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Chronique
Gérard Bourgeois et Jean-Max Rivière
De Bardot à Gréco, entre variété et chanson…

L’AVANT TANDEM

Jean-Max Rivière nait en 1937. Son père est exploitant d'une salle de cinéma, puis d'un bar à Paris. A la Libération, ce dernier achète la concession d'une plage d'eau douce à Thomery (aujourd’hui en Seine-et-Marne) où il fait venir des artistes. Là, se produisent : Django Reinhardt, Armand Mestral, Roger Nicholas, Robert Lamoureux, Jacques Hélian... Jean-Max, lui, est adolescent et se passionne pour le jazz, même s’il apprécie Luis Mariano et Félix Leclerc. C'est à la fanfare des Arts Appliqués qu’il apprend à jouer de la guitare. En parallèle, il pratique aussi le dessin.
Jean-Max débute sa vie d’artiste en chantant dans des cabarets, à la Colombe, La Bollée, au Cheval d'Or, Chez Pomme, au Port du Salut… Son style est proche de celui de Ferrat. Comme il fait de jolis dessins, il fréquente Montmartre afin de les vendre et sympathise avec un autre artiste graphique, Louis Bardot, alias Pilou, père de Brigitte et Mijanou. Celui-ci l'invite souvent à dîner car les deux hommes aiment échanger sur la peinture et la poésie. En parallèle, dès 1959, il place des chansons à Simone Bartel puis Joël Holmes. Déjà connu, le musicien de jazz Claude Bolling lui met un autre pied à l’étrier.

Gérard Bourgeois nait en 1936. Son père travaille au cinéma Pathé-Francœur à Paris. Adolescent, le jazz le passionne et notamment l’Orchestre de Jacques Hélian et son chanteur Jean Marco, même s’il prépare son avenir en étudiant : Maths Sup, Maths Spé…
C’est en 1956 que Gérard est emmené par son père chez Patachou afin de découvrir Brassens. C’est une Révélation qui lui donne envie de jouer les chansons du grand Georges, alors qu’il ne pratique pas la guitare. Vers 1960, Gérard succède à Pierre Barouh comme chauffeur de Madame Breton, la fameuse « Marquise », veuve du grand éditeur, notamment de Charles Trenet. La même année, on le retrouve comme compositeur sur des disques de Jocelyne Jocya (avec Michel Vaucaire comme parolier) et Danielle Rouillé...

La rencontre autour de BB

Les deux garçons se rencontrent en 1962 lors d’une soirée chez une amie commune. Gérard a déjà lu le nom de Jean-Max dans la presse car ce dernier vient d’écrire « Sidonie » pour Bardot (sa toute première chanson, sans contrat d’artiste, uniquement gravée dans la BO du film « Vie privée » qui sort en super 45 tours en février 1962). S’ils sympathisent tout de suite, ils ne savent pas qu’ils sont partis pour 10 ans de création commune.

Et comme Jean-Max est un peu devenu « le fils » de la famille Bardot, après avoir joué dans « Le repos du guerrier » de Vadim et « Tire au flanc » de Truffaut, il enregistre un duo avec BB « Tiens, c'est toi ! » signé avec Michel Jourdan. La suite est connue : début 1963 sort le premier 45 tours de BB chez Philips qui comprend « La Madrague » et aussi « L’appareil à sous » (signé Gainsbourg). Les chansons sont enregistrées au Studio Walker, Place Clichy à Paris.
Devant le succès du disque, très vite, Philips décide de publier un second EP (Extended Play ou Super 45 Tours) avec deux titres de Jean-Max avec Claude Bolling, puis un premier 33 tours et même un premier 30 cm où on retrouve une seconde chanson du Tandem : « C’est rigolo ».

Cependant, c’est « La Madrague » qui marque vraiment les esprits, si fort que, dès le deuxième 30 cm en 1964, le tandem ne signera plus qu’ensemble pour Brigitte. 18 titres au total, y compris ceux cosignés avec d’autres - notamment la chanteuse Gloria Lasso -, et ceux adaptés. Ce que l’on sait moins, c’est qu’ils deviennent aussi producteurs des disques de BB dès l’été 1966, quand celle-ci quitte Philips pour les Disc’AZ, filiale d’Europe N°1 dirigée par Lucien Morisse. Ils produiront même un 30 cm en 1967 100% gainsbourien, sans signer une seule chanson. Aucun producteur ne peut lutter contre une femme amoureuse.

Du son mais aussi du sens pour les yéyé

Ce succès avec « la plus belle femme du monde » va également leur permettre de remplir leur carnet de commande, et d’écrire pour les yéyés (y compris britanniques comme Sandie Shaw) jusqu’en 1966, année où cette vague commence à se calmer. En attendant, comme tous les créateurs de l’époque, ils doivent se résoudre à faire beaucoup plus d’adaptations que de chansons originales, les artistes du genre préférant reprendre des succès ayant fait leurs preuves ailleurs, souvent en copiant même à la lettre, ou plutôt à la note près, les orchestrations.

Ils vont aussi pouvoir publier des 45 tours d’interprètes écrits à quatre mains. Ensemble ou séparément, quatre ou cinq chacun : Jean-Max enregistre notamment « La Madrague » et Gérard Bourgeois « A la fin de l’été » repris par BB, Darrieux, Orlando et même Hardy, y compris en italien. Ensemble cela se fera sans ou avec pseudos (Gérard Cépa et Jean-Max Novrénon), notamment pour des chansons en l’honneur d’Astérix, qu’ils ne signent pas, toujours en 1966.

Si on regarde de plus près leurs adaptations yéyé, on constate que celles-ci sont bien mieux écrites que la moyenne, dans le son comme dans le sens. Notamment, en 1964, le fameux « A présent tu peux t’en aller (si seulement tu m’avais dit la vérité) » qu’enregistrent Richard Anthony ou les Surfs. L’adaptateur espagnol, au lieu de repartir de la version originale (« I Only Want To Be With You ») va même jusqu’à reprendre leur idée de texte, d’ailleurs opposée à l’idée d’origine (« Ahora te puedes marchar »).

De l’énergie mais aussi de l’émotion

Et si leurs textes peuvent faire sourire sur des musiques rythmées qui donnent envie de danser, ils peuvent aussi émouvoir comme c’est le cas de « L’amitié » que le Tandem signe paroles et musique pour Françoise Hardy en 1965. Un incontournable de la chanteuse qui va même en graver une adaptation en anglais, « So Many Friends » (par Julian More), alors qu’elle est la seule french yeye girl à se classer dans les tops britishs.
L’année suivante, la fiancée de Jean-Marie Périer, le photographe vedette de Salut les Copains, chantera aussi leur « Rendez-vous d’automne » que Françoise adaptera une fois de plus en anglais : « Autumn rendezvous » (par Meredith).

Plusieurs autres yéyé girls interpréteront leurs chansons : Sylvie Vartan (« Ballade pour un sourire », y compris en flamand), France Gall, Michèle Torr, Alice Dona, Ria Bartok…
Egalement des hommes comme Frank Alamo ou le Québécois Donald Lautrec.

A noter qu’ils vont aussi faire partie des chanceux qui vont adapter les Beatles en français (« Help » devenu « Au secours »). En effet, à l’époque les éditeurs prévoient que les adaptateurs touchent aussi des droits sur les diffusions des versions originales. Sans limite dans le temps.

Variété yéyé mais aussi chanson à texte

Après son frère Orlando, Dalida les mettra aussi à son répertoire en gravant en 1966 un titre à la gloire de la tauromachie : « (Manuel Bénitez) El Cordobes ». Grâce à Radio Luxembourg, cette chanson – qui est reprise par Luis Mariano - marque même le début d’une amitié entre Gérard et l’historique toréro.

Il est de plus en plus évident que les deux garçons travaillent autant le sens que le son des mots qu’ils emploient. Et c’est certainement, la qualité de leurs textes qui va pousser l’amoureuse des poètes, Juliette Gréco, à enregistrer en 1966 « Un petit poisson, un petit oiseau » (écrit à l’origine pour Bardot).

Il suffirait de presque rien : la consécration !

Et ce n’est pas tout. Grace à Serge Reggiani, ils vont faire taire les derniers critiques. En effet, l’immense acteur - devenu chanteur le tard - enregistre l’époustouflant « Il suffirait de presque rien » en 1968. La chanson – qui n’est pourtant pas commercialisée en titre principal de la face A d’un super-45 tours - restera parmi les plus marquantes de sa carrière, une véritable gifle en mots et en notes.

Au milieu des reprises de Boris Vian et des inédits signés Georges Moustaki, il grave en 1970 le magnifique « Gabrielle » sur l’histoire de Gabrielle Russier, ce professeur amoureux de son étudiant qui inspire aussi le film « Mourir d’aimer » et la chanson d’Aznavour. Mais toujours pas en titre principal du 45 Tours.

Rivière et Bourgeois garderont durant toutes les années 60 leur coté bohème, ce qui leur vaudra d’être aussi enregistrés par la rive gauche : Gribouille leur doit même son plus grand succès : « Mathias », qu’elle cosigne en 1968.
On aurait pu aussi citer leurs chansons pour Dick Rivers (avec Eric Charden), Marcel Amont, Dario Moreno, Tino Rossi, Les Compagnons de la chanson, Jean-Claude Pascal, Francis Linel…, mais la liste serait trop longue.

Quand cela se termine avec Brigitte en 1968, car elle décide de travailler avec Gérard Lenorman et surtout Guy Bontempelli (avec lequel Gérard signera « Quand je vois passer un bateau »), le Tandem vit ses dernières belles heures. En effet, quelques mois après la fin de leur histoire avec la star N°1 du cinéma mondial, les deux complices mettent fin à leur collaboration vers 1971, mais resteront en contact jusqu’au bout.

Cerise sur le gâteau, en 2009, le chanteur Robin Thick (Featuring Jay Z) enregistrera « Meiplé », un titre de rap sur laquelle ils sont crédités à la Sacem, et ce pour un « sample » de « Moi, je joue ».

L’APRES TANDEM

Nous sommes dans les années 70. Jean-Max Rivière aide Jim Larriaga à débuter – ensemble ils s’occupent de Carlos - avant que ce dernier ne lance Roméo, Julie Bataille… Jean-Max retravaille avec Hardy avant de participer au premier opéra-rock hexagonal, « La Révolution Française » de Schönberg et Boublil en 1973.
Au milieu des années 70, Jean-Max devient l’éditeur du jeune Didier Barbelivien, de Jean-Michel Caradec et produit aussi les débuts de François Valéry.
Dans les années 80, s’il produit un album de Marie Laforêt, cinq de Jesse Garon, il participe aussi au lancement du « Yaka Dansé » de Raft et écrit le dernier 45 tours de BB en 1982, davantage un outil de promotion de la nouvelle BB qui se bat pour la cause animale. Après quoi, il conçoit pas mal de jeux de société avec Le Club Med, Bayard Presse...
Dans les années 90, il finance le premier disque de Sophie Forte. Aujourd’hui administrateur de la Sacem, il dirige sa maison d’édition Media Max. Il a été nommé Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres en 2016. Sa fille Prunella fait partie des Sea Girls.

Gérard enregistre en 1973 un 45 tours simple en duo avec l’animatrice de RTL, Anne-Marie Peysson.
Puis, il écrit avec et pour Barbara, dont il devient intime, « L'homme en habit rouge ».
C’est lui aussi qui va collaborer au lancement de Jean Guidoni.
Dans les années 80, il croise la vie de Marie Laforêt, mais cela n’aurait duré que « 12 jours » (Gérard au magazine Platine le 25 avril 1995), et la carrière de Sabine Paturel.
Dans les années 90, il écrit un opéra avec Guy Bontempelli sur le torero français Nimeno 2 (mort d’une cornada) et dirige un théâtre sur le site du Futuroscope de Poitiers, dont la troupe fait des aussi des tournées. Il nous quitte le 8 juillet 2016.


L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).