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Chronique
Quand Madelon - Louis Bousquet et Camille Robert
La France en guerre dans une chanson

Depuis 1914, "Quand Madelon" promène son rire et son jupon dans la vie d’un peuple qui a connu l’épreuve effroyable de la Première Guerre mondiale.

« Quand Madelon vient nous servir à boire / Sous la tonnelle on frôle son jupon / Et chacun lui raconte une histoire / Une histoire à sa façon / La Madelon pour nous n'est pas sévère / Quand on lui prend la taille ou le menton / Elle rit, c'est tout le mal qu'elle sait faire / Madelon, Madelon, Madelon ! » : on ne sait combien de millions de fois cette chanson a été chantée…
Depuis 1914, Quand Madelon promène son rire et son jupon dans la vie d’un peuple qui a connu l’épreuve effroyable de la Première Guerre mondiale.

Une chanson d’avant la Grande Guerre

Et s’il ne reste qu’une chanson de cette tragédie collective, c’est ce tableau d’une auberge qui, il y a plus d’un siècle, ressemblait déjà à une fiction idéale : « Pour le repos, le plaisir du militaire / Il est là-bas à deux pas de la forêt / Une maison aux murs tout couverts de lierre / « Au Tourlourou » c'est le nom du cabaret / La servante est jeune et gentille / Légère comme un papillon / Comme son vin son œil pétille / Nous l'appelons la Madelon ».

Mais, aussi étrange que cela paraisse, Quand Madelon a été un bide. Rien de spectaculaire mais, à sa création, quelques mois avant la guerre, la chanson est poliment applaudie. Rien de plus.

En ce temps-là, la France est obsédée par la Revanche à prendre sur l’Allemagne et se délecte de l’art des comiques troupiers.

Inventé par Éloi Ouvrard en 1891, le genre consiste à chanter en uniforme de simple soldat toutes sortes de fantaisies, voire de balourdises, censées représenter fidèlement l’esprit naïf du conscrit.
Après ce pionnier, le plus grand des comiques troupiers est Polin, créateur de La Petite Tonkinoise et du P’tit Objet…
Mais ce n’est pas lui qui donne au genre ses deux plus grands succès, Avec Bidasse et Quand Madelon. Il a refusé ces deux chansons, qui ont échu à un artiste de moindre renommée, Charles-Joseph Pasquier, dit Bach. Avec son air jovial et ahuri, celui-ci crée donc ce refrain : « Avec l’ami Bidasse / On n’se quitte jamais / Attendu qu’on est / Tous deux natifs d’Arras / Chef-lieu du Pas-de-Calais ».
Il nous en reste, par antonomase et pour toujours, le mot de bidasse pour désigner un militaire du rang.

Fin 1913, Bach reçoit Quand Madelon. Louis Bousquet, l’auteur d’Avec Bidasse, a donné des paroles à une marche de Camille Robert qui court les fanfares et les orchestres de kiosque depuis quelques mois. Dans son uniforme de fantassin de fantaisie, Bach crée Quand Madelon début 1914 à l’Eldorado, le plus grand caf’ conc’ de Paris.

La chanson n’a guère de succès. Polin essaye lui aussi Quand Madelon lors d’un passage à Marseille, au printemps 1914. Le public méridional reste froid. Il décide de ne pas chanter cette nouveauté dans son numéro à Paris.

Un succès mondial

Quand survient la guerre, Bach a trente-deux ans et il est mobilisé au 140e régiment d’infanterie à Grenoble, où il crée une autre chanson qui deviendra un classique, La Caissière du Grand Café.

Mais, à Fontenay-sous-Bois, près de Paris, des réservistes du 17e régiment d’artillerie cantonnent dans une école. Parmi eux, un soldat qui, lui aussi, chante à l’Eldorado, mais en tout début de programme, avant de servir des consommations dans la salle. Il s’appelle Sioul et il fait entendre Quand Madelon à ses camarades.
Dès lors, la chanson se répand de casernement en casernement chez les artilleurs, puis dans toute l’armée française, puis chez les soldats anglais et enfin, en 1917, chez les soldats américains qui la rapporteront chez eux – un voyage mondial.

Mais, à l’arrière aussi, on chante Quand Madelon, et on la chante beaucoup.
En évoquant le délassement des soldats, cette chanson fait le lien entre deux univers, et d’autant plus qu’une femme en est l’héroïne. Louis Bousquet n’y avait pas songé, mais c’est la France tout entière qu’il a mise en scène dans sa chanson – soldats et civils, guerre et paix.

Par Bertrand Dicale

Bulletin de déclaration "Quand Madelon..."
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L'auteur

Bertrand Dicale

Bertrand Dicale explore la culture populaire.

Auteur d’une trentaine d’ouvrages consacrés à l’histoire de la chanson ou à des vies d’artistes (Serge Gainsbourg, Georges Brassens, Juliette Gréco, Charles Aznavour, Cheikh Raymond…), il est chroniqueur sur France Info (« Ces chansons qui font l’actu ») et auteur de documentaires pour la télévision.

Par ailleurs auteur de que Ni noires, ni blanches – Histoire des musiques créoles, il est membre du Conseil d’orientation de la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage.

Il dirige également la rédaction de News Tank Culture, média numérique par abonnement spécialisé sur l’économie et les politiques de la culture.