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Chronique
Michel Polnareff – Le Bal des Laze
À un cheveu du succès...

Composé pour être un prodige, "Le Bal des Laze" sera le plus sublime bide de la carrière de Michel Polnareff. Ce n’est pas être aveuglé par la passion pour l’artiste que de dire que cette chanson est au niveau des joyaux de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, l’historique album des Beatles paru en juin 1967, et qui est l’étalon de la perfection pop lorsque, en janvier de l’année suivante, paraît chez AZ le 45 tours EP 1 185.
Une mélodie au pas ample et élégant, le dialogue de l’orgue classique et de la basse électrique, le décor d’une Angleterre classique mi-Thackeray, mi-Brontë : tout est magnifique et révolutionnaire.

À la recherche de la perfection…

Ce chef d’œuvre a été accouché dans la douleur, surtout pour son parolier, Pierre Delanoë.

Polnareff soumet cet auteur prolifique de tubes à une pression à laquelle il n’est pas habitué, exigeant que chaque syllabe ait une belle couleur musicale sans pour autant renoncer à raconter le drame du « vagabond indigne de ce château », assassin du fiancé de son amoureuse. « Dans le château de Laze / Le plus grand bal de Londres / Lord et Lady de Laze / Recevaient le grand monde / Diamants, rubis, topazes / Et blanches robes longues / Caché dans le jardin / Moi je serrais les poings / Je regardais danser / Jane et son fiancé ».

Or, après la longue mise au point du texte, la construction d’arrangements pop d’une sophistication étourdissante pour une production française, un enregistrement au cours duquel Polnareff commence à manifester un perfectionnisme singulier (il fait allumer des centaines de bougies dans le studio pour créer une atmosphère de culte funéraire), Le Bal des Laze ne va pas avoir l’accueil auquel il s’attend sur les radios.

Œuvre bannie

Car le premier vers dit : « Je serai pendu demain matin ».
Pour l’audiovisuel de 1968, c’est d’une crudité inadmissible. Il n’y a plus de censure officielle à l’ORTF mais un « esprit » qui bannit immédiatement Le Bal des Laze : un homme condamné à mort pour avoir assassiné le fiancé de la femme qu’il aime, ce n’est pas un héros pour la radio des années De Gaulle. Sur Europe 1, même, seul Salut les copains programme Le Bal des Laze. Les jeunes lecteurs du mensuel lié à l’émission, qui votent par cartes postales au journal ou, le vendredi, au standard de l’émission, la classent en 9e place du hit parade du 15 février.

La face B qui fait de l’ombre

Mais il y a une face B. Et sa seconde chanson est tellement sympa !

Une petite musique pimpante et ludique, un texte absurde et doucement insolent signé par le seul Pierre Delanoë : « Y a qu'un ch'veu sur la tête à Mathieu / Il n'y a qu'une dent, il n'y a qu'une dent / Y a qu'un ch'veu sur la tête à Mathieu / Y a qu'une dent dans la mâchoire à Jean ».
Les programmateurs commencent à la diffuser et la maison de disque les encourage, pour sauver le 45 tours. Et ça marche ! Y a qu'un ch'veu devient un tube que les gamins dansent en jerk survolté dans leurs surprises-parties et sur lequel les chanteurs de bal s’entrainent à tenir la note interminable qui fait le lien entre la fin de chaque couplet et le début du suivant : « Il y a cinq, saint Michel et saint Jean / Les cinq doigts de la main et puis Cincinnati / Il y a cinq, saint Michel et saint Jean / Ainsi soit-iiiiiiiiiiiil ».

Dans le numéro du 15 avril de Salut les copains, Le Bal des Laze a disparu et Y’a qu’un ch’veu sur la tête à Mathieu se classe en 8e place !

Et il faudra des années pour que la chanson que Polnareff considère comme son chef d’œuvre soit évaluée à sa juste valeur. Il la chante sur scène, l’inclut dans ses compilations mais les radios résisteront pendant des années.
C’est longtemps après 1968 qu’on la considèrera comme une des chansons les plus importantes de cette année.

Par Bertrand Dicale

Bulletin de déclaration "Le Bal des Laze"
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Partition "Le Bal des Laze"
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Texte "Le Bal des Laze"
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L'auteur

Bertrand Dicale

Bertrand Dicale explore la culture populaire.

Auteur d’une trentaine d’ouvrages consacrés à l’histoire de la chanson ou à des vies d’artistes (Serge Gainsbourg, Georges Brassens, Juliette Gréco, Charles Aznavour, Cheikh Raymond…), il est chroniqueur sur France Info (« Ces chansons qui font l’actu ») et auteur de documentaires pour la télévision.

Par ailleurs auteur de que Ni noires, ni blanches – Histoire des musiques créoles, il est membre du Conseil d’orientation de la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage.

Il dirige également la rédaction de News Tank Culture, média numérique par abonnement spécialisé sur l’économie et les politiques de la culture.