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exposition

Camille Saint-Saëns

L'esprit français par excellence


En 2021, année du centenaire de son décès, l’opéra de Paris et la Bibliothèque nationale de France ont rendu hommage à Camille Saint-Saëns avec une grande exposition au palais Garnier qui a duré un peu plus de trois mois et avec la publication d’un ouvrage de référence* qui est bien plus qu’un simple catalogue d’exposition. Le compositeur méritait au moins cette reconnaissance. Mais il n’est pas sûr que cela suffise à le faire sortir du purgatoire des musiciens.

Du grand public, Saint-Saëns est surtout connu pour deux courtes pièces extraites de sa grande fantaisie zoologique, Le carnaval des animaux : Le cygne que se doit d’avoir joué tout violoncelliste et Aquarium, que le festival de Cannes diffuse depuis 1990 avant chaque diffusion de films en compétition. Il arrive aussi (plus rarement) que l’on cite la Bacchanale de son opéra Samson et Dalila. Mais là encore, ce n’est qu’un extrait.

Le génie de ce compositeur qui était aussi chef d’orchestre, pianiste et organiste a été consacré de son vivant en France et dans le monde entier. Un siècle après sa mort, il ne saurait pourtant se résumer à 15 minutes de musique. D’autant plus que Saint-Saëns est un exemple rare de longévité créatrice et qu’il a laissé une œuvre considérable, dans tous les domaines (symphonie, concerto, piano, musique de chambre, opéra, poème symphonique, musique religieuse, mélodie et même une musique de film).

*« Saint-Saëns, un esprit libre » BNF/Opéra national de Paris - BNF éditions.

UN NOUVEAU MOZART


 
Camille Saint-Saëns en 1839 (c) BnF
Camille Saint-Saëns en 1839 (c) BnF

A la naissance de Charles-Camille Saint-Saëns le 9 octobre 1835 à Paris, Hector Berlioz a 32 ans, Frédéric Chopin 25 ans et Franz Liszt 24 ans. La musique est romantique et les salons parisiens très actifs réunissent des artistes de tous horizons.

Très tôt orphelin de père et de santé fort fragile (il souffre de phtisie), le petit Camille est élevé par sa mère, Clémence, et une grand-tante, Charlotte. La maman est peintre et la tante est pianiste. J’ai eu « deux mères » reconnaitra-t-il plus tard. Naturellement la musique et le dessin entrent dans sa vie. A deux ans et demi, on le met « en présence d’un minuscule piano ». Il touche les notes délicatement sans martyriser l’instrument. Très vite il nomme les notes tout en les jouant. Un nouveau Mozart est né ! Assurément, Camille est de la graine des enfants prodiges. Et la suite va le prouver.

Sa tante, très bonne pédagogue, commence à lui donner des cours ; il apprend très vite et rapidement les exercices ne l’amusent plus. On lui donne des sonates de Mozart et Haydn. Il aime jouer, surtout pour un public de connaisseurs, « pas pour les profanes », insiste le petit garçon. A la même époque, il commence à composer : des valses et des galops, une danse en vogue. Il a trois ans et demi. La musique naît dans sa tête et pas sous ses doigts, si bien qu’il n’arrive pas à jouer certaines de ses compositions, tant elles sont difficiles.
Comme pour Mozart, chaque nouveau morceau est daté. A 4 ans et 7 mois, Camille donne son premier concert en public et il accompagne un violoniste dans une sonate de Beethoven. L’événement n’échappe pas à la presse et Le Moniteur Universel du 1er août 1840 s’enthousiasme pour « son surprenant instinct musical. A cinq ans, sa première mélodie pour voix et piano voit le jour. Il dédie un adagio pour piano au peintre Jean-Dominique Ingres qui lui fait cadeau, en retour, d’un médaillon en plâtre représentant le profil de Mozart. Il l’accompagne de cette dédicace : « A mon jeune ami, monsieur Saint-Saëns, vaillant interprète de l’artiste divin ».

A sept ans, changement de professeur. Les bases étaient très bonnes, les progrès vont être fulgurants. De son côté, Madame Saint-Saëns ne délaisse pas l’éducation générale de son fils ; elle lui fait donner des cours de latin, de grec, d’arithmétique, de géométrie, de botanique et d’astronomie. Ces deux dernières matières deviennent des passions et le resteront toute sa vie. Tout est en place. Derrière le petit garçon en culottes courtes se profilent déjà le compositeur, l’interprète et l’honnête homme (au sens du 18e siècle).

PLUS DE 80 ANS DE CRÉATION


Il est difficile d’imaginer la joie du petit Camille lorsqu’il se voit offrir, en 1840, le conducteur d’orchestre de l’opéra Don Giovanni de Mozart. Il a cinq ans à peine, mais il est pleinement conscient de la valeur de ce cadeau, lui qui compose déjà depuis quelques mois.

Un compositeur précoce

C’est le 22 mars 1839 en effet, à l’âge de trois ans et demi, que Saint-Saëns écrit sa première composition, une petite pièce pour piano en ut majeur. D’autres vont suivre que son auteur qualifiera beaucoup plus tard « d’une insignifiance naïve, mais sans fautes d’écriture ». Pour un temps, Camille va poser la plume et, sous la conduite des meilleurs professeurs, consacrer son temps à l’étude du piano, de l’orgue, du contrepoint, de l’harmonie et de la musique de chambre.

Il se replonge dans la composition à 15 ans et une véritable frénésie s’empare de lui : sonates, mélodies, cantates et même une symphonie ; aucune genre (ou presque) ne lui échappe. Un an plus tard, il entre dans la classe de composition du conservatoire de Paris et fréquente assidument la bibliothèque : « c’est là que j’ai complété mon éducation : ce que j’y ai dévoré de musique ancienne et moderne est inimaginable ».

Il n’a pas 17 ans quand il se présente pour la première fois au concours du Prix de Rome. Le jury le juge trop jeune. Petit lot de consolation : il remporte à l’unanimité le premier prix du concours de la Société Sainte-Cécile de Paris, devant 22 candidats. Cette cantate-ode est donnée en public et Berlioz la juge « harmonieuse, sinon brûlante ».  C’est cette même société Sainte-Cécile qui accepte de programmer sa première symphonie que Saint-Saëns avait envoyée de manière anonyme. En apprenant le nom de son auteur, Gounod écrit : « souvenez-vous que vous avez contracté… l’obligation de devenir un grand maître ».

Prolixe

Dans les années qui suivent, voient le jour des mélodies, un quintette pour cordes et piano, une Messe Solennelle et une nouvelle symphonie baptisée Urbs Roma. Avec cette œuvre, Saint-Saëns devient pour la première fois chef d’orchestre. L’appétit de compositions de grande ampleur ne faiblit pas : L’oratorio de Noël est créé à Paris à la Madeleine le 24 décembre 1858, le Concerto pour piano n°1 est achevé la même année et un an plus tard, le premier concerto pour violon et la symphonie n°2.

Cette intense activité n’empêche pas Saint-Saëns de se produire dans des récitals de piano et à l’orgue. En 1864, il se présente pour la deuxième fois au concours du Prix de Rome (12 ans après sa première tentative), mais, à 29 ans, il est jugé cette fois trop âgé. Pas de limite d’âge en revanche pour le concours organisé à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris en 1867 ! Devant 103 concurrents, Saint-Saëns remporte le prix. Le jury est notamment composé de Rossini, Charles Gounod et Berlioz qui félicite le lauréat : « j’ai eu le plaisir de voir couronner …. mon jeune ami Camille Saint-Saëns, l’un des plus grands musiciens de notre époque ».  

Le compositeur revendique « une langue claire et bien équilibrée » ; il est aussi capable de briser les formes, d’où un intérêt marqué pour le genre du poème symphonique (Le Rouet d'Omphale, Phaéton, Danse macabre et La Jeunesse d'Hercule).

VIRTUOSE DES CLAVIERS


Il est rarissime qu’un artiste mène de front une double carrière de pianiste et d’organiste. C’est le cas de Camille Saint-Saëns. Toute sa vie, il est resté profondément attaché à ces deux instruments, dont la seule parenté se résume au clavier. Le toucher, la technique, la palette sonore, l’existence d’un pédalier et de plusieurs claviers pour l’orgue, tout est différent. Mais pour le virtuose qu’il est, cela n’est pas un problème. D’autant que le piano et l’orgue sont entrés dans sa vie alors qu’il était enfant. A moins de 3 ans, il a pris ses premières leçons de piano. 8 ans plus tard, il se met à l’orgue, alors que ses pieds ne touchent le pédalier.

Un concertiste

 
Journal L'Illustration
Journal L'Illustration

Dans son livre L’école buissonnière qu’il écrit au soir de sa vie, Camille Saint-Saëns mentionne ce qu’il considère comme son premier grand concert : « Quand j’eus dix ans, mon professeur me jugeant suffisamment préparé me fit donner un concert dans la salle Pleyel ».  Ce 6 mai 1846 ne correspond pourtant pas à la première apparition en public du tout jeune pianiste.
Il y a six ans déjà qu’il s’est fait connaître, d’abord de quelques cercles et salons privés et ensuite d’un plus large public. Mais avec ce concert avec orchestre organisé dans une salle renommée de Paris, sa carrière de pianiste est définitivement lancée. Ce jour-là, il interprète deux concertos, un de Mozart et un de Beethoven, et des pièces pour piano seul : des variations et une Fugue de Haendel, une toccata de Kalkbrenner, une sonate de Hummel et un prélude et fugue de Bach. Et tout cela de mémoire !
Le journal L’illustration du 23 mai 1846 salue « une de ces hautes intelligences qui font époque ». L’article est illustré par un dessin du jeune artiste assis devant un piano. A 10 ans, il porte une tenue d’adulte avec cravate et gilet et il a des faux airs de Schumann.

Moins d’un an plus tard, Camille Saint-Saëns fait la conquête de la Duchesse d’Orléans en se produisant au pied levé aux Tuileries. Le récital a lieu le 24 mars 1847. Le jeune pianiste a été prévenu le matin même et il choisit de jouer des œuvres de Beethoven, Haendel, Bach et Hummel. 

Il est régulièrement programmé alors qu’il n’a que 15 ans à la société Sainte-Cécile. La rencontre avec Franz Liszt et « ses doigts surnaturels » va bouleverser sa vie. Liszt a 43 ans et Saint-Saëns 19 ans. C’est le début d’une très longue amitié.

 
Richard Wagner (c) BnF Gallica
Richard Wagner (c) BnF Gallica

Richard Wagner est subjugué par la mémoire exceptionnelle du jeune homme et par ses capacités à déchiffrer au piano les partitions d’orchestre les plus difficiles, en particulier Tristan et Isolde. Il fait appel à lui pour entendre ses œuvres au piano.

Lorsqu’il se produit en public, Saint-Saëns joue Schumann, Liszt, Wagner, Mendelssohn, Beethoven, Bellini… Il programme aussi quelques-unes de ses œuvres. Il donne l’intégrale des concertos pour piano de Mozart en six concerts dans les salons Pleyel. Les tournées s’enchaînent en France, puis en Allemagne.

En 1868 (il a 33 ans), Saint-Saëns crée son deuxième Concerto pour piano ; l’orchestre est dirigé par le compositeur Anton Rubinstein. Il réserve la primeur de la première audition du concerto dit L’Egyptien pour la soirée célébrant ses 50 ans de carrière pianistique. Un « Jubilee Festival » est organisé en 1913 à Londres où il joue notamment du Mozart.
Associé à de nombreux concerts de charité, il répond présent. Il le fait aussi pour vivre, tout simplement : pendant la Première Guerre Mondiale, ses droits d’auteur lui rapportent peu d’argent. Il écrit à ce sujet : « Si je fais ce métier c’est qu’il m’a permis de gagner ma vie autrement qu’en m’abrutissant à donner des leçons toute la journée ».  Et dans une autre lettre : « Vous ne savez pas ce qu’est un métier de virtuose… Obligation de travailler tous les jours pour entretenir ses doigts ; de ne pas déjeuner si le concert a lieu dans le jour ; de ne pas dîner s’il a lieu le soir ; et souvent on est mal à l’aise pendant tout le temps qui le précède ».

Le 6 août 1921, après 75 ans de carrière de concertiste, Saint-Saëns fait ses adieux à la scène. Il donne un ultime récital au casino de Dieppe. Il confie à un ami : « Enfin, ce dernier concert a été très brillant. Je ne finirai pas, comme beaucoup d’autres, sur un decrescendo lamentable ».

« Le premier organiste du monde »

C’est à 11 ans qu’il prend ses premières leçons avec Alexandre-Pierre-François Boëly, l’organiste titulaire de l’église Saint-Germain l’Auxerrois. Deux ans plus tard, il entre au conservatoire de Paris d’abord en auditeur libre étant donné son jeune âge ; l’année suivante il devient officiellement élève et il n’a pas 16 ans quand il obtient un premier prix d’orgue.

Très vite, il trouve un emploi rémunéré d’organiste à l’église Saint-Séverin, puis à la tribune plus prestigieuse de Saint-Merri. Il fait entendre des œuvres de Haendel, Bach, Rameau, Mendelssohn et popularise Liszt, encore peu connues du public.

A 22 ans, il se retrouve titulaire du grand orgue de l’Église de La Madeleine, l’une des plus tribunes les plus réputées de Paris.

En 1862, il est sollicité pour jouer lors de l’inauguration du nouvel instrument construit par Aristide Cavaillé-Coll pour l’église Saint-Sulpice. Le récital est donné devant plus de 6000 personnes. Six ans plus tard, c’est à lui que l’on fait appel pour l’inauguration du grand orgue de Notre-Dame de Paris (86 jeux, 5 claviers et pédalier). Un an plus tard, il participe aux festivités pour la construction du grand orgue de l’église de la Trinité.

Pendant toute cette période, Saint-Saëns compose pour l’orgue et il improvise beaucoup pendant les offices religieux. Ses moments sont particulièrement attendus, notamment pour son « amour des vieilles sonorités ». Lui en parle comme « une des joies » de son existence. Liszt le considère comme « le premier organiste du monde ». 

En 1885, répondant à une commande de la Royal Philharmonic Society de Londres, il se lance dans la composition d’une œuvre qui associe un orchestre symphonique, un piano et un grand orgue. Il lui faut deux ans pour achever cette symphonie dédiée à son ami Franz Liszt (qui meurt sans avoir pu l’entendre). La symphonie n°3 avec orgue est créée à Londres ; elle est immédiatement acclamée. Même triomphe à Paris pour cette œuvre qui va vite devenir l’une des compositions les plus célèbres de Saint-Saëns (et sans doute la plus enregistrée dans le monde).

UNE HUMEUR VOYAGEUSE


De 1857 à 1921, de l’âge de 22 ans à son décès à 86 ans, Camille Saint-Saëns entreprend 179 voyages à l’étranger. Il effectue 242 séjours dans 25 pays. Ces chiffres donnent le vertige. Mais voyager est vital pour lui.

Pour sa santé d’abord. Il est chroniquement fragile des poumons et il recherche les climats doux, notamment l’hiver. Saint-Saëns voyage aussi pour des raisons financières : il dépense moins qu’à Paris et ses tournées à l’étranger sont source de revenus et le font connaître du monde entier ; et surtout il est avide de découvertes musicales.

Son goût pour l’orientalisme, pour les styles asiatique et arabo-andalous est réel, bien au-delà d’une simple curiosité exotique. Ce besoin d’ailleurs s’explique sans doute aussi par la perte accidentelle de ses deux enfants en 1878 à deux mois d’intervalle. Les voyages qu’il avait entrepris à partir de l’âge de 30 ans se multiplient alors à partir de 1880.

Cette « humeur voyageuse », comme il la qualifie lui-même, l’amène à souvent voyager à l’étranger, en plus de ses tournées et séjours en France. Etablir la liste de ses pérégrinations serait extrêmement longue. Saint-Saëns a visité quasiment le monde entier. L’Europe évidemment (Allemagne, Belgique Angleterre, Ecosse, Pologne, Espagne, Italie, Autriche, Suisse), l’Indochine, les Etats-Unis, l’Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Uruguay). C’est le métier dans ce cas qui l’amène à voyager. Malgré les tensions entre la France et l’Allemagne après la guerre de 1870, il se rend à Bayreuth en 1876 pour assister à la première édition du festival créé par Richard Wagner. L’année suivante, c’est au théâtre Grand-ducal de Weimar qu’est donnée la première de son opéra Samson et Dalila. En 1910, il participe à un Festival de musique française à Munich, où plusieurs de ses œuvres sont données.

Mais Saint-Saëns peut répondre à d’autres sollicitations, quand par exemple il se rend à Naples en 1892, pour assister à une éruption de l’Etna. Lors d’un séjour à Saïgon, il passe quelques jours sur l’ile Poulo-Condore pour étudier la botanique.

Pour préserver sa santé, il choisit de passer l’hiver dans des pays réputés pour la douceur de leur climat : les Canaries et l’Egypte notamment. Il séjourne au moins deux fois dans un palais sur l’île de Rhodah, mis à sa disposition par le frère du khédive. Mais c’est l’Algérie qui est son port d’attache hivernal : Alger, Oran, Bône, Biskra, Hammam-R’Irha (où il va en cure). Il fait 20 séjours au total. Il se repose, compose et donne des concerts. C’est à Alger qu’il meurt le 16 décembre 1921.

L'illusion est de croire que la critique peut diriger l'art. La critique l'analyse, la dissèque. Le passé, le présent lui appartiennent. L'avenir jamais.
Camille Saint-Saens - 1885

UN ARTISTE COMPLET


Homme de passions, Camille Saint-Saëns a vécu toute sa vie pour la musique ; mais pas seulement. Selon son ami Pierre Aguétant, « Saint-Saëns abordait les sujets les plus complexes, les plus différents, avec la même compétence. Il avait tout étudié ». En cela il est un honnête homme, comme on l’entendait au 18e siècle, un être complet, curieux de tout et toujours prêt à découvrir et à apprendre.

Astronome

Il n’avait peut-être pas tout étudié ; mais on sera surpris d’apprendre qu’il était fasciné par l’observation des astres. A 23 ans, la vente des Six duos pour harmonium et piano lui permet de s’acheter une lunette astronomique. Il part en croisière avec l’astronome Camille Flammarion pour observer les étoiles.
Et quand, en 1900, le magazine l’Astronomie décide de publier une série de dessins de la Lune vue à l’œil nu, Saint-Saëns envoie le sien, fait à Las Palmas, avec cette note : « j’ai essayé de dessiner la Lune, malgré mes mauvais yeux. Le résultat n’est pas brillant… Il faut pencher un peu la figure vers la gauche. L’image dépend de la position de la Lune, de celle de l’observateur sur la terre, et de l’heure. »
La Société astronomique de France l’accueille pour une conférence sur les effets des mirages observés dans la Mer rouge et une autre sur De l’ignorance astronomique et des moyens d’y remédier. Il se rend à Burgos en 1905 pour observer une éclipse totale de soleil.

Peintre

 
Dessins à la plume (c) BnF Gallica
Dessins à la plume (c) BnF Gallica

Saint-Saëns ne part jamais en voyage sans ses crayons, ses couleurs et ses pinceaux. Car c’est aussi un peintre ; mais il ne se prend pas au sérieux : « Je m’amuse à colorier des cartes postales ».

Jamais il n’exposa dans aucune galerie, se considérant comme un simple amateur.

Et pourtant en 2021, « Etal de fleurs à Paris », une huile sur panneau, s’est vendu aux enchères à l’hôtel Drouot à Paris.

Critique, auteur …

L’écriture et la presse au service de la musique également : critiques, chroniques, lettres ouvertes l’occupent beaucoup. Au total, plus de 350 articles. Les journaux sont pour lui une formidable caisse de résonnance de ses idées : « Je ne vois pas la nécessité du copyright pour mes articles. Tant mieux si d’autres journaux les reproduisent, j’aurai plus de lecteurs ». A partir de 1872, il collabore à l’hebdomadaire La Renaissance littéraire et artistique. En 1879, il commence à écrire pour Le Voltaire, un tout jeune journal républicain auquel collaborent Emile Zola et Raymond Poincaré. En 1914, L’écho de Paris commence à publier une série d’articles.

Saint-Saëns se bat pour faire connaitre et aimer les maîtres anciens (Rameau et Gluck notamment) ; il proclame sa passion pour Bach, Mozart, Haydn et Beethoven, soutient Delibes et Bizet. Il attaque Franck et d’Indy et déteste l’opérette. Comme critique et polémiste, il ne s’interdit aucun sujet : la facture instrumentale, les festivals ou le prix de Rome.

Saint-Saëns fait aussi publier des livres : Harmonie et mélodie (1885), Portraits et souvenirs (1900), École buissonnière (1913), Germanophilie (1916) ; ainsi qu’un recueil de poèmes : Rimes familières (1890). Il écrit pour le théâtre : Le Château de la Roche Cardon ou les cruautés du sort » (1861), Gabriella di Vergy (1883), Botriocéphale (1890), La Crampe de l’écrivain (1892), Le Roi Apépi (1903). S’ajoutent encore des publications telles que Notes sur les décors de théâtre dans l’Antiquité romaine, un sujet qui le passionne.

Enfin, à la demande de la Comédie-Française, Saint-Saëns réalise un arrangement de la musique de Lully pour la pièce de Molière Le Sicilien ou l’amour peintre ; il « restaure » la musique de Marc-Antoine Charpentier composée pour Le malade imaginaire, d’après des manuscrits déposés à la Bibliothèque nationale. Il supervise l’édition complète des œuvres de Rameau. Un an avant sa mort, il se lance dans des arrangements et des transcriptions de sonates du 18e siècle (Mondonville, Leclair, Tartini, Corelli).

Tout ceci ne l’empêche pas de prendre la plume pour écrire à ses amis et des connaissances. On lui doit plus de 20.000 lettres (plus d'un millier sont visibles sur Gallica, sous leur forme manuscrite originale).

Les titres de gloire n’en finissent pas : membre de l’Institut, fondateur de la Société nationale de musique, docteur honoris causa de l’université d’Oxford. Il refuse de prendre la direction de la Villa Médicis pour conserver son indépendance.

Cet homme reconnu comme un génie de la musique, connu comme écrivain et poète, comme librettiste et auteur de théâtre avait la réputation d’avoir mauvais caractère, d’être grincheux et même acerbe. Une ombre au portrait idéal ? Le poète Pierre Aguétant qui fut l’un de ses intimes à partir de 1918 balaie cette légende d’un revers de manche : « Il était bon, avec pudeur, comme il était sentimental, sensible, sans vouloir le paraître, avec le sourire refoulant les larmes. Il était tendre et bon, à la française, c’est-à-dire à l’image de son génie ».

L'auteur

Thierry Geffrotin

Ex-rédacteur en Chef à Europe1, Thierry Geffrotin a une longue expérience du journalisme. Musicien, il joue de l’orgue et du clavecin. Le chant est l’une de ses autres passions.
Il a donné des concerts au clavier, seul ou en petite formation, et a été membre de plusieurs ensembles vocaux.
Thierry Geffrotin est l’auteur de « Mozart pour les Nuls (First Editions) et d’un Que Sais-Je sur « Les 100 mots de la musique classique » (PUF). On lui doit également des biographies audio de Mozart, Chopin et Brahms parues aux éditions Eponymes. 

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