afrique », « droit des pères », « égalités des sexes » … et davantage encore car nombreux furent ses textes ou prises de paroles consacrés à des sujets que peu osaient et osent encore aborder.

S’aventurer sur des terrains glissants, de tels coups d’éclats médiatiques comme les siens, pourraient nuire à bien des artistes. Tout réussissait à Daniel Balavoine, même réunir un public qui ne partageait pas toujours ses aspirations politiques, ni son indignation récurrente. Et ce succès est inéluctablement lié à cette singularité musicale, cette recherche constante dans le choix des mots aussi importante que le travail technique. Sa musique engagée dépassait tout clivage pour en sortir victorieuse. Peut-être était-ce là son côté « rock ».

Résumer la vie d’un artiste comme celle Daniel Balavoine est une épreuve. Car si sa vie fut bien trop courte, il n’a pas perdu une minute pour la remplir. Pour notre plus grand plaisir, nous laissant une œuvre musicale magistrale et indémodable. Sa musique, elle est comme Daniel… jeune pour l’éternité. 

Les chansons préférées des français

La radio RFM a proposé un sondage à travers un échantillon représentatif, pour savoir qu’elles sont les chansons de Daniel Balavoine préférées des français. Voici le résultat.

01. Mon fils ma bataille (43%)
02. L’Aziza (37%)
03. Je ne suis pas un héros (31%)
04. Tous les cris les SOS (30%)
05. SOS d’un terrien en détresse (21%)
06. Sauver l’amour (20%)
07. Le chanteur (19%)
08. Aimer est plus fort que d’être aimé (18%)
09. La vie ne m’apprend rien (16%)
10. Quand on arrive en ville (15%)
11. Vivre ou survivre (15%)
12. Dieu que c'est beau (11%)
13. Lucie (8%)
14. Vendeur de larmes (5%)
15. Lipstick Polychrome (5%)

L'auteur

Célyne DF Mazières

Après l’architecture et l’œnologie, c'est avec son diplôme de journaliste qu'elle traite au quotidien bon nombre de ses passions telles que l'architecture, l'art, la décoration, l'actualité, la culture, vins et cuisine ... entre autres. Dont la musique !
Partageant sa vie avec un ingénieur du son, elle fait partie de son quotidien.

À LIRE AUSSI...