Le Loir-et-Cher ne parle pas du Loir-et-Cher mais de la ville. Enregistrée par Michel Delpech en 1977, la chanson compte parmi les chefs d’œuvre qu’il a écrits avec Jean-Michel Rivat (outre "Les Divorcés", "Le Chasseur" ou "Quand j’étais chanteur").
La musique de Michel Pelay n’a d’ailleurs rien à voir avec aucune forme rurale. Pourtant, la musique des villages de jadis est dans l’air du temps : Malicorne fait entendre Salut à la compagnie (part à Dieu), Tri Yann ressuscite La Jument de Michao, La Bamboche clame Quitte Paris, Manu Lann Huel chante Passant par les champs le long de la rivière…
Si Le Loir-et-Cher est un tel succès, ce n’est certainement pas parce que Michel Delpech tend un miroir aux habitants des campagnes mais parce qu’il interpelle les citadins qui, de plus en plus nombreux, n’ont plus de contact avec la France rurale.
Comment n’entendraient-ils pas ces reproches : « Ils me disent, ils me disent / "Tu vis sans jamais voir un cheval, un hibou" / Ils me disent / "Tu n'viens plus, même pour pêcher un poisson / Tu ne penses plus à nous / On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue / On dirait que ça te gêne de dîner avec nous" ».
On ne se souvient plus aujourd’hui à quel point le cheval, le hibou et le poisson avaient été des repoussoirs pour les citadins.
Comme le disait Jean Ferrat dans La Montagne, une douzaine d’années plus tôt : « Depuis longtemps ils en rêvaient / De la ville et de ses secrets / Du formica et du ciné »… Par millions, ils ont quitté la France des fermes, des vignes et des champs pour grossir les villes et en 1931, déjà, la population citadine dépasse la population rurale.
Avec le recul, les démographes, datent de 1975 la fin de l’exode rural en France. A ce moment-là, on ne quitte plus les campagnes et les agglomérations sont majoritairement peuplées de Français nés en ville. Dans cette France-là, on commence à ne plus penser que la campagne est forcément arriérée et que le bien-être n’est forcément urbain.
Le combat contre l’extension du camp militaire du Larzac, à partir de 1973, n’a pas seulement mobilisé des paysans et des hippies. On commence à parler d’une autre façon de vivre. Les aventures de Simon du Fleuve publiées par Claude Auclair dans Tintin, la vague musicale folk, le succès de librairie de Bambois, la vie verte de Claudie Hunzinger, nombreux sont les événements culturels qui convergent vers une remise en cause d’une civilisation urbaine sans contestation ni frein.
Et, une fois de plus, Michel Delpech prend parfaitement le pouls de son pays.
Inauguré par son premier succès, Inventaire 66, son statut singulier de vedette sociologue se confirme : sans que le mot soit complètement entré dans la conversation courante, il confirme que l’écologie convainc peu à peu. Non pas une écologie révolutionnaire comme celle du rapport Halte à la croissance ? publié par le Club de Rome en 1972, mais une écologie du bien-être quotidien.
Exactement l’inverse de l’urgence décrite par Delpech et Rivat : « Je leur dis qu'il faut que je rentre sur Paris / Que je ne fais pas toujours ce que j'veux / Et qu'il faut que je trouve encore un poste d'essence / Que j'ai pas le temps de finir ma bière ».
Ainsi, le petit format du Loir-et-Cher va devenir indispensable aux centaines de groupes plus ou moins professionnels qui sillonnent chaque week-end la France des bals.
Dès lors, il n’y aura pas un village, pas une banlieue, pas un dancing où l’on n’entendra pas les mots de Delpech et Rivat qui disent combien les citadins vivent mal, et combien ils peuvent être nostalgiques de leur campagne perdue.
Par Bertrand Dicale
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