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Maurice Chevalier


Un coup de chapeau, ou plus exactement un coup de canotier à Maurice Chevalier, un demi-siècle après sa disparition, le 1er janvier 1972.  La Sacem rend hommage à un artiste dont le monde entier a dit : « Paris, c’est la Tour Eiffel et Maurice Chevalier ». En 70 ans de carrière, il a triomphé au music-hall et à l’écran. Son nom est connu de tous. Son histoire et son parcours méritent d’être reconnus.

Entre 1900 et 1968, Maurice Chevalier a chanté sur les plus grandes scènes du monde. Des Folies-Bergère aux music-hall de New York en passant par le Casino de Paris et le théâtre des Champs-Elysées, il est resté en haut de l’affiche, sans jamais sacrifier aux modes, bien au contraire. Sa gouaille, son sourire, sa dégaine, son élégance, et ses chansons ont fait de lui l’artiste français le plus célèbre dans le monde. Son image est liée à un chapeau de paille- un canotier qu’il a porté en scène pendant près d’un demi-siècle. Il a créé des chansons qui traversent les générations. Zaz a ainsi repris, avec succès, « Paris sera toujours Paris ». Un exemple parmi beaucoup d’autres.

Également acteur, il a tourné 43 films. Il a été, dans les années 30, à Hollywood, l’une des premières stars du cinéma parlant et chantant. Pionnier du one man show, il est aussi l’auteur d’une série de livres de mémoires salués par la critique comme le meilleur et le plus fidèle témoignage sur l’histoire du music-hall et du cinéma pendant le XXème siècle.

Crédit photo © Shooting Star / DALLE

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Le temps de la misère


Né le 12 septembre 1888, au 29 rue du Retrait, dans le quartier de Ménilmontant, Maurice Chevalier est le fils de Victor Chevalier, peintre en bâtiment, et de Joséphine, une passementière que tout le monde appelle « La Louque ». Il a 3 ans quand son père, alcoolique, abandonne sa famille. Sa mère se retrouve seule pour élever trois enfants, Charles, Paul et Maurice. En 1895, elle tombe gravement malade. Maurice est conduit à l'hospice des Enfants Assistés. Pendant les mois de cet internat forcé, il découvre ce que représente la vraie misère. Il jure, s’il en a un jour le pouvoir, de ne jamais manquer une occasion d‘aider les plus démunis. Il va tenir parole.

A l’école, sa tête jugée trop grosse sur un corps rondelet par ses petits camarades, lui vaut le surnom de « Patapouf » et des bagarres dans la cour de récréation. Sa pratique instinctive de la boxe lui permet d’en sortir toujours vainqueur. Plus tard, il va régulièrement pratiquer ce sport et nouer des liens d’amitié avec des champions de légende : Georges Carpentier, Marcel Cerdan et Ray Sugar Robinson.

A dix ans et demi, son certificat d'études primaires en poche, il décide de travailler. Le salaire de la Louque est en effet insuffisant pour faire vivre sa famille. Il apprend la gravure sur métaux puis devient apprenti-menuisier, électricien, peintre sur poupées, et employé dans une usine de fabrication de punaises. Chaque semaine, il parvient à économiser quelques sous pour s’offrir, le samedi soir, une soirée au cirque. La « piste aux étoiles » le fascine. Il apprend l’acrobatie et imagine avec Paul, l’un de ses frères, un numéro qu’il baptise « Les Chevalier Brothers ». Le résultat n’est pas à la mesure de ses espoirs. Il tente alors d’entrer dans une troupe de voltigeurs. En vain, il n’a pas le niveau requis.

Un soir, dans un café-concert des grands Boulevards, il assiste au numéro d’un chanteur comique. Le coup de foudre ! Il s’imagine très bien à sa place. Il prépare un sketch et des chansons où il est à la fois clown et chanteur. Il débute au « Casino des Tourelles » puis se produit au « Café des Trois Lions », moyennant un café au lait, en guise de cachet. Son personnage évolue au fil des mois. Il s’inspire de Dranem et Polin, les fantaisistes à la mode et reprend les couplets de Mayol, la star des chanteurs fantaisistes, en ajoutant un accent de Ménilmontant très prononcé. On parle, à son propos du « genre Chevalier ».  Les engagements sont rares. Faute d’argent, il utilise un journal plié en quatre pour boucher les trous de ses chaussures.

Chevalier et Mistinguett : dix ans d'amour


En 1907, il se retrouve pour la première fois en haut de l’affiche, à l’Eldorado. La première partie est assurée par une jeune chanteuse réaliste, Frehel, avec qui il vit une histoire d’amour difficile. A son contact, il découvre la drogue et l'alcool et parvient, non sans mal, à y échapper.

 
Mistinguett et Maurice Chevalier © akg-images
Mistinguett et Maurice Chevalier © akg-images

En 1910, le voici dans une revue des Folies-Bergère dont Mistinguett est la tête d’affiche. Il est fasciné par l’artiste. Elle tombe amoureuse de son cadet de 13 ans. Pendant la répétition d’un tableau « La valse renversante », où ils sont enroulés dans un tapis, ils échangent, discrètement, un baiser. Le début d’une légendaire histoire d’amour. Maîtresse de Maurice Chevalier, dans tous les sens du terme, Mistinguett le fait travailler, répéter, parfois jour et nuit.  Il apprend à se déplacer en scène, à danser, à s'habiller, à jouer avec le public.

La première guerre mondiale éclate. Mobilisé le 3 septembre 1914, il part combattre sur le front en Meurthe-et- Moselle. Le 22 août, un éclat d’obus touche son poumon droit. L’hôpital où il est soigné est pris d’assaut par l’armée allemande et rapidement occupé. Fait prisonnier, il va passer trois ans au camp d'Alten Grabow, près de Magdebourg. Un échange de prisonniers par l'intermédiaire de la Croix-Rouge, lui permet de retrouver la liberté.  Il semble qu’une intervention de Mistinguett, auprès de son ami, le Roi Alphonse XIII d’Espagne, ait facilité les choses…

Le 15 mars 1917, il fait sa rentrée au Casino de Paris, avec Mistinguett. Au lendemain de l’Armistice, le duo triomphe encore avec une revue intitulée « Pa-ri-ki-ri ».  Il rêve alors d'un tour de chant en solo, elle ne l’imagine pas ailleurs que dans une revue. Ce désaccord met un terme à leur duo, à la scène mais aussi à la ville.

Londres - Paris - Hollywood


En 1920, Maurice accepte un engagement à Londres dans un music-hall prestigieux, le Palace. Avec Elsie Janis – une jeune et talentueuse artiste, il devient la tête d’affiche de « Hello America », un spectacle où il chante, danse et joue la comédie. Il se produit en smoking et choisit de porter en scène un chapeau de paille… un canotier ! Il devient le premier français qui parvient à conquérir le public britannique.

 

De retour à Paris, il fait ses débuts dans l’opérette. Le 10 novembre 1921, aux Bouffes Parisiens, il devient la tête d’affiche de « Dédé », une opérette signée Willemetz et Christiné, où il crée « Dans la vie, faut pas s’en faire ». Deux ans plus tard, il récidive avec « Là-haut ». Au lendemain de la centième, épuisé par ses années de travail, il est victime d’une dépression. Après quelques mois de repos, il retrouve le chemin du music-hall. En 1924, il inaugure le théâtre de l’Empire près de l’Arc de Triomphe, puis créé « Valentine » au Casino de Paris.  

Le 10 octobre 1927 à Vaucresson, il épouse Yvonne Vallée, une chanteuse- comédienne, qui a été sa partenaire à la scène.

En 1928, à l’heure de la naissance du cinéma parlant, un producteur de la Paramount lui propose de tourner un film aux États-Unis. Son physique correspond parfaitement à celui des artistes d’outre-Atlantique. Il sait qu’il a tout à perdre plutôt qu’à gagner, mais accepte de prendre le risque. Il ne va jamais le regretter. Dès son arrivée à New York, les femmes tombent amoureuses de ce français qui s’exprime en anglais avec un accent parisien « so charming ». « La chanson de Paris », son premier film à Hollywood devient un succès qui en précède beaucoup d’autres. Les journaux affirment qu’il est désormais « l'artiste le mieux payé du monde ».

Il n’oublie pas pour autant le music-hall. Au Fulton Theater de New-York, il chante accompagné par l’orchestre qu’il a choisi et exigé : Duke Ellington et ses musiciens. C’est la première fois qu’ils se produisent en dehors de Harlem. L’événement est à l’origine d’une polémique et de menaces, à peine voilées, de membres du Ku Klux Klan.

Sa popularité est telle que de nombreux fantaisistes commencent à l’imiter. Toutes les stars se bousculent pour venir l’applaudir. Parmi elles, Charlie Chaplin, avec qui il lie d’indéfectibles liens d’amitié. On lui prête une liaison avec Marlene Dietrich, qui vient de tourner « L'Ange Bleu ». Face à la rumeur, Yvonne Vallée rentre en France. Le couple divorce.

LES GRANDS SUCCES DE SA FILMOGRAPHIE A HOLLYWOOD (1929- 1935)

-       La chanson de Paris (Richard Wallace)  
-       Parade d'Amour (Ernst Lubitsch)
-       La Grande Mare (Hobart Henley)
-       Le petit café (Ludwig Berger)
-       Le lieutenant souriant (Ernst Lubitsch)
-       Une heure près de toi (Ernst Lubitsch)
-       Toboggan (Henri Decoin)
-       Aimez-moi ce soir (Rouben Mamoulian)
-       Monsieur Bébé (Norman Taurog)
-       L’amour guide (Norman Taurog)
-       La veuve joyeuse (Ernst Lubitsch)
-       L’homme des Folies-Bergère (Ray del Ruth)

Les années sombres


« Un septennat, ça suffit », dit-il en 1935. Il est au sommet de sa gloire et sait qu’à Hollywood, la chute peut être encore plus rapide que l’ascension. Plutôt que de prendre le risque de voir sa popularité s’effriter, il décide de reprendre le chemin de la France.

Il fait une rentrée triomphale au Casino de Paris, où il créé « Quand un Vicomte », de Mireille et Jean Nohain. Il tourne ensuite, « L’homme du jour », un film de Julien Duvivier où il interprète pour la première fois, « Y’a d’la joie ! ». Raoul Breton, son éditeur, l’a convaincu d’inscrire à son répertoire les paroles et musiques d’un jeune poète à qui il a prédit un bel avenir, Charles Trenet. La chanson va également figurer au programme de la revue « Paris en joie », à l’affiche du Casino de Paris à l’heure de l’Exposition Universelle du Champ de Mars, de mai à novembre 1937. Il épouse Nita Raya, une chanteuse, également danseuse qui a été meneuse de revue à Broadway.

1er septembre 1939 : la mobilisation générale, le début de la « drôle de guerre ». Maurice Chevalier part sur le front de l’Est afin de soutenir, à sa façon, le moral des troupes. Il se produit avec Joséphine Baker, avec qui, quelques mois auparavant, il a partagé l’affiche du Casino de Paris. Il est particulièrement ovationné quand il entonne, « Et tout ça, ça fait d’excellents français ».

Le 14 juin 1940, l’armée allemande entre dans Paris. Charles Boyer, un acteur français devenu star aux Etats-Unis l’invite à le rejoindre. La réponse est immédiate : « Quand la mère est malade, ses fils ne doivent pas partir ». Il passe l’été dans sa villa de La Bocca, près de Cannes, qu’il a achetée en 1924.

Au début de l’année 1941, il rejoint Paris pour se produire au Casino de Paris, puis au Théâtre des Ambassadeurs, au profit des prisonniers de guerre et des œuvres sociales des artistes.
Il accorde alors un entretien à un reporter sans savoir qu’il travaille à Radio Paris, la voix officielle de l’occupant. L’enregistrement où il dit son bonheur de retrouver la capitale est monté de telle façon qu’aux oreilles de bon nombre d’auditeurs, il devient un collaborateur, un traître passé au service de l’ennemi.  La reprise de ses propos, accompagnée de quelques photos truquées dans « Les ondes », le magazine hebdomadaire de la station, confirme ce sentiment. Il est atterré. Ce n'est que le début de ses malheurs. 
Deux de ses chansons, « Ça sent si bon la France » et « La chanson du maçon » sont dénoncées par la Résistance comme des refrains de propagande. Imperméable à toute analyse politique, il aggrave son cas en donnant une série de récitals au camp d’Alten Grabow, où il a été enfermé pendant deux ans. Dans la presse, il devient un vendu. A ceux qui le lui reprochent, il répond qu’en guise de cachet, il a demandé et obtenu la libération de dix prisonniers. Mais la rumeur prend le dessus.

Profondément meurtri, il décide de ne plus chanter à Paris et de ne plus s’exprimer sur les ondes tant que son pays ne sera pas libéré. Il s’enferme à La Bocca, où il commence à écrire ses souvenirs. La rumeur ne s’éteint pas pour autant. 
En 1944, au lendemain du Jour J, il apprend que des résistants ont décidé de l’abattre. Il se cache en Dordogne dans la maison d’un couple de danseurs amis. Il rentre à Paris au début de l’année 1945.  Il est interrogé par un comité d’épuration, essentiellement composé d’artistes. Il démontre son innocence, avant de révéler, preuves à l’appui, qu’il a fait passer plusieurs messages à la Résistance dans le maquis et sauvé des juifs parmi lesquels des membres de la famille de Nita Raya.

Des tournées mondiales


Officiellement blanchi, il reprend le chemin des music-halls. En octobre 1948, il crée à Paris, au théâtre des Champs-Elysées, le premier « one man show » de l’histoire du music-hall. Accompagné par un pianiste, Fred Freed, il assure les deux parties de la soirée. 

Sa notoriété est telle que pendant 20 ans, il ne va cesser de voyager et chanter d’un pays à l’autre. L’agenda de ces deux décennies est impressionnant, voire unique : des tournées en France et aux Etats-Unis, bien entendu, mais aussi Belgique, en Suisse, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Angleterre, en Allemagne, au Liban, au Canada, au Venezuela, au Brésil, en Argentine, en Afrique du Sud, au Chili, au Pérou, en Uruguay et en Australie.

 
Photographie aérienne de la propriété de Maurice Chevalier à La Bocca
Photographie aérienne de la propriété de Maurice Chevalier à La Bocca

Sur le conseil de son ami, le parolier et librettiste Albert Willemetz, il achète à Marnes-la-Coquette, près de Paris, une propriété qu’il baptise « La Louque », en souvenir de sa mère, disparue quand il était aux Etats-Unis.

Dès 1952, faisant sienne la mission d’entraide et de secours du Comité du Cœur des sociétaires Sacem, Maurice Chevalier décide d’offrir en cadeau de Noël à l’association sa villa de Cannes-La Bocca, une des plus belles demeures de la Côte d’Azur. Sur son parc de 3 hectares, des bungalows seront construits, donnant naissance au « Village Maurice Chevalier » qui permettra d’abriter les auteurs et compositeurs professionnels tombés dans la précarité.

En même temps, il donne de l’argent et une partie de son temps à la maison de retraite de Ris Orangis, réservée aux artistes, créée par Dranem.

SES AUTRES GRANDS SUCCES A L’ECRAN (1946- 1967)

Maurice Chevalier a tourné 43 films. Parmi eux, certains sont devenus des classiques :

-       Avec le sourire (Maurice Tourneur)
-       Le silence est d’or (René Clair)
-       Le Roi (Marc-Gilbert Sauvageon)
-       Ma pomme (Marc-Gilbert Sauvageon)
-       J’avais sept filles (Jean Boyer)
-       Un siècle d’amour (Lionello de Felice)
-       La route heureuse (Gene Kelly)
-       Love in the afternoon (Billy Wilder)
-       Gigi (Vincente Minelli)
-       J’ai épousé un Français (Jean Negulesco)
-       Can-Can (Walter Lang)
-       Pépé (George Sidney)
-       Fanny (Joshua Logan)
-       Jessica (Jean Negulesco)
-       Les enfants du capitaine Grant, produit par Walt Disney (Robert Stevenson)
-       Monkeys go home (Andrew Mac Laglen)

Le temps des adieux


Les reconnaissances officielles se multiplient. Le 28 septembre 1956, l’un des plus célèbres music-halls parisiens devient « l’Alhambra-Maurice Chevalier ». Il inaugure cette nouvelle enseigne avec un récital où il est accompagné par un orchestre dirigé par un jeune musicien, Michel Legrand.

En 1959, il reçoit un Oscar d’honneur à Hollywood.

En 1968, au terme de la tournée d’adieux de ses « 80 berges » dans les grandes villes américaines, il reçoit, à New York, un « Special Tony Award »- l’équivalent d’un Molière, et les clefs de la ville, lors d’une cérémonie présidée par le maire. Enfin, du 1er au 20 octobre 1968, à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, il fait ses adieux définitifs au music-hall.

Il nous quitte le 1er janvier 1972, à 17 heures. Il avait été hospitalisé le 13 décembre, à la suite d’un blocage des reins. Pour l’état-civil, il avait 83 ans. Dans son cœur comme dans celui du public, il en avait toujours vingt, et quatre fois plutôt qu’une. Ses obsèques se déroulent le 5 janvier 1972 à Marnes-la-Coquette, où il repose aujourd’hui.

Il me faut une fin de gentleman-artiste, philosophe, philanthrope, en paix avec lui-même. Il va falloir quitter la table dignement, sans rouler dessous.
Maurice Chevalier

L'auteur

Jacques Pessis

Journaliste, écrivain, réalisateur, Jacques Pessis collabore au Figaro et anime, sur Sud Radio, une émission quotidienne, « Les clefs d’une vie ».
Il a signé plus de 200 documentaires de télévision sur l’histoire de la chanson française et écrit une trentaine de livres sur le sujet.
Biographe officiel de Charles Trenet, il est aussi à l’origine de la réédition des mémoires de Maurice Chevalier.

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