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Chronique
"Inch Allah" de Salvatore Adamo
«Je ne regrette rien.»

Si Salvatore Adamo fête aujourd’hui les 50 ans d’une carrière émaillée de nombreux succès, une chanson parmi son prolifique répertoire reste symbolique à plus d’un titre : Inch Allah a défrayé la chronique en 1967, en pleine Guerre des Six-Jours. Retour sur la genèse d’un tube qui a fait polémique.

Dans quelles conditions avez-vous écrit cette chanson ?

C’était en octobre 1966, j’étais en tournée en Israël. Un jour, j’ai entrepris une visite de Jérusalem, comme n’importe quel touriste, une visite très émouvante, parce que je retrouvais les noms bibliques du catéchisme de mon enfance, comme le jardin de Gethsémani ou le Mont des Oliviers.

Et puis, tout d’un coup, la réalité m’est tombée dessus. À un moment, alors que je voulais entrer dans une
chapelle, un soldat m’a repoussé en me désignant un panneau sur lequel était écrit «Danger frontière».

Quand je suis rentré à l’hôtel, la chanson était dans ma tête. Les détails qui peuvent passer pour des métaphores, comme le papillon sur les barbelés, sont en fait la retranscription de choses vues ou entendues.

Et la musique ?

Je l’ai écrite deux jours après, à Eilat. J’étais devant les mines du Roi Salomon, dans la vallée de Timna,
avec ma guitare, et la mélodie m’est venue en contemplant ces montagnes à l’ocre tranchant avec le
vert turquoise du minerai. Je ne me suis aperçu que plus tard que la
musique collait avec les paroles.

Vous doutiez-vous de la polémique que la chanson allait déclencher ? On vous a reproché d’avoir pris parti pour Israël…

Avec la Guerre des Six-Jours, qui a éclaté huit mois après, elle a pris une dimension que je n’avais pas prévue. C’était pourtant un message de paix, et j’avais justement choisi le titre Inch Allah, une expression
arabe, pour le signifier. Mais la chanson a été mal interprétée, elle m’a valu une interdiction qui dure,
encore aujourd’hui, dans certains pays arabes. J’ai sans doute été un peu naïf…

Au fil du temps, il y a eu plusieurs versions de la chanson. Vous avez changé certaines strophes…

Je me suis rendu compte que je n’avais pas suffisamment fait allusion à la souffrance du côté palestinien.
Alors, j’ai voulu nuancer un peu le texte, notamment à l’époque des espoirs de paix et de la poignée de main historique entre Sadate et Begin, en 1979. Pour être équitable, j’ai modifié aussi la fin, qui citait les six millions d’âmes de la Shoah, en évoquant les deux côtés du drame. Du coup, certains m’ont reproché d’avoir retourné ma veste, d’être devenu antisémite, ce qui est un comble !

Avec le recul, comment la considérez-vous, cette chanson ?

J’ai suivi mes émotions, je ne regrette rien. J’étais sincère quand je l’ai écrite, j’étais sincère, aussi,
quand je l’ai modifiée. Une de mes plus grandes joies, c’est d’avoir pu l’interpréter en 2003, en Tunisie, au
théâtre antique de Carthage. Au début, on m’avait suggéré d’éviter de la chanter, mais ça été, pourtant, la chanson la plus applaudie du concert. Ce qui montre que le peuple est capable de comprendre, et que ce sont les dirigeants qui sont parfois rigides et dogmatiques…

Par Philippe Barbot.
Crédit photo : Terrasson/Dalle


L'auteur

Philippe Barbot

Philippe Barbot, journaliste musical de Télérama à Rolling Stone, est aussi l'auteur d’une biographie d'Alain Bashung, de"Backstage"et de "101 Chansons Cultes".
Auteur compositeur interprète, il a publié deux albums de chansons, "Point Barre" et "Dynamo".