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Chronique
Seul sur son étoile
Bécaud plébiscité par la Tamla Mowtown !

On ne compte plus les standards internationaux (et pas uniquement européens) composés par Gilbert Bécaud : « Et maintenant » (« What Now My Love »), « Je t’appartiens » (« Let It Be Me »), « Le jour où la pluie viendra » (« The Day The Rain Came »), « Mes mains » (« With Your Love »)…
En voici un de plus, peut-être moins connu dans l’Hexagone.

Si on a tendance à penser que tous les standards de Bécaud ont été « parolés » par Pierre Delanoë, « Seul sur son étoile » a été signé avec l’auteur Maurice Vidalin, un autre des quatre complices majeurs de l’Artiste (avec Louis Amade et Claude Lemesle).
L’orchestration est signée Raymond Bernard et le titre est édité par Gilbert Bécaud dans sa société du Rideau rouge.

Pourtant, tout a mal commencé pour ce titre qui n’a pas été un tube en France.
En effet, cette chanson était placée en titre 1 de la face A du super-45 tours de Bécaud en mars 1966, mais c’est le titre 2, « Le petit oiseau de toutes les couleurs », qui a raflé la mise et s’est imposé.
Grâce à ce « Petit oiseau », et à la carrière de Bécaud (les quatre standards cités avaient déjà envahi la planète), le disque est cependant non seulement sorti en 45 tours et en 33 tours en France, mais aussi en 1967 et 1968 en Italie, Espagne, Pays-Bas, Suède, Canada, Afrique du Sud, Brésil…

Pourquoi la chanson marche moins en France…

Si le succès n’est pas au rendez-vous dans l’Hexagone (le super 45 tours se serait vendu à moins de 75 000 exemplaires), c’est que la mélodie est peut-être « trop » « américaine », et le texte un peu trop « général » et pas assez direct (Bécaud chantera d’ailleurs aussi « Seul sur MON étoile » pour le rendre plus « personnel » et efficace).
En effet, ces paroles racontent l’histoire de tous ceux qui sont seuls dans leur vie et qui - en attendant de trouver l’amitié et surtout l’amour – survivent.

Si la chute de la chanson est positive (après la « misère » de la solitude, l’auteur évoque la « magie » d’être à deux), de nombreux mots ou expressions du texte ont dû choquer les médias et le public à la sortie du titre : « Minables », « Moins que rien », « Bons Dieux de comédie »… Sans compter que le mot « étoile », qui fait tant rêver, soit ici associé au problème de la solitude.

Tout ceci n’empêche pas Bécaud le têtu et le provocateur de le chanter lors de ses Olympia de février 1966 et de novembre 1967. Il n’était pas de ceux qu’on décourage facilement.
Ensuite, il faudra attendre le succès international pour que le grand compositeur-interprète la rechante sur scène en France, notamment lors de l’Olympia de fin 1975 où elle ouvrira le spectacle.

A la conquête de l’Europe…

Malgré cet accueil timide, dès 1966, et un peu machinalement - car il le fait quasiment pour toutes ses « Faces A » -, Gilbert Bécaud grave deux versions étrangères de « Seul sur son étoile » : une en allemand, « Allein auf deinem Stern » (adapté quasi littéralement par Werner) - sa carrière Outre-Rhin étant alors très importante -, mais aussi, dès septembre 1966, une en anglais.
C’est cette dernière qui va mettre le feu aux poudres. Il faut dire que ce « It Must Be Her » bénéficie d’un titre plus simple dans la langue de Shakespeare : « Cela doit être elle ». Et que cette adaptation est signée par le célèbre Mack David (auteur notamment des chansons de « Cendrillon »),

Ce texte anglais aura un tel impact que, plus tard, Don Diego ne traduira pas le texte original français en espagnol, mais repartira de la version de Mack David : « Que seas tu ? » (« Ce doit être toi ») ou « Que sea el ? » (« Ce doit être lui ») ou encore « Tiene que ser el » (« Cela doit être lui »). Cette adaptation sera déposée en France, à la Sacem, le 25 octobre 1968, également avec le titre « Solo bajo las estrellas » (« Seul sous les étoiles »). Le sous-éditeur espagnol en sera Clave Madrid.

A l’assaut de la planète…

Mais revenons à cette fameuse version anglaise, qui raconte une histoire différente.

« It Must Be Her » décrit ce qui se passe dans la tête (et dans le cœur) d’un homme amoureux (« It Must Be Him » en sera le pendant féminin). Au premier couplet, après s’être fait une raison, le personnage joué par le chanteur ou la chanteuse se laisse emporter à nouveau par sa passion et prie devant son téléphone pour que l’être aimé soit au bout du fil dès que la sonnerie retentit (« ça doit être elle, ça ne peut être qu’elle… »).
Au deuxième couplet, il se raisonne encore, se dit que la personne en question ne compte plus, qu’elle ne lui fera plus de mal, mais quand le téléphone sonne à nouveau, il replonge...
Ce texte si fédérateur (à qui cela n’est jamais arrivé ?) va y être pour beaucoup dans le succès mondial de la chanson. Ceci dit, une fois de plus, ce n’est pas Bécaud l’interprète qui va l’imposer sur tous les continents.

En mars 1967, c’est la Texane Vicky Carr qui grave la version qui va vraiment lancer « It Must Be Him » à l’international.
Elle est N°3 au Billboard américain et reste classé 11 semaines dès le 30 septembre 1967. C’est ce qu’on appelle un hit !
L’album du même nom termine n°12 au Billboard US en février 1968 et y reste 47 semaines.
Et si, au Pays-Bas, Vikki n’effleure que le hit le 12 août 1967, en revanche, au Royaume Uni, elle atteint la deuxième place en restant classée 20 semaines dès le 1er juin 1967. Qui dit mieux ?
On peut même rajouter que Vikki Carr enregistre aussi la version espagnole « Que sea el ? », et en fera une version italienne, « Si è lui ? » (« Si c’est lui »), signée par le grand Vito Pallavicini, qui a beaucoup travaillé sur les adaptations de succès français en italien dans les années 60 et 70 (Mireille Mathieu, Françoise Hardy, Joe Dassin…)

De la Tamla Motown à Fairouz !

Si, parmi les nombreuses « female vocalists » de la pop qui ont enregistré ce titre, on note la star Shirley Bassey, il y a aussi des artistes plus « soul » ou « rhythm and blues », telles que les chanteuses du groupe de la Tamla Motown : Martha and the Vandellas.
Leur version à la fois très vocale (à grand renfort de chœurs) et, pour une fois à la Motown, plus cordes que cuivres, est exaltante. Le fait que des artistes de la Tamla l’ait reprise prouve une fois de plus que la mélodie est très « américaine ».

Depuis 1967, on ne compte plus les versions sur la planète, ni les adaptations car la chanson va être gravée dans de nombreuses langues… Jusqu’à l’arabe avec la sublime version de l’immense Fairouz.
Sans oublier des dizaines de versions instrumentales par les plus grands orchestres des années 60 et 70.

« I Must Be It, It Must Be A Hit » !
(Cela devait être lui, cela devait être un tube !)

L’ANECDOTE

En 1966, alors qu’on compare un jeune chanteur débutant du nom de Bernard Tapy (futur Tapie) - qui chante un texte de Louis Amade - à Gilbert Bécaud, ce dernier vit ses plus belles années en restant lui-même. En effet, il ne surfe pas plus sur la vague hippy-psyché qui déferle, qu’il n’avait surfé sur la vague yéyé.
Il continue sa route et chante pour toute la francophonie, mais aussi en Italie, en Hongrie et en Allemagne de l’Ouest. Il se produit aussi à Londres et à New York au Longacre Theatre de Boradway. Sous la plume de Hebe Dorsey, Le New York Herald Tribune fait d’ailleurs une savoureuse comparaison : « Bécaud est aussi français que le camembert, mais voyage heureusement beaucoup mieux ».

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L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).