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Chronique
"Pierre et le loup" de Sergueï Prokofiev
S’initier à la musique classique en allant chasser comme les grands…

En 1936, après un exil d’une quinzaine d’année, Sergueï Prokofiev, intéressé par les promesses matérielles d’un gouvernement soviétique voulant voir revenir l’un de ses plus illustres compositeurs, s’installe à Moscou. Il est aussitôt sollicité par Natalia Sats, comédienne et directrice du Théâtre central pour enfants, qui lui commande une œuvre destinée à familiariser le jeune public avec les instruments de l’orchestre symphonique. Prokofiev rédige lui-même le texte en s’inspirant des contes traditionnels russes et du « Petit Chaperon rouge ». La composition et l’orchestration ne lui prennent que deux semaines, et le 2 mai, l’œuvre, qui dure une vingtaine de minutes, est créée, avec Natalia Sats comme récitante.

Un conte pour enfants

Les petits moscovites découvrent l’histoire de l’intrépide Pierre qui, parce qu’il a oublié de fermer la porte du jardin, a laissé un canard sortir… Un canard bientôt dévoré par le loup ! Désobéissant à son grand-père, le garnement va capturer la bête qui effraie les environs grâce à ses complices, l’oiseau et le chat, avant de l’emmener, avec l’aide de chasseurs, au jardin zoologique.

Une composition pédagogique…

Chaque personnage possède son propre thème musical, qui revient à chacune de ses apparitions. Ces leitmotivs sont interprétés par un ou plusieurs instruments, choisis afin d’illustrer la personnalité des différents protagonistes. Cette trouvaille pédagogique sensibilise à l’interprétation des sons de l’orchestre symphonique, répondant ainsi à la volonté de Natalia Sats.

Pierre, petit héros plein d’entrain, est représenté par un quatuor à cordes. Le canard, naïf et à la démarche empruntée, est figuré par le hautbois. La vivacité de l’oiseau se traduit en trilles de flûte traversière. Le chat voit sa malice illustrée par une clarinette staccato, a contrario du grand-père râleur, qui peste au basson. Le loup et la menace qu’il suscite sont évoqués par trois cors anxiogènes. Enfin, les chasseurs – synonymes d’ordre providentiel – apparaissent avec les cuivres et les bois, et leurs coups de feu se signalent à coups de timbales et de grosse caisse.

… mise en image par Walt Disney

Prokofiev présente à Walt Disney son conte musical en 1938, et emballe le futur magnat du divertissement, qui vient d’obtenir son premier succès planétaire avec Blanche-Neige et les Sept Nains.

Le père de Mickey procède à quelques modifications pour rendre Pierre et le Loup plus commercial. Il donne à tous les protagonistes (à l’exception du loup) un prénom, russe pour faire couleur locale (l’oiseau s’appelle désormais Sacha, le chat Ivan, les trois chasseurs Misha, Yasha et Vladimir, quant au canard, il est devenu la cane Sonia).
De plus, afin de simplifier l’intrigue, Pierre est déterminé dès le début à aller chasser l’effrayant prédateur.
Enfin, puisqu’il faut un happy end sans ombre, les spectateurs auront le soulagement d’apprendre dans les dernières secondes que, contrairement à ce qu’ils avaient cru, Sonia, cachée dans le tronc d’un arbre, n’a pas été mangée par le loup.

Peter and the Wolf paraît en avril 1946 dans le film Make Mine Music, qui compile dix courts métrages musicaux. Au milieu d’histoires américaines, le conte de Prokofiev crève l’écran, diffusé par la suite de façon autonome et popularisant dans le monde entier les motifs lumineux et didactiques de son créateur.

L’anecdote : Il existe en France une tradition d’enregistrement de Pierre et le Loup. Après un premier disque de Gérard Philippe (1956), Fernandel, Charles Aznavour, Jacques Brel, Eddy Mitchell, ou encore les animateurs Jacques Martin et Michel Drucker ont prêté leur voix à la narration.

Vincent Dégremont
© Boris Lipnitzki/Roger-Viollet

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Sergueï Prokofiev

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Couverture de partition "Pierre et le loup"
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Bulletin de déclaration "Pierre et le loup"
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L'auteur

Vincent Dégremont

Journaliste Sport & Musique.
Ecoute avec un égal bonheur « L’Apprenti sorcier » et « La Maladie d’amour ».
Préoccupé par le dérèglement climatique et les fake news.
Considère la cuisine comme un art majeur.