C’est le 25 septembre 1964 que Charles Aznavour dépose une nouvelle chanson à la Sacem, où cette dernière est commercialisée sur un super-45 tours avec quatre titres orchestrés par Paul Mauriat.
Certes, « Hier encore » - c’est le nom de la chanson - est placée en face A, mais elle n’occupe cependant que la deuxième position sur le vinyle. En pole position, on trouve le morceau sur lequel sa maison de disques Barclay mise : « Que c’est triste Venise ».
Au cœur des années yéyé, ce « Hier encore » n’est donc pas destiné à faire un tube. D’autant plus que, si le 33 tours - publié également en 1964 -, comprend aussi ce morceau, il compte un deuxième « rival » dans la course au tube : « Le temps ».
De plus, à l’heure où les teenagers sont devenus les cibles privilégiées du marché du disque hexagonal, voire occidental, les paroles de cette chanson s’adressent surtout aux « croulants », c’est à dire aux « anciens » en langage yéyé… En effet, alors que le chanteur vient à peine de fêter ses 40 ans en mai 1964, les paroles évoquent les réflexions d'un homme mûr, voire âgé, qui fait le bilan de son parcours. Ce dernier se rend compte qu'il a gâché sa vie, qu’il a « gaspillé le temps », avec des projets jamais concrétisés, des espoirs vains, des folies nocturnes… en vivant même à cent à l’heure dans l’arrogance de sa jeunesse et la prétention d’être plus fort que tout.
Elle est un peu la suite (ou la sœur jumelle) de « Sa jeunesse » publiée en 1956. Elle sera peut-être aussi une source d’inspiration pour le futur « My Way » de Paul Anka.
Barclay commence par publier la version française sur un super 45 tours en Espagne et au Portugal dès l’automne 1964. Suivront un simple 45 tours en Grèce en 1966 et au Japon en 1971, un 33 tours au Québec en 1964 puis en 1967, en Israël dès 1964, aux USA en 1965, au Japon en 1967 puis en 1969…
Et comme partout elle séduit par sa mélodie et le thème de ses paroles (preuve que les jeunes ne sont pas les seuls à acheter des disques), Charles va désormais la chanter dans tous ses concerts dans la francophonie et bientôt encore davantage dans les pays anglo-saxons.
En revanche, si on peut aussi acheter dans les magasins de la péninsule ibérique un super 45 tours où l’on trouve « Venecia sin ti », l’adaptation espagnole « Que c’est triste Venise », pas de trace de « Hier encore » dans la langue de Cervantes. Aznavour est pourtant le chanteur N°2 en Espagne derrière les Beatles en cette année 1964.
1966 va marquer un tournant. Charles Aznavour enregistre « Hier encore » dans une version anglaise au texte signé par Herbert Kretzmer avec lequel Aznavour – très difficile en matière d’adaptations - a travaillé souvent dans sa vie. Les paroles anglaises sont bien plus sophistiquées que les françaises.
Ce « Yesterday When I Was Young » se retrouve aussitôt publié aux USA et au Canada sur un 30 cm aux côtés de ses succès des années 50 et 60 également en versions anglaise.
Quant au live de l’Olympia 1967, il est publié en 33 tours en France, mais aussi au Canada, en Espagne, au Brésil, aux USA et au Japon en 1968 ou 1969.
Grâce au succès de Roy Clark, les années 70 vont voir l’apogée du titre avec des enregistrements en anglais par toujours plus de vedettes internationales : Shirley Bassey, Dusty Springfield…. Également des versions italiennes, espagnoles, suédoises, hollandaises…
C’est certainement aussi grâce à l’écho du succès de Roy Clark que la version anglaise d’Aznavour entre dans les classements des Pays-Bas pour 11 semaines le 19 décembre 1970. Elle grimpe jusqu’à la troisième place.
Ce « Yesterday When I Was Young » par son créateur va également sortir un peu partout en Europe, jusqu’en Turquie et à l’imprenable Royaume-Uni en 1971.
Pour le dixième anniversaire de la chanson, en 1974, Charles décide même de la réenregistrer en anglais avec une orchestration nouvelle de Del Newman pour un album distribué partout dans le monde.
L’année suivante, sur la même bande orchestre de Newman, il grave une nouvelle version française. Celle-ci sort sur un 30 cm nommé « Hier… encore », preuve que la chanson est devenu un standard également en France. Ce 30 cm sera distribué au Canada, au Japon…
Il y a fort à parier que c’est aussi grâce au succès américain que Charles se décide à l’adapter en italien dès 1970. Pour cela, il demande à deux grands auteurs de la péninsule, Alberto Testa et Rapetti alias Mogol, d’écrire le texte.
« Ieri si », est publiée en face A de simple 45 Tours, « La bohème » se contentant de la face B. Le titre figure aussi sur un 30 cm, toujours en 1970, avec les grands succès de Charles en italien…
Et l’ex-secrétaire de Piaf ne va pas s’arrêter en si bon chemin. En 1971, il entre en studio pour la version espagnole, « Ayer Aùn (Ayer cuando era joven) », dont les paroles ont été signées par le grand auteur Don Diego, un autre fidèle d’Aznavour. « Ayer Aùn » sortira en 30 cm en Espagne et dans toute l’Amérique latine dans ces années 70 : Argentine, Chili, Uruguay, Mexique… Egalement aux USA pour la communauté hispanophone.
Et si cette version espagnole se trouve aujourd’hui sur des compilations CD dans de nombreux pays hispanophones, c’est peut-être qu’elle est devenue un standard.
Depuis, la chanson n’a cessé d’être reprise.
Dans les années 90, un deuxième texte anglais (« How I Love You ») est enregistré notamment par Engelbert Humperdinck.
Et c’est en 1994 que Charles Aznavour la chante en duo avec Patrick Bruel à l’occasion des Enfoirés au Grand Rex.
Cerise sur le gâteau : en 2018, Fred Blondin enregistre une version au texte de Grand Corps Malade. Il faut dire que le manager du slammeur, Jean Rachid, n’est autre que le gendre du créateur.
Quand un titre traverse autant l’Histoire, cela signifie qu’il y est entré. « Hier encore » a de beaux lendemains devant lui.
Un standard chaabi inspiré par « Hier encore » !
Youcef Driss, un journaliste-auteur algérien, fait, en 2012, une révélation lors de l'émission radio « Ehzam el Ghoula » sur la station locale de Tizi-Ouzou. Une révélation sur son parent cheikh el Hadj El Hachemi Guerrouabi, l'une des figures de proue de la chanson chaabi.
En effet, et contrairement à ce qui avait été dit, la chanson « El Bareh » n'aurait pas été écrite par le grand compositeur algérien Mahboub Safi Bati pour le chanteur vedette Mohamed Lammari - qui a refusé de la chanter - mais c'est bien El Hachemi qui en aurait apporté l’idée à Mahboub Safi Bati.
Ainsi, Youcef Driss raconte : « C'était en 1972, j'allais sur Tizi-Ouzou pour assister à la rencontre de football JSK-USMA (2-2). El Hachemi m'avait demandé s'il pouvait venir avec moi assister au match et voir un peu la famille qui vivait dans cette ville. Le lendemain, on était venu avec ma voiture... C'était pourtant lui qui conduisait, alors qu'à l'arrière, il y avait Said Touati, son ami fidèle. Sur la route, c'était moi qui insérais les disques en vinyle à l'époque. Après avoir écouté ceux d'El Hachemi, j'avais introduit un disque d'Aznavour dont j'étais un fan. C'était celui où il chante « Hier encore j'avais 20 ans ». Guerrouabi m'avait demandé de la lui faire écouter une autre fois. Puis, il se retourna vers son ami Said en lui disant : « Cette chanson mérite bien d'être reprise en arabe ». Said lui rétorqua que ce serait intéressant de la traduire. De retour de Tizi-Ouzou, nous l'avions encore écoutée. Le lendemain, il se présenta chez moi il me demanda si je pouvais lui passer le disque entendu la veille dans ma voiture. C'est ce que j'ai fait. C'est ainsi qu'il le fit entendre à Mahboub Bati. Ils ont travaillé ensemble sur le sujet avant que ne soit mise sur le marché cette chanson d'« El Barah kane fi oomri Aachrine » qui a tout de suite rencontré un succès fulgurant. Ainsi donc « Hier encore, j'avais 20 ans » d'Aznavour a été l'inspiration pour « El Bareh » de El Hachemi Guerrouabi qu'Enrico Macias a aussi reprise (Ndlr : à l’Olympia 2006). »
L'auteur