Comment, grâce à un synthétiseur déréglé et un dépliant touristique qui n’était pas le bon, Michel Sardou donna envie aux Français de se rendre dans une région d’Irlande jusqu’alors méconnue…
Après l’échec de l’album « Victoria », Michel Sardou veut retrouver le haut de la vague.
Durant l’été 1981, il convie Jacques Revaux et Pierre Delanoë dans sa maison normande de Saint-Georges-Motel pour un week-end de création. A peine descendu de voiture, Revaux se met à pianoter sur son synthétiseur… mais au lieu du son piano-orgue attendu, c’est une cornemuse qu’on entend ! Le fragile instrument électronique a mal supporté le voyage. Le compositeur cherche alors à réinitialiser son clavier, mais Sardou l’interrompt. Pourquoi ne pas faire une chanson avec des cornemuses sur l’Ecosse ? Revaux opine, et enchaîne une série de notes prometteuses.
Toutefois, aucun des trois acolytes ne connaît le Pays au Chardon. Delanoë a donc une épine dans le pied au moment de démarrer le texte. Le parolier part chercher de la documentation pouvant étayer son futur propos…et revient en n’ayant trouvé qu’un dépliant touristique sur le Pays du Trèfle. Il sera à quatre feuilles !
Les sonorités de « Galway », « Tipperary », « Barry-Connely », « Limerick », et surtout du « Connemara » fascinent la petite équipe, qui imagine à travers elles une région sauvage, fouettée par la pluie et parsemée de lacs bleu émeraude.
Delanoë se remémore alors L’Homme tranquille, le film de John Ford contant l’histoire de Sean, un boxeur incarné par John Wayne qui quitte l’Amérique pour regagner son Irlande natale et y tombe amoureux d’une éclatante rousse jouée par Maureen O’Hara.
A Saint-Georges-Motel, on se met d’accord pour évoquer le mariage de « Maureen » et « Sean » sur fond de conflit entre catholiques et protestants, en espérant ce « jour où les Irlandais feront la paix autour de la croix ». Et tant pis si le Loch Ness des « monstres des lacs qu’on voit nager certains soirs d’été et replonger pour l’éternité » se situe en réalité dans les Highlands écossais.
Trente secondes d’introduction avec le bruit du vent qui se lève et vous cingle, bientôt relayé par un piano plaquant des graves pour réclamer l’attention. Un couplet lent et saccadé. Un pré-refrain à la pompe celtique enlevée. Un refrain en forme d’explosion lyrique. On reprend couplet, pré-refrain, refrain, puis le pré-refrain est rejoué ad lib durant une minute trente...
Epique, l’enregistrement (sur lequel deux-cent vingt musiciens du London Symphonic Orchestra apportent un souffle majestueux) s’étale sur plus de 6 minutes !
Sardou appréhende le refus des radios de diffuser un titre si long et changeant souvent de rythme. Revaux, mélodiste de génie mais également directeur artistique et patron de maison de disques avisé, insiste néanmoins pour le positionner en face A d’un 45 tours qui sort en décembre. Et la chanson se retrouve aussitôt en tête du hit-parade, devenant dans la foulée un classique, et même un véritable phénomène de société !
Les Français se prennent de passion pour cette région méconnue de l’Île verte, fantasmant ses lacs, son histoire, son caractère, et l’inscrivent bientôt au programme de leurs vacances. Aujourd’hui encore, 20% de la clientèle touristique du Connemara provient de l’Hexagone, et les voyagistes n’oublient pas de diffuser la chanson qui a rendu l’endroit célèbre lors des trajets en bus.
En novembre 2011, à l’occasion des trente ans de la parution des « Lacs du Connemara », l’ambassadeur d’Irlande Paul Kavanagh a remis à Michel Sardou la « Freedom of Connemara Silver Key» (Les Clefs du Connemara), rendant hommage « à l’œuvre et à l’homme qui ont permis de resserrer les liens fort chaleureux qui réunissent les Français et les Irlandais », et remerciant l’interprète et co-auteur d’une chanson « qui a tant fait pour le Connemara et pour l’Irlande en général ».
L’anecdote : Supposée préjudiciable pour la radio, la structure des Lacs du Connemara s’est avérée un atout pour la scène. Michel Sardou positionna systématiquement le titre à la fin de ses concerts. Pour une raison très prosaïque : après le dernier refrain, ses musiciens pouvaient rejouer les inépuisables thèmes durant sept minutes… soit le temps nécessaire pour que le chanteur puisse sauter dans un taxi et se retrouver à l’hôtel au moment de la sortie du public, évitant ainsi d’interminables séances d’autographes !
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