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Chronique
Yves Duteil "Prendre un enfant"
Pour toutes les Martine et les Martin

Yves Duteil a hésité à enregistrer cette chanson qui est, au commencement, écrite pour sa fille. En vacances en famille au Portugal, le chanteur termine la composition de son troisième album. En grattant sa guitare, il improvise une mélodie qu’il enregistre aussitôt, puisqu’il ne sait pas écrire la musique.

C’est celle qu’il joue alors que ses proches sont à la plage, après que sa fille a eu un gros chagrin d’enfant.
Instinctivement, il pose les mots « Prendre un enfant par la main » sur sa mélodie neuve. Ce n’est pas une chanson ordinaire, c’est sa chanson à elle, qu’il lui chante comme telle. Quand il l’enregistre, elle apparaîtra sur la pochette de son 33 tours avec la mention de son prénom : Prendre un enfant (à Martine).

Le règne des 33 tours

Produit par Claude Dejacques avec des arrangements de Jean Musy, l’album transforme le jeune chanteur prometteur en une star populaire.

Tour à tour, trois 45 tours d’Yves Duteil atteignent des sommets de ventes et de diffusion à la radio : La Tarentelle, Le Petit Pont de bois et Le Mur de la prison d’en face.

Même en cette année 1977 où le single règne en maître, les règles commerciales sont simples : on n’imagine pas plus de trois chansons promotionnées à la suite pour un album. Seuls des stars de la dimension d’un Michel Sardou peuvent se le permettre, mais certainement pas un artiste de la « nouvelle chanson française » en pleine ascension.

Révélation

Donc, la maison de disques pense qu’il est temps de se mettre au travail sur le prochain 33 tours. Or, pendant un concert, l’influente Monique Le Marcis, directrice de la programmation de la radio RTL, remarque la réaction du public.

D’abord, on entend de brefs applaudissements nourris quand Yves Duteil commence la chanson, qui n’est connu que par le 33 tours. Ensuite, une émotion singulière saisit le public, qui éclate d’enthousiasme à la fin de la chanson – la marque d’une œuvre d’exception.

Universelle, immortelle…

L’expérience et l’éloquence de Monique Le Marcis font le reste : la maison de disques sort Prendre un enfant en 45 tours. La chanson déferle sur les ondes – et pas seulement sur RTL – et, au-delà de toute attente, finira par se vendre à plus d’un million d’exemplaires, ce qui en fait un des plus grands succès de 1978.
Selon l’expression consacrée, elles’impose parmi les « chansons préférées des Français » dans maints classements et sondages pendant des décennies.

Il est vrai que l’émotion est plus large que le seul sentiment paternel : « Prendre un enfant par la main / Pour l'emmener vers demain / Pour lui donner la confiance en son pas / Prendre un enfant pour un roi / Prendre un enfant dans ses bras / Et pour la première fois / Sécher ses larmes en étouffant de joie / Prendre un enfant dans ses bras ».

Parents, instituteurs, grands frères, personnels médicaux, cousines ou grands parents se retrouvent ici ou là de couplet en couplet. Les derniers mots de la chanson (« En regardant tout au bout du chemin / Prendre un enfant pour le sien ») en font même une sorte d’hymne des parents adoptifs. Duteil ne pensait pas à ce sens-là, mais c’est le génie autonome des chansons qui, parfois, trouvent seules le chemin de l’immortalité.

Par Bertrand Dicale

Partition et paroles "Prendre un enfant"
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Bulletin de déclaration "Prendre un enfant"
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L'auteur

Bertrand Dicale

Bertrand Dicale explore la culture populaire.

Auteur d’une trentaine d’ouvrages consacrés à l’histoire de la chanson ou à des vies d’artistes (Serge Gainsbourg, Georges Brassens, Juliette Gréco, Charles Aznavour, Cheikh Raymond…), il est chroniqueur sur France Info (« Ces chansons qui font l’actu ») et auteur de documentaires pour la télévision.

Par ailleurs auteur de que Ni noires, ni blanches – Histoire des musiques créoles, il est membre du Conseil d’orientation de la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage.

Il dirige également la rédaction de News Tank Culture, média numérique par abonnement spécialisé sur l’économie et les politiques de la culture.