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Chronique
Gilles Bertin, rattrapé par la réalité
Silens indocile
C’est l’histoire d’un punk braqueur, revenu de 30 ans de cavale pour se réconcilier avec un passé qui n’a jamais vraiment dépassé les Pyrénées.

6 juin 2018. Toulouse. C’est un homme marqué qui se dirige dans les couloirs de la Cours d’assises de Haute-Garonne. Un homme lourd d’un silence et de mensonges qu’il ne veut plus porter. Aujourd’hui âgé de 56 ans, il comparaît pour le braquage de la Brink’s en 1988. Deux ans plus tôt, en 2016, après près de 30 années passées entre le Portugal et l’Espagne, Gilles Bertin a fini par se rendre à la justice de son plein gré, après avoir passé, à pied, la frontière. « Il veut redevenir libre avec sa conscience mais, surtout, il veut cesser de mentir sur son passé pour que son fils ait un avenir », explique à la presse Christian Etelin, son avocat.

Sans violence, ni coup de feu

28 avril 1988. C’est presque un remake du casse du siècle (dernier), celui de la Société générale à Nice en 1976, rendu célèbre par le fameux message « Ni coup de feu, ni violence, ni haine ». Cette fois-ci, pas de côte d’Azur, l’histoire prend place à Toulouse. Et les protagonistes ne sont pas de romantiques grands bandits aux relents de French connection, mais des militants anarchistes, des punks, des musiciens et des toxicomanes de la région bordelaise. Spaggiari dans l’underground.

Parmi eux, Gilles Bertin, chanteur du groupe Camera silens, qui réussit à fuir, à LLoret del mar, laissant derrière lui sa compagne d’alors, et un enfant en bas-âge. Sa trace se perd à Barcelone, il change de nom, ouvre un magasin de disque à Lisbonne, refait sa vie, avec une partie des 11 millions de francs dérobés.

Réalité, référence punk skin

L’aventure du groupe démarre à l’été 1981, dans le quartier Saint-Pierre, alter ego bordelais de la fontaine des Innocents du quartier des Halles à Paris, zone où se retrouvent punks, skins et toutes les marges des contre cultures de l’époque.
Leur nom, Camera silens, fait référence aux cellules d'isolement utilisées pour l'incarcération des membres de la Fraction armée rouge. Pour la jeunesse en rupture post choc pétrolier de 1979, trop jeune pour avoir joué du pavé en 1968, la fascination pour les mouvements radicaux est forte.

En 1982, le groupe remporte le tremplin Rockotone, dans le cadre de la première édition de Boulevard du Rock à la salle des fêtes du Grand Parc, salle municipale de Bordeaux qui voit passer The Clash, The Pogues ou Les Béruriers Noirs. Ils partagent le prix avec une autre jeune pousse bordelaise, Noirs Désirs (encore au pluriel à l'époque). Les deux années suivantes voient le groupe s’affirmer, et étendre son aura au niveau national. Mais c’est aussi le début des problèmes liés à la drogue.

Réalité sort en mars 1985, et demeure l'un des disques punk/skin de référence des années 1980. Une décennie marquée par les excès, le sida (dont Gilles Bertin apprendra qu’il en est atteint au mitan des années 90), et par cette furieuse envie de brûler la vie par tous les bouts. Gilles Bertin lorgne de plus en plus du côté du banditisme, avec des tentatives de braquage, à Nantes notamment. Le « coup » de 1988 mettra définitivement un terme à une aventure déjà sévèrement entamée par la dope et la délinquance.

A propos de sa reddition, il confie au journal Libération à quelques jours de son procès : « Avec Cécilia, ma compagne, j’y pensais depuis longtemps. La naissance de notre fils en 2011 a été le déclencheur. Je ne pouvais pas l’élever dans le mensonge. Même si je risque d’aller en prison, j’ai le sentiment d’avoir fait ce que j’avais à faire ».
Rattrapé par la maladie, les remords de ne pas avoir pu assister aux enterrements de ses parents, de ne pas avoir vu grandir son premier enfant, d’avoir vécu dans le mensonge pendant 30 ans… Rattrapé par la réalité, tout simplement, comme il le chantait pourtant déjà en 1984 : « Car aujourd'hui comme demain / Toujours le même refrain... / La réalité, même refrain et même couplet /Toujours la réalité ».

A lire

Dans ce livre, Gilles Bertin fait le récit de sa trajectoire hors norme au sein de la génération "No Future"

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