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Chronique
Aimé Barelli et Henri Contet
Le parolier de Piaf et le chef d’orchestre du Sporting-Club Monte Carlo

De la fin des années 40 à la fin des années 50, Henri Contet travaille avec Aimé Barelli qui a épousé la grande rivale de la Môme : Lucienne Delyle. Pour cette voix gorgée d’émotion, et quelques autres artistes, ces deux créateurs écriront ensemble une quarantaine de chansons.

L’AVANT TANDEM

Aimé Barelli est né le 1er mai 1917 dans le village de Lantosque, dans la vallée de la Vésubie près de Nice (Alpes Maritimes).
La musique le passionne dès son plus jeune âge, et notamment le jazz. En 1933, Aimé Barelli a 16 ans. Le jeune homme commence sa carrière de trompettiste au Palais de la Méditerranée à Nice. Il est, par la suite, engagé au Palm Beach de Cannes.
Au début de la guerre, on le retrouve à Paris dans l'orchestre de Fred Adison, puis, durant toute l’Occupation dans celui de Raymond Legrand où il fait la connaissance de sa future femme, la chanteuse vedette Lucienne Delyle (qui enregistre depuis 1938), rivale surdouée d’Edith Piaf. Ensemble, ils auront une fille en 1947, Minouche. En parallèle, Aimé forme dès 1940 le groupe Le Jazz de Paris et enregistre même, l’année suivante, au sein de la formation de Django Reinhardt. En 1944, il crée son propre grand orchestre - qui comprend jusqu’à 26 musiciens – qui se produit à Paris, à l’Aiglon puis aux Ambassadeurs.

Henri Contet est né le 8 mai 1904 dans le hameau d’Anost situé dans le Haut-Morvan (Saône & Loire).
Après un Baccalauréat, il fait partie des 600 élèves qui suivent les cours de l’école d’électricité et de mécanique industrielles (EEMI) de Paris. Promotion 1923. Passionné de chanson, il fréquente les music halls et épouse une chanteuse et actrice des années 30 : Charlotte Dauvia, son ainée de plus de dix ans.
Celle-ci lui permet d’approcher le monde des artistes, d’écrire dans la presse, de tourner quelques films et de croiser la route de l’auteur de chansons Pierre Bayle avec lequel il collabore, notamment sur des titres enregistrés par Lucienne Boyer comme le succès « Si petite ». Il ne co-signe cependant qu’une chanson avec ce dernier : « Traversée » en 1936. C’est durant l’Occupation qu’il fréquente Edith Piaf et commence à écrire des chansons pour elle.

La rencontre

En 1946, Lucienne Delyle, qui triomphe depuis quatre ans avec son « Amant de St-Jean », fait partie, avec Edith Piaf, de ce qui reste de la chanson réaliste. En effet, la Libération démode le genre et on voit fleurir de nouvelles chanteuses plus « sentimentales ». Cette année-là, Lucienne enregistre « Un air d’accordéon » et « Printemps » qu’Henri Contet a écrit sur des musiques de Paul Durand. Aimé Barelli se contente de signer les arrangements de ces deux chansons.
Cependant, toujours en 1946, Lucienne Delyle grave sur un 78 tours Columbia/Pathé un titre parolé par Henri Contet mais, cette fois, mis en musique par son mari, Aimé Barelli, qui débute comme compositeur. La chanson s’intitule « Pour lui », c’est un « slow chanté », éditée aux Editions Musicales Nuances. La chanson est reprise, quelques mois plus tard, par la chanteuse de l’Après-Guerre, Jacqueline François avec une orchestration de Paul Durand. Il est d’ailleurs intéressant de comparer les deux versions. En effet, si le titre s’inscrit définitivement dans le genre « sentimental », Lucienne ne peut renier son passé « réaliste » et livre un enregistrement plus rugueux, moins soyeux que celui de Jacqueline. D’autres arrangeurs signeront des arrangements : de Léon Nègre à Léo Poll, le père de Michel Polnareff. Aimé Barelli en gravera aussi une version orchestrale, toujours chez Pathé.

On ne change pas une équipe, ni un Tandem, qui gagne. Le succès de « Pour lui » encourage Henri et Aimé à continuer. C’est le début d’une collaboration, mais aussi d’une amitié qui va durer jusqu’à la mort du compositeur.
Dès 1947, le Tandem signe aussi des chansons avec des tiers comme le compositeur Jack Ledru (« Un jour d’amour » pour Lucienne Delyle). Et si le Tandem écrit principalement pour Lucienne, il « place » cependant quelques autres titres auprès de divers interprètes. En 1948, « Bonjour Amour (J'ai Une P'tite Bonne Femme Dans Mon Coeur) » est enregistré par Henri Decker, le mari de Jacqueline François.

Des chansons pour la France rurale…

Parmi la quarantaine de titres que le tandem signera pour Lucienne Delyle et qui seront également enregistrés par quelques autres, notamment des orchestres et des accordéonistes, on note pas mal de succès.

A l’aube des années 50, la France de la Quatrième République est encore très rurale et campaniliste. La chanson est, comme toujours, le reflet de son époque, ne serait-ce que pour vendre plus de disques. Henri Contet écrit donc un texte qui tient compte de ces deux éléments : « Si tu viens danser dans mon village ».

Et, alors qu’il triomphe au niveau international avec Paul Durand, il confie cependant ce texte à son copain Aimé, moins « parisien » que Durand. Il faut dire aussi que l’auteur l’a écrit en pensant à Lucienne Delyle, « leur » chanteuse, certes à l’accent « titi parisien », mais dont la simplicité – notamment dans l’apparence - plait aux provinciaux. Si Aimé est, comme toujours, le chef d’orchestre de la séance d’enregistrement de son épouse, il en confie, comme très souvent, les arrangements (on parle alors d’ « orchestrations ») à son copain Mario Bua.

Comme son titre aurait pu le laisser supposer, « Si tu viens danser dans mon village » est une chanson qui va être pendant des années le grand succès des bals populaires, très répandus dans ces années 50. Au grand bonheur de son éditeur, les Editions Continentales qui va écouler petits comme grands formats (partitions). Il faut préciser que, non seulement Lucienne Delyle l’a enregistré, mais également André Claveau, Marie-José, Jacques Pills, Evelyn Dorat, Roberta, Léo Marjane (devenue Marjane)… et de nombreux accordéonistes.

Des chansons de films musicaux…

Depuis le « Jazz Singer », en 1927 aux Etats-Unis, le cinéma est devenu parlant et surtout chantant partout dans le monde. En France, toutes les vedettes populaires acceptent des rôles ou plutôt des « figurations chantées », de Luis Mariano à Edith Piaf. Il faut dire que le cinéma est alors un moyen de faire la promotion des chansons… et des artistes qu’on ne peut voir alors que sur scène ou sur grand écran, le petit ne faisant que balbutier.

Voilà pourquoi le Tandem crée avec l’auteur de Ray Ventura et de ses fameux Collégiens, André Hornez, une série de chansons pour le film musical « Les joyeux pélerins » en 1950 (« Rosita », « Est-ce que ça vous plait ? », « Chapeau de toile (Prière noire) » et « Mon cœur attendait »).

Voilà aussi pourquoi Lucienne Delyle accepte d’apparaître dans « La route du bonheur » de Maurice Labro en 1953, un film prétexte à découvrir un maximum de chanteurs et de chansons. Elle y chante, en duo avec son mari, « Ca marche », un titre de 1952, signé par Henri et Aimé, enregistré au Théâtre des Champs Elysées. Et autant dire que ça swingue ! Jusqu’en Italie où le film sort sous le titre « Saluti e baci ». Déposé aux Editions France-Vedettes, le morceau est repris par de nombreux accordéonistes et orchestres de Fred Adison à Emile Carrara…

Juste avant, notre Tandem avait confié à la même édition d’autres chansons enregistrées par Lucienne Delyle : « Le monsieur aux Lilas » (également gravé par André Claveau), « Ca nous est arrivé »...

… Mais aussi Jacques Tati et Monsieur Hulot !

On finira la partie cinéma avec le titre du film culte de Jacques Tati : « Les vacances de Monsieur Hulot » en 1953. En effet, si « Quel temps fait-il à Paris ? » est composé par Alain Romans et parolé par Contet, Aimé Barelli en signe une orchestration pour son Grand Orchestre. Également pour Lucienne Delyle…

A nouveau édité par France-Vedettes, ce titre est également repris par la « Mademoiselle de Paris », Jacqueline François, fidèle de Contet.

Lucienne Delyle disparaît prématurément

Autre temps, autres mœurs. Aimé Barelli n’essaie pas de composer toutes les chansons pour son épouse et la laisse libre d’enregistrer ce qu’elle ressent. C’est pour cette raison – et aussi grâce à sa voix chargée d’émotion - qu’au milieu des années 50, Lucienne est devenue une vedette qui triomphe sur les plus belles scènes de l’Hexagone (Olympia, Bobino…) et chante les auteurs et compositeurs français les plus populaires, mais aussi les adaptations anglo-saxonnes ou italiennes très à la mode.

En 1959, alors que la chanteuse vient de quitter Pathé pour Barclay, et que le Tandem lui a donné peu de succès depuis des années, ce dernier lui offre une dernière chanson, « Ah ! ça, c’est beau ».
Dernière chanson car Lucienne est malade. Elle est atteinte d’une leucémie et cesse d’enregistrer en 1960, avant de disparaitre deux ans plus tard, à peine âgée de 49 ans.

Le Tandem laisse la place à Gainsbourg…

Après ce drame, il faudra des années - et une bonne raison - pour qu’Henri Contet et Aimé Barelli se décident à réécrire ensemble. La bonne raison s’appelle Minouche.

En effet, la fille de Lucienne et d’Aimé s’est lancée à 18 ans, en 1965, dans la chanson. Elle a même décroché un contrat chez CBS qui vient de s’établir en France. Et, comme le premier super-45 tours n’a pas marché, Aimé et Henri essayent de l’habiller « sur mesure » pour le second.
Malheureusement, ce super microsillon avec quatre chansons du Tandem, dont « Goualante 67 », ne marche pas mieux, malgré les orchestrations confiées à l’arrangeur de Brel : François Rauber. Il faut dire que Minouche chante comme sa mère, avec cet accent titi parisien, proche d’une gouaille faubourienne, pas très en vogue dans ces années yéyé.

Pour le troisième super-45 tours, Aimé, chef d’orchestre du Sportif Club de Monte-Carlo depuis plus de 15 ans, réussit cependant à imposer sa fille afin qu’elle représente Monaco à l’Eurovision 1967. C’est Serge Gainsbourg qui signe le morceau (« Boum ba da boum »). Les onomatopées gainsbouriennes ne feront pas de miracles.

Les temps ont changé, 1968 se profile à l’horizon et avec lui l’ère de la pop anglo-saxonne. Le Tandem doit se résoudre à ranger papier à musique et stylo.

L’APRES-TANDEM…

En parallèle à son travail avec Henri Contet, Aimé Barelli compose aussi quelques chansons sur des textes de Robert Chabrier (« Mimi la rose »), Jacques Larue (« Embrasse-moi » Grand Prix du disque 1947), Jacques Plante, Raymond Bravard, Guy Bertret & Roger Desbois, Jacques Hourdeaux, Gérard Gustin, Pierre Delanoe…, de l’auteur littéraire Jean-Max Gallo et de l’auteur-comédien Francis Blanche. Il n’aura cependant aucun autre complice sur la durée comme Henri Contet.
De 1949 jusqu’à la fin de sa carrière, il dirige l’orchestre du Sporting-Club de Monte-Carlo, accompagnant les plus grands chanteurs de la planète, formant aussi de nombreux musiciens comme André Ceccarelli.
En 1968, Aimé Barelli se remarie avec la danseuse britannique Margareth Boalch avec laquelle il a deux autres enfants. Sa fille ainée, Minouche, arrête la chanson pour devenir dans les années 80 animatrice vedette de Radio Montmartre, avant d’enregistrer un album d’hommage à sa mère (avec « Pour lui ») en 1995, l’année où son père disparaît un 13 juillet à Monaco.

Dès la Libération, Henri Contet écrit aussi beaucoup avec d’autres compositeurs Paul Durand (« Boléro », « Mademoiselle de Paris », deux succès internationaux pour Jacqueline François), Norbert Glanzberg (« Padam, padam », adapté aussi en Amérique), Mireille (« Le carrosse ») et Marguerite Monnot (pour Piaf depuis l’Occupation).
Il adapte également de nombreux succès américains, notamment des chansons de films (« Si toi aussi tu m’abandonnes » du film « Le train sifflera trois fois », « Le bleu de l’été » du film « Fort Alamo », deux musiques de Dimitri Tiomkin).
Il est décoré de la médaille de chevalier de la Légion d’Honneur en 1956. Depuis les années 60, ses succès ont été beaucoup repris, de Mireille Mathieu à Arthur H en passant par Mano Solo et Catherine Ringer. Il est président de la Sacem dans les années 70.
En 1995, la Sacem lui consacre un film dans la série « Les coulisses de la création ». Il nous quitte le 15 avril 1998 à Paris.


L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).