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Musique, histoire et société
Afriques sur Seine
Quand l’Afrique résonne à Paris

Comment les musiques africaines se sont-elles installées dans le paysage français ? Voyage sur les bords de Seine, dans un demi-siècle de relations musicales entre l'Afrique et la France.

En 1960, la majorité des colonies françaises d’Afrique devenait indépendante. Mais qui, en France, connaissait leurs musiques ? Le continent allait trouver en ses musiciens de merveilleux ambassadeurs, qui ouvraient à travers leurs œuvres des fenêtres sur leurs terres natales, suscitant la curiosité, et parfois de la reconnaissance. Paris était alors le point de rencontre de bien des artistes africains, et de leurs enfants nés français.

Avec le temps, et quelques héros méritants, le rayonnement de leurs musiques inspirera les artistes d’ici. Elles font désormais partie intégrante de la culture française. L’Afrique n’existe pas qu’en Afrique. Elle vit aussi en France, et swingue sur les bords de la Seine.

Vladimir Cagnolari

Photo du haut (de gauche à droite) : Salif Keita, Manu Dibango, Gims, Angélique Kidjo © Marc Chesneau

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Happy sixties : le cha-cha des indépendances

En 1960, la plupart des colonies françaises d’Afrique accèdent à l’indépendance. L’époque est pleine d’espoirs, de rêves et souvent d’insouciance. Les musiques qui accompagnent ce souffle de liberté en témoignent. En Guinée comme au Mali, on se réapproprie le patrimoine traditionnel pour le moderniser avec force guitares électriques et autres rutilantes sections de cuivres. Le jazz et les musiques cubaines ont une influence majeure. Et si certains pays rompent drastiquement avec l’influence française, d’autres s’émancipent tout en gardant de puissants liens politiques et culturels avec l’ancienne métropole. Les Yéyés français font aussi un tabac dans les surprise parties de Bamako ou d’Abidjan. Là-bas aussi, entre Johnny et Antoine, il faut choisir son camp.

Les pionniers

Slimane Azem, Francis Bebey, Manu Dibango, Pierre-Claver Akendengué… Ils font partie des pionniers qui ont marqué l’histoire des musiques africaines.

Nés français, à l’époque coloniale, ils sont venus en France pour travailler ou faire des études, mais vont très vite se consacrer à la musique. Paris devient leur base, comme pour leurs aînés Césaire et Senghor. Avec Henri Salvador, ils sont les seuls hommes « de couleur » (comme on disait alors) à être vus à la télévision. Ils deviennent des personnalités publiques, à une époque où l’on ne parle encore ni d’intégration, et encore moins de « world music ».

Quand l’Afrique s’installe à Paris

Dès la fin des années 70, des artistes d’Afrique francophone tentent l’aventure parisienne. Ils espèrent trouver un contexte plus favorable au développement de leur carrière. Ils n’ont à l’époque pas de problèmes de papiers pour travailler, et trouvent souvent dans les communautés immigrées leur premier public. D’autres, au succès déjà solidement établi en Afrique, n’habitent pas à Paris mais y font de fréquentes escales. La capitale s’impose comme une plaque tournante, et l’arrivée de la gauche au pouvoir comme la libération des ondes offrent aux musiques du continent une place inédite.

Afrique, Antilles, le creuset parisien

Sénégal, Congo, Mali, Algérie, Maroc ou Antilles... L’Afrique est en vogue, et le Paris des années 80 devient une place forte de la « sono mondiale ». C’est d’ailleurs à partir de la capitale que des musiques comme le zouk ou le soukouss prennent leur essor. Les enfants de l’immigration et du regroupement familial commencent eux-aussi à donner de la voix, et à revendiquer une place dans une société où, si l’Afrique est à la mode, ses enfants le sont moins.

De n’importe quel pays, de n’importe quelle couleur

Dans ces années 80 qui voient émerger les musiques d’Afrique sur les scènes et les ondes françaises, le continent s’invite de plus en plus dans l’actualité. En France, bavures policières et crimes racistes donnent naissance à de grandes mobilisations, tout comme à l’international les images de la famine en Éthiopie, ou la lutte contre l’apartheid et la libération de Nelson Mandela. À travers leurs musiques, les artistes éveillent ou catalysent les consciences, au-delà des cercles militants. Des journalistes (Actuel, Radio Nova, Libération) participent de ce mouvement, tout comme les premiers festivals qui offrent aux artistes africains une tribune privilégiée.

Quand la France chante l’Afrique… passions et clichés

À partir des années 60, la chanson française s’ouvre (tout) doucement à l’Afrique. C’est d’abord et surtout le fait d’artistes singuliers, qui de Nougaro à Gainsbourg,s'inspirent des musiques du continent. L’Afrique n’est certes plus colonisée, mais les clichés ne lui en collent pas moins à la peau, comme en témoigne une foule de chansons qui n’ont vu du Congo que les vignettes issues des aventures de Tintin. Il était temps que les artistes africains qui s’exportent en Occident donnent une autre image d’un continent plus fantasmé que connu.

L’Afrique chante la France

Indépendants, les pays d’Afrique francophone ont gardé pour la plupart des liens étroits avec la France. Bien sûr, il y a toujours, aujourd’hui encore, des liens de dépendance économique et politique, mais le partage d’une langue en commun a maintenu une relation culturelle qui, si elle n’échappe pas aux enjeux de pouvoir, permet toutes sortes d’échanges. Cette langue française, finalement, appartient tout autant (sinon plus ?) aux Africains, majoritaires en francophonie. Certains reprennent des chansons françaises, et leur donnent de nouvelles couleurs. La langue française elle-même prend de nouvelles saveurs, et parfois sert à chanter le pays de Molière. Un Molière qui aurait fait ses classes à Abidjan.

Deuxièmes générations : rappeurs français, racines africaines

La scène rap française compte nombre d’artistes dont les aïeux sont africains. Ils incarnent une génération qui a grandi, en temps de crise, dans les cités des grandes villes qui furent les pépinières du hip-hop hexagonal. Certains d’entre eux, en quête de leurs racines, ont décidé de renouer avec le patrimoine musical de leurs parents. Tandis que le rap français grandissait (il a aujourd’hui quarante ans), Internet a tissé de nombreux ponts entre l’Afrique et sa diaspora, accélérant la diffusion des musiques. Si bien qu’entre 15 et 30 ans, on est de plus en plus branchés sur les mêmes chansons, de Kinshasa à Paris en passant par Abidjan.

Quand l’Afrique donne le tempo des musiques actuelles

Près de quarante ans après l’éclosion des musiques africaines en France, quand Paris leur servait de tremplin vers le reste du monde, les musiques d’Afrique se sont durablement installées dans le paysage musical français. Elles ne sont plus seulement des « musiques du monde », mais des musiques d’ici, qui font partie du background de toute une génération d’artistes. Et cela, qu’ils aient ou non un lien avec l’Afrique. Il en va de même pour le public. Du rap à l’électro en passant par la pop ou même le classique, l’Afrique, de manière subtile ou flagrante, est souvent de la partie. On se prend même à croire que c’est elle qui mène la danse. Si ce n’est déjà le cas, cela ne saurait tarder.

L'auteur

Vladimir Cagnolari

Vladimir Cagnolari est journaliste, auteur et réalisateur.
 
Passionné d'histoire et de musiques africaines, il a d'abord travaillé à Radio France Internationale avant de présenter avec Soro Solo, 2006 à 2015, l'émission l'Afrique enchantée sur France Inter. Il a également collaboré avec FIP et France Culture, et animé un cours intitulé "Musiques, sociétés et politique en Afrique" à Sciences Po.

Il est depuis 2017 rédacteur en chef du magazine en ligne Pan African Music et produit toujours des séries radiophoniques pour RFI.

Parallèlement, il réalise des documentaires musicaux (Que Vola? en 2019, Urban Village en 2020) et écrit pour la scène (Mali Sadio, 2079 l'Afrique déchaînée, ainsi que la série Indépendances cha-cha présentés au festival Africolor).
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