Ray Charles, Raymond Charles Robinson, cinq ans, assiste à la noyade de son petit frère dans le baquet d’eau bouillante dont sa mère se sert pour laver le linge. La violence de cette tragédie ainsi que la culpabilité de n’avoir rien fait pour l’empêcher lui provoquent un glaucome. Son innocence, sa candeur, sa légèreté sont déjà mortes. Sa vue va bientôt suivre.
La cécité de Raymond est prononcée à sept ans. On le place alors dans une institution spécialisée. Il y apprendra la composition et s’y perfectionnera comme instrumentiste, avant de lancer sa carrière à la sortie de l’adolescence, conquérant peu à peu son statut de « Genius » et enchaînant les hits au confluent des fifties et des sixties.
La jeune Nicole Grisoni fait la promotion québécoise de son premier 33 tours, sur lequel s’étale le nom de « Nicoletta ».
Apprenant que Ray Charles – l’une de ses idoles – se produit au même moment dans la ville, celle qui est sous contrat avec Eddie Barclay s’appuie sur l’entregent de son producteur afin d’obtenir une invitation au concert, puis d’entrer en loge à la fin du show.
Le courant passe si bien que les deux artistes décident de finir la soirée en dînant dans un restaurant chinois, où la chanteuse originaire de Savoie découpe la viande du Genius tout en savourant son humour. Au moment de se quitter, Ray Charles lui demande de lui laisser un exemplaire de son disque.
Nicoletta reçoit l’appel ému de son nouvel ami, qui lui confie avoir été très touché par le titre Il est mort le soleil, et l’interroge sur le sens des paroles.
Croyant que son interlocuteur est aveugle de naissance, ignorant qu’il a progressivement perdu la vue enfant, elle se demande comment lui faire comprendre ce qu’est le soleil… Puis élude en expliquant qu’il s’agit d’une chanson d’amour : « The love and the sun is the same, and the sun is dead ».
Quelques mois plus tard, Nicoletta reçoit un second coup de téléphone. « Listen Nicole… ». Et, bouleversée, elle entend par le combiné « The Sun Died », la superbe adaptation de celui qui a vu mourir le soleil un peu plus de trente ans auparavant.
Une fois The Sun Died devenue tube en Amérique, les programmateurs des radios françaises changent d’avis au sujet d’Il est mort le soleil, qu’ils trouvaient trop sombre et boudaient jusque-là.
De l’aveu de sa créatrice, la version originale (signée Delanoë et Giraud) se met alors à « casser la baraque ». Le public et de nombreux journalistes croient qu’elle n’est qu’une adaptation de Ray Charles, les interprètes hexagonaux reprenant souvent les succès américains à cette époque.
Crédit photo : Botti/Gamma-Rapho
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