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Chronique
Gilles Thibaut et Jean Renard
Que je t'aime

Pendant une dizaine d’années à partir de 1967, le parolier Gilles Thibaut et le compositeur Jean Renard vont signer quelques œuvres majeures de la variété française, accrochant trois des plus grandes idoles des jeunes à leur palmarès.

L’AVANT TANDEM

Gilles Thibaut, de son vrai prénom Lucien, est né le 21 septembre 1927 à Paris. Il est le cousin par alliance de la chanteuse des années 60 Colette Magny.
Dans les années 50, il est trompettiste dans sa propre formation de jazz et croise Sidney Bechet au « Vieux Colombier » à Paris. Il publie même quelques disques à partir du milieu des années 50.
Dix ans plus tard, il devient parolier et adaptateur. Ses deux premiers complices sont les musiciens d’avant-garde Micky Jones et Tommy Brown qui travaillent avec Hallyday et Vartan.
Avec eux, il écrit pour Johnny Hallyday, mais aussi avec ce dernier, dès 1965 (« Cheveux longs et idées courtes » en 1966, « Hey Joe » en 1967). Pour l’idole des jeunes, il signera 38 chansons jusqu’en 1980.
D’autres « idoles » sixties chantent ses mots : Sylvie Vartan, France Gall, Dalida, Marie Laforêt, Georgette Lemaire, Sophie, Marianne Faithfull, Sophie Darel, Noëlle Cordier, Séverine, Christine Lebail, Liliane Saint-Pierre, Annie Philippe (notamment sur une musique d’Alain Bashung avec lequel il écrit aussi pour d’autres), Frank Alamo, Ronnie Bird, Noël Deschamps, Dominique Walter, Larry Gréco, Michel Cogoni, Thierry Vincent, Les Sharks, Les Babs, Les Op’4, Les Jiminis 3, Les Fizz, Les Petites Souris…
Quant à Michel Polnareff, il met en musique son texte sur « Le roi des fourmis » en 1967. Il signe aussi en 1969 un titre pour Lor Thomas, futur Gilbert Montagné.

Jean Renard voit le jour le 4 décembre 1933 à Provins. Enfant, il se passionne pour la musique, apprenant à jouer de l’harmonica, du pipeau, de la clarinette et du piano. A 16 ans, il arrête sa scolarité pour travailler dans l’entreprise de peinture familiale. C’est à la charnière des années 40 et 50 qu’il compose et écrit « Roseline », sa première chanson que l’éditeur Rudi Révil propose à un chef d’orchestre allemand. Elle deviendra « Losing You », le succès international de Brenda Lee en 1963.
Chef d’orchestre durant son service militaire, il devient photographe à son retour à la vie civile. En parallèle, installé à Paris, il fait partie d’un orchestre de cabarets et finit par remplacer le chanteur. Comme il continue à composer des chansons et en place peu (à Colette Renard, François Deguelt, Jean Philippe …), l’éditeur Rolf Marbot l’encourage à les chanter lui-même. En 1960, il signe un contrat d’artiste chez Polydor et publie quatre super-45 tours sous son vrai nom, avant de prendre, en 1962, le pseudonyme de Big Twist, pour deux autres. En vain.
Le soleil commence à briller en 1963 avec le succès de Brenda Lee et celui du « Premier bonheur du jour » par Françoise Hardy. Après une nouvelle tentative de chanteur chez Pathé en 1964, il est « marrainé » par Petula Clark chez Barclay en 1966. Si sa carrière d’interprète ne décolle pas, il connaît des années 60 fastes comme compositeur, alors que l’heure est aux adaptations. Il est même enregistré par toutes les générations : André Dassary, Les Compagnons de la chanson, Colette Deréal (« A la gare St-Lazare »), Mathé Altéry, John William, Les Trois Ménestrels, Colette Rivat, Martine Cerdan, Tereza, Jacqueline Dulac…, mais aussi Monty, Ria Bartok, Nancy Holloway, Geneviève Grad, Jocelyne, Michel Cogoni, Claude Piron, Erik Montry, Erick St-Laurent, Les Missiles, Eddy Mitchell… Il compose pour les artistes d’après le yéyé : Joe Dassin, Nino Ferrer, Cat & Maxime Leforestier… Et bien sûr Petula Clark et même Connie Francis !

La rencontre

C’est grâce au jeune éditeur Francis Dreyfus, que Jean Renard fait la connaissance de Gilles Thibaut qui travaille avec Johnny et Sylvie depuis quelques mois. A l’époque, les éditeurs de musique sont encore des « marieurs » qui présentent des auteurs à des compositeurs avant de proposer les fruits de cette collaboration à un interprète.
De Gilles, Jean va mettre en musique le texte « Par amour, par pitié » que Sylvie a failli ne jamais enregistrer. En effet, alors que Jean veut chanter la chanson, Dreyfus le persuade de la donner à une vedette comme Johnny. Un rendez-vous est fixé avec l’idole dans un studio parisien. Cependant, ce dernier ne viendra pas. En revanche, Sylvie est présente, terminant un enregistrement. Comme elle a déjà chanté les mots de Thibaut, curieuse, elle demande au compositeur de jouer la chanson. Il s’exécute. Le verdict est sans appel : « La chanson n’est pas pour Johnny ! ».

En revanche, la chanteuse la bloque et désire même l’enregistrer sans attendre. Supervisé par Jean et orchestré par Eddie, le frère de Sylvie, le morceau est une réussite : « Par amour par pitié » finit en titre 1 de la face A du super-45 tours qui sort en décembre 1966. Et, non seulement, la yéyé girl fait un nouveau succès, mais on salue la qualité de sa chanson.
Jusqu’en 1974, elle chantera d’autres titres du Tandem : « Noël sans toi », « Deux mains », « Un peu de tendresse », « Le testament », « Quel effet ça m’a fait », « Apprend-moi », « Aime-moi » ainsi que « Bien sûr », laquelle sera cosignée avec l’auteur Michel Mallory. Jean Renard deviendra directeur artistique de Sylvie Vartan.

Sylvie passe avant Johnny

Evidemment, Sylvie finit par présenter Jean à Johnny car ce dernier travaille déjà avec Gilles depuis 1965. Cependant, il faut attendre le super 45 tours de juin 1968 pour que le Tandem décroche une face A : « Entre mes mains ». Il y en aura une dizaine au total, dont « Que je t’aime » en 1969, un tube que Johnny enregistre même en italien (ce sera son seul succès dans la Péninsule) et en japonais.

Comme on ne change pas une équipe qui gagne, Johnny enchaine avec « Caché derrières mes poings », toujours en 1969, le succès « Ceux que l’amour a blessés » en 1970 - à nouveau adapté en italien -, et « Comme un corbeau blanc » en 1973. Trois de leurs chansons resteront des années inédites (« Au nord des îles de Shetland » et « La chanson du roumain » enregistrées en 1970, ainsi que « Sables mouvants » de 1974).
Le Tandem ne reviendra ensuite dans la carrière de Johnny qu’en 1979 et uniquement pour des titres de scène (« L’ange aux yeux de laser », « Comme le soleil », « Moi je t’aime ») créés au Pavillon de Paris à la Porte de Pantin.

Jojo /Cloclo : Deux rivaux pour le même Tandem

En attendant que Johnny craque, Francis Dreyfus ne ménage pas ses efforts pour « vendre » son Tandem à toutes les idoles.
Il propose deux textes de Gilles Thibaut à Claude François dont un mis en musique par Jean Renard : « Dans une larme ». Ce dernier sort en face du super-45 tours de juin 1967.

D’autres titres suivront en 1968 et 1969 (« Pardon », « Après tout », « Petit Jésus »), sans faire de tubes, les yéyés traversant une période difficile après Mai 68. Il faut ensuite attendre un album pour enfants pour qu’on retrouve, en 1976, les signatures du Tandem sur un album de Cloclo : « Timoléon ».

Un titre produit par Christophe pour le chanteur d’avant-garde Alain Kan

En marge des trois idoles, le Tandem placera peu de chansons, peut-être parce que leur éditeur, Dreyfus, est très sélectif.
D’ailleurs, ce dernier propose en 1971 au chanteur d’avant-garde Alain Kan, qu’il produit, de reprendre un titre du Tandem créé quatre ans plus tôt par le futur compositeur à succès, Pascal Auriat. Ce « Pauvre pomme » par Alain Kan sera réalisé par Christophe, un autre artiste que Dreyfus produit alors.
Avant ça, on trouve peu d’autres chansons du Tandem sur le marché : « Je n’en reviens pas » par Hugues Aufray et « C’est en quoi ? » par Katty Line, les deux enregistrées en 1967. Ensuite, c’est en 1970 que Régine grave « La famille animal » et Marcel Amont « Monsieur » qui fait un joli succès lors de son Olympia triomphal de l’année.

L’APRES TANDEM

Gilles, comme Jean Renard, continue à composer pour Johnny Hallyday et Sylvie Vartan, dans la deuxième moitié des années 70.
Pour Johnny, ce sont les incontournables « Requiem pour un fou » et « Ma gueule ». Sans oublier l’album « Hamlet ».
Pour Sylvie, ce sont plutôt des adaptations : « Shang Shang A Lang », « Le temps du swing »…, à l’exception de « L’amour c’est comme les bateaux », un original français. Le milieu des seventies sera faste avec aussi deux titres pour Sardou, deux tubes : « La vieille » et « Je vais t’aimer » Et ce n’est pas tout ! A la même époque, il y a aussi une chanson pour Charden, de retour en solo, et Nicole Croisille.
De 1967 à 1970, l’auteur écrit de nombreux textes pour Claude François, entre autres « Mais quand le matin » et surtout son plus grand standard, « Comme d’habitude ».
A partir de 1970, cet auteur, déjà très convoité, signe aussi avec et pour Christophe « La petite fille du troisième » et « Belle ». En 1971, on note une chanson pour Michèle Torr et une pour Pierre Groscolas. Il en fera une autre pour ce dernier en 1973 avant de signer le fameux « Hamlet » avec lui.
Les années 80 et 90 seront plus calmes avec notamment un titre pour Jean-François Michaël en 1982.
Gilles Thibaut nous quitte à La Hauteville (78) le 2 aout 2000 à 72 ans.

Dès 1970, Jean Renard devient le directeur artistique de Johnny en plus d’être celui de Sylvie. En 1973, il réunit même à nouveau le couple en studio (il l’avait déjà fait en 1969), pour lequel il compose le tube « J'ai un problème » qu’ils enregistrent aussi en italien et allemand.
En marge de sa collaboration avec Gilles Thibaut, Jean compose beaucoup pour les deux idoles, de 1968 à 1982 pour Johnny : « Prend ma vie », « Je t’aime, je t’aime, je t’aime », ainsi que des titres de scène, de 1967 à 1974 pour Sylvie : « Deux minutes trente-cinq de bonheur », « La Maritza », « Irrésistiblement » (un tube en italien). Entre 1967 et 1976, Jean compose aussi quelques titres pour Claude François.
Fort de son succès, et poussé par son artiste, Sylvie Vartan, qui est tombée sous le charme d’un jeune chanteur lors d’une tournée au Moyen-Orient avec Carlos, Jean décide de produire. Son coup d’essai est un coup de maître : Mike Brant. Pour ce jeune Israélien, Jean Renard va non seulement signer des musiques mais des textes, une dizaine de chansons durant deux ans, « Laisse-moi t’aimer », « Mais dans la lumière »…
En 1976, il produit l'américaine Jeane Manson. Il compose pour elle pendant quatre à cinq ans de nouveaux tubes : « (Faisons l’amour) Avant de nous dire adieu », « La chapelle de Harlem », « Vis ta vie » et « J’ai déjà vu ça dans tes yeux » qu’il présente à l’Eurovision Luxembourg 1979.
De la fin des années 60 au début des années 80, il continue de composer pour des artistes de toutes les générations : Mireille Mathieu, Séverine, Maria de Rossi, Téréza… et surtout Rika Zaraï (« C’est ça la France »). Egalement à son palmarès : Dick Rivers, Carlos, Herbert Léonard (qu’il finit par produire), Christian Delagrange (un ex-rival de Mike Brant), le Belge Art Sullivan…
1981 est à nouveau une grande année puisqu’il compose le générique de « Dallas » pour la France. Le morceau connaîtra de multiples versions et sera un énorme succès. Suivront les génériques de « Rémi sans famille » en 1981 et « Amour gloire et beauté » en 1990.
Depuis la fin des années 80, Jean Renard multiplie les projets de spectacles, voire de comédies musicales. Il a aussi essayé de lancer de nombreux artistes, notamment issus des talent-shows comme le gagnant de « The Voice 2 ».
Pendant ce temps-là, Eminem samplait en 2009 son « Mais dans la lumière »... Jean Renard a reçu le Grand Prix Sacem de la chanson française en 2001 et a obtenu en 2008 la Médaille d’honneur de la Sacem pour ses 50 ans de maison.


L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).