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Chronique
El bimbo - Claude Morgan
Du fils de Tino Rossi à « Police Academy »

Le titre « El bimbo » est signé paroles et musique du compositeur et auteur Claude Morgan, alias Claude Ganem, qui a débuté comme chanteur en 1967 chez Barclay. En 1968, ce dernier connait d’ailleurs un succès d’estime avec « Barbara, Barbarella », une chanson de son deuxième super-45 tours. Une douzaine de singles suivront chez Barclay puis CBS.
Malheureusement, bien avant que le dernier ne sorte en 1978, un accident de voiture prive ce guitariste de l’usage d’une de ses mains et le chanteur doit se résoudre à composer et écrire dans l’ombre.

Si, dans les sixties, Claude a déjà signé des titres mineurs pour Frank Alamo, c’est en 1973 qu’il aligne quelques tubes.
En effet, il compose la chanson lauréate de l’Eurovision « Tu te reconnaitras » interprétée par Anne-Marie David pour le Luxembourg. Egalement « Hasta Luego » pour Hugues Aufray.
Par la suite, il signera un peu pour Dave, beaucoup pour Karen Cheryl et Enrico Macias, quelques jolies chansons pour Gérard Lenorman et un standard de Michel Delpech au Japon….

L’histoire d’« El bimbo » commence d’ailleurs en cette année 1973 où on demande à Claude de composer une musique pour une pièce de théâtre de David Hare mise en scène par Andréas Voutsinas au Théâtre Michel à Paris. Son titre ? « Slag ». Sa vedette ? Brigitte Fossey.
Si la pièce ne marche pas vraiment, la musique devient un succès en 45 tours sous le titre « Slag Solution ». Régine en fait même la promotion dans ses discothèques. Il faut dire que son mari, Roger Choukroun, est impliqué dans « l’affaire ». Claude Morgan le rencontre grâce à Laurent Rossi, le fils du grand Tino, qui va devenir un de ses meilleurs amis dans le métier.

C’est d’ailleurs Laurent, de passage chez Claude, qui, en écoutant la maquette du titre flaire le succès. Tellement persuadé que ce morceau peut faire un tube, Laurent Rossi va produire le morceau, c’est à dire payer le studio (celui du musicien Willy Lewis) et les musiciens (Slim Pezin, Tony Bonfils et donc Willy Lewis…) pour enregistrer une première version instrumentale. Quant aux arrangements, ils sont réalisés par Claude lui-même, qui joue aussi la partie piano et fait les chœurs avec Laurent.

LES MAISONS DE DISQUES N’Y CROIENT PAS !

Après de nombreux refus de maisons de disques qui n’y croient pas (dont Les disques Barclay), Laurent Rossi signe finalement un contrat de licence avec Pathé-Marconi-EMI, la maison de disques de son père. En effet, lui qui chante depuis 1968, l’a pris dans son écurie depuis quelques mois. Le rival de Mike Brant va d’ailleurs y connaître un joli succès d’interprète, toujours en 1974, avec « Jolie Baby Blue », sa première chanson composée par… Claude Morgan.

Mais revenons à « El bimbo », qui est éditée par Marcel Marouani, il sort en 45 tours en juin 1974 avec deux versions par « le groupe » Bimbo Jet, le fameux instrumental d’origine, mais aussi, sur l’autre face, une version chantée par Raoul Zequeira, un chanteur cubain qui - avec son groupe de musiciens latinos - fait les beaux jours, ou plutôt les belles nuits, du Lido à Paris. Ce dernier a même déjà enregistré un 45 tours en 1973 chez Pathé-Marconi. Pour « El bimbo », c’est Zequeira qui improvise lui-même son texte en espagnol lors de la séance d’enregistrement…

Si, en radio, le fait que « le groupe » Bimbo Jet n’ait pas d’image n’est pas un problème, en télévision, c’est plus compliqué…
Surtout quand « El bimbo » devient N°1 de tous les hit-parades, ce qui est le cas dès l’été 1974.
Qu’à cela ne tienne, le « visuel » est assuré par les fidèles musiciens de Claude, mais aussi les danseurs d’Amadéo, le futur chorégraphe du french disco, de Karen Cheryl et Dalida.

ET C’EST PARTI POUR L’INTERNATIONAL !

Un an après sa sortie hexagonale, dès le 26 juillet 1975, « El Bimbo » se classe 10 semaines sur l’imprenable marché britannique, où le titre termine N°12 au UK Singles Chart.
Il se place également très haut aux USA avec une « disco version » signée du célèbre Tom Moulton, laquelle termine N°1 au Billboard Disco Singles, N°2 au Hot Dance Club Play et N°43 au Hot 100 Charts.
Evidemment, le Canada voisin - et notamment le Québec - succombent aussi.

Il faut dire, qu’entre temps, la version du Bimbo Jet s’est exportée en Espagne (N°1 durant 6 semaines à partir du 28 avril 1975, 30 semaines classé et 4ème titre de l’année dans la Péninsule ibérique) et en Amérique du Sud : Pérou, Mexique, Argentine (N°2). Et ce n’est pas tout !
Partout en Europe, « El bimbo » fait des ravages : en Italie (N°3 avec 33 semaines de présence en 1975), Allemagne (8 semaines classé – dont une à la position 26 - dès le 27 janvier 1975), Pays-Bas (qui effleure le hit dès le 26 octobre 1974), Danemark, Hongrie, Turquie…

Le titre aura même plusieurs vies en France, notamment quand il ressortira en 1990 en « Original Long Version 90 » et en « Instrumental Long Version 90 ».

UNE PLUIE DE REPRISES…

Quant aux reprises, on ne les compte plus. Souvent en version instrumentale. Ceci dit, quand « El Bimbo » sera adapté dans des langues étrangères, le morceau ne changera pas de titre, à quelques exceptions près… Une technique qui a déjà fait ses preuves avec « La vie en rose » ou « C’est si bon ».

Parmi les reprises qui ont marqué l’histoire, il faut d’abord noter, dès 1974, celle des Chocolat’s, un groupe produit par les Belges de Mouscron, soutenus par Guy Lux, qui va aussi envahir de nombreux marchés d’Europe mais aussi d’Amérique, jusqu’au Brésil. Ils feront d’ailleurs l’année suivante une « démarque » qui deviendra leur plus gros tube : « Brasilia Carnaval »…

L’autre reprise qui connaît un grand succès est celle du Français installé en Espagne, Georgie Dann. Ce dernier, qui connaît le succès depuis 5 ans de Madrid à Barcelone, va s’imposer comme un chanteur latino avec « El Bimbo », qu’il classe 13 semaines au hit-parade espagnol (dont une à la position 25) dès le 14 avril 1975. Il va même exporter le morceau jusqu’en Yougoslavie et en Grèce, et même aux USA, au Mexique et au Japon. Ce titre restera un de ses plus gros tubes.

En Scandinavie, c’est la Finlandaise Marion qui va faire d’ « El Bimbo » un succès qui va marquer sa carrière.

L’Italienne Gigliola Cinquetti l’enregistrera aussi en espagnol, mais avec un texte réécrit par un auteur local.

En 1989, Buffalo Chavan, une sorte de chanteur-chef indien, en fera également l’hymne de son totem.

Quant aux versions instrumentales de grands orchestres, de Paul Mauriat à Raymond Lefèvre en France, à Percy Faith ou Liberace aux USA, elles vont aussi – et encore plus facilement - traverser les frontières.
En France, les accordéonistes ne vont pas tarder non plus à jouer sur le morceau, d’Aimable à Raymond Boisserie. Et aussi les trompettistes comme Georges Jouvin, Fausto Papetti ou Nino Rosso.
A noter, la version du guitariste français installé au japon, Claude Ciari, avec un arrangement signé d’un pionnier de la musique électronique, Karl-Heinz Schäfer.

BO EN URSS

Cerise sur le gâteau : la musique de la chanson sera utilisée en 1977 dans le court-métrage soviétique écrit par Sever Gansovsky et réalisé par Anatoly Petrov, « Polygon », au message clairement anti-guerre. Les paroles de cette version d’« El Bimbo » sont signées du Sud-Africain Hal Shaper qui a écrit des chansons pour Sinatra, Streisand, Presley et même Bowie.

Et quelle a été la suite d’« El bimbo » en France ?
Comme on ne change pas une équipe qui gagne, « El Bimbo » aura bel et bien une suite. Fin 1975, Laurent Rossi produit « La balanga », toujours composée par Claude Morgan, toujours « interprétée » par Bimbo Jet. Là encore, le morceau s’exportera.

A noter enfin que Claude Morgan a publié en 2020 un premier album d’interprète. Il y chante ses plus grands succès composés pour d’autres artistes… Evidemment, « El Bimbo » en fait partie.

Remerciements à Claude Morgan interviewé par téléphone le 30 avril 2020.

L’ANECDOTE

La chanson fera aussi un come-back planétaire grâce à la série de films « Police Academy » dès 1984. Elle marquera tellement la scène du bar, le « Blue Oyster », qu’elle sera à nouveau utilisée dans trois autres des sept films de la série. Dans le film, c’est la version tango enregistrée en 1982 par le Québécois Jean-Marc Dompierre Et Son Orchestre que l’on entend.

Dernière information : certains sites internet racontent que Claude Morgan se serait inspiré d’une chanson afghane, « Tanha Shodam Tanha » qu’une vedette d’Afghanistan, le chanteur de variété Ahmad Zahir (décédé en 1979), aurait enregistrée sur un 33 tours du nom de « Lylee » en 1971.
Après vérification, on peut quasiment affirmer que « Lylee » serait sorti en 1977 (cf. discographie des « afghan music albums » ci-dessous), faisant de ce « Tanha Shodam Tanha » une adaptation de plus du « El Bimbo » et non pas une version originale (cf. listing en pdf ci-dessous).

Consultez l'intégralité des reprises


L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).