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Chronique
Frank Thomas et Jean-Michel Rivat
La variété « rive droite » venue de la « rive gauche »
Du milieu des années 60 au milieu des années 70, deux copains « marginaux » venus des cabarets de la « rive gauche » ont écrit ensemble quelques 200 textes de chansons populaires originales ou adaptées qui ont renouvelé la « rive droite » après le yéyé.

L’AVANT-TANDEM

Franc Combès, futur Frank Thomas, nait en 1936 à Montpellier. Il est le fils de deux grands Résistants. Il fait l’école des Arts décoratifs à Limoges et, à 14 ans et demi devient peintre sur porcelaine.
Après avoir exercé divers métiers, il décide de « monter à la capitale ». En 1959, il arrive à Paris et travaille dans le bâtiment, tout en fréquentant les cabarets de la « rive gauche », comme La Méthode, où il récite ses poèmes et fréquente Lenny Escudéro et Maurice Dulac. Entre 1962 et 1965, il n’écrit que peu de textes de chansons (les Trois Ménestrels).
En 1966, alors qu’il adhère à la Sacem, le rythme s’accélère avec Lucky Blondo, Les Parisiennes… mais aussi Hector. Contrairement à beaucoup de paroliers des années 50 et 60, Frank Thomas n’enregistrera jamais de disque d’interprète.

Jean-Michel Rivat est né en 1939 à Vesoul. Il est le fils d’un dentiste. Depuis l’âge de 12 ans, il pense faire de la chanson son métier. Bécaud, Aznavour, Brel l’amènent à écrire.
Il commence à travailler aux Editions Raoul Breton, chez la Marquise, la veuve du célèbre éditeur. Un premier texte est enregistré par Frida Boccara en 1962. Alors qu’en 1963, il s’inscrit à la Sacem, suivent des adaptations pour Johnny Hallyday, Les Gam’s… et une chanson pour Bardot sur une composition de Francis Fumière, avec lequel il essaie d’imposer des chansons originales françaises en plein yéyé. Y compris pour lui-même comme interprète, le temps de deux super-45 tours chez CBS.
Fin 1964, certainement parce qu’il est dans la maison de disques où vient d’arriver Joe Dassin, il signe les adaptations des premiers disques du fils du cinéaste américain, certaines avec le poète Maurice Fanon, également chanteur de l’écurie.


La rencontre

1964 : une amie commune de la Contrescarpe les présente alors qu’ils se croisent devant le Café de Flore. Quelques mois plus tard, en 1965, ils se revoient chez Joe Dassin, boulevard Raspail, alors que Jean-Michel a déjà travaillé pour le fils du cinéaste.

C’est après ça qu’ils écrivent ensemble, pour le troisième super-45 tours de Dassin, une adaptation d'Amérique du Sud qui deviendra son premier succès radio : « Bip-Bip ». La légende raconte que, le jour de choisir la face A du disque, un peintre - qui travaille dans l'appartement de Dassin - siffle l’air de la chanson une demie-heure après l’avoir entendue pour la première fois à travers une porte ouverte.

Frank Thomas repart travailler dans l'édition de Rolf Marbot où il signe notamment des paroles pour Michel Polnareff. Quant à Jean-Michel Rivat, il continue seul à adapter pour Dassin des succès folks et devient ponctuellement Edouard, un chanteur-canulard parodie d’Antoine. Heureusement, qu’en parallèle, le Tandem écrit une face A pour Marie Laforêt et une adaptation pour le groupe yéyé de Madagascar, Les Surfs.

Takata, voilà les Dalton !

C’est au printemps 1967 que le Tandem commence à faire parler de lui avec « Les Dalton ».

En effet, ce titre est le premier tube de Joe Dassin. Ce dernier l’aurait même composé un an et demi plus tôt, hésitant à l’enregistrer car la trouvant trop éloigné de sa folk de prédilection. Sans l’intervention de Jacques Plait, le directeur artistique de Joe, ce dernier l’aurait même proposée à Henri Salvador lors du premier MIDEM à Cannes en janvier 1967. Ce succès – que Brassens aurait adoré au point de l’apprendre par cœur - va rendre Thomas et Rivat inséparable de Dassin pendant deux ans. En effet, le Tandem va aligner tubes (« Siffler sur la colline ») sur… grandes chansons (« La Marie-Jeanne »), parfois même sur des musiques de Joe (« La bande à Bonnot » également enregistrée en italien).

Toujours au printemps 1967, ils triomphent avec une chanson écrite avec Jean Renard lors d’un des fameux séminaires Barclay. Ils la « placent » à Sylvie Vartan (et son secrétaire Carlos) : « 2’35 mn de bonheur ». Sylvie l’adapte en italien avec le même succès. Le même trio propose « Bébé requin » à la star qui le refuse. Qu’à cela ne tienne, Thomas et Rivat reprennent leur texte, le confient à Joe Dassin qui compose une nouvelle musique et c’est France Gall qui en fait un succès (également en allemand), au grand dam de Serge Gainsbourg, relégué en face B.

Le trio enchaine avec une autre face A pour France et continuera à écrire pour elle jusqu’en 1972, adaptant notamment la fameuse « Pioggia » de Gigliola Cinquetti (dont le directeur artistique en France est aussi Jacques Plait) qui devient « L’orage ».

La Rose d’Or d’Antibes…

Après une collaboration avec Frank Alamo, c’est en été 1967 que le Tandem remporte la Rose d’Or d’Antibes Juan les Pins avec « Le vent et la jeunesse » composé par Christian Chevallier et interprété par Les Troubadours avec lesquels ils collaborent jusqu’en 1972.
Cependant, Thomas et Rivat n’assistent pas à leur victoire dans la pinède de Juan, car ils n’ont pas trouvé d’argent pour se payer un aller-retour en deuxième classe SNCF pour Antibes. Incroyable, quand on sait que cette chanson va être enregistrée dans le monde entier par les plus grands d’Esther et Abi Ofarim à Cilla Black en passant par Nana Mouskouri.

Toujours en 1967, le Tandem écrit le premier tube de Stone, « Vive la France », sur une musique de son fiancé Eric Charden, orchestré par le maestro Michel Colombier, et repris par tous les orchestres de bals de France…
1967 toujours avec une chanson pour Dani - composée par Guy Magenta – et une pour un des plus gros vendeurs des sixties, Richard Anthony - avec un tandem de compositeurs : les Bourtayre père et fils, Henri et Jean-Pierre. Le Tandem écrira quelques autres chansons pour la voix de velours.

En 1968, c’est au tour du chanteur pop d’avant-garde Ronnie Bird de les chanter avec une musique d’un des musiciens de Johny Hallyday, Tommy Brown (complice de Mick Jones, futur Foreigner). La même année, ils retrouvent Jean-Pierre Bourtayre pour « Un prince en Avignon » interprété par Ester Ofarim en hommage à Gérard Philippe. Le titre sera repris par Mireille Mathieu, et d’autres.
Toujours en 1968, ils écrivent pour Hugues Aufray sur une musique de leur copain Maurice Dulac. Avec ce dernier, ils signent aussi pour Gilles Dreu. On les retrouve également sur la BOF des « Jeunes loups » avec une chanson composée par Jack Arel et co-écrite par Tuesday Jackson, alias Nicole Croisille, qui la chante.
Avec Joe Dassin, ils signent aussi pour Nicoletta.

Leurs droits d’auteur leur permettent enfin de vivre, même si Jean-Michel n’habite encore qu’un studio rue Mazarine où Frank le retrouve tous les après-midis pour écrire.

De Stone & Charden à Claude François

1969 marque la fin de leur collaboration avec Joe Dassin. En effet, ce dernier, qui monte sa société d’édition avec son directeur artistique, leur demande de leur confier leurs œuvres… Ils refusent. Ils n’auront plus jamais d’interprète privilégié.

Si leur téléphone continue à sonner, 1969 n’en demeure pas moins une année difficile sur le plan personnel. Les tubes s’en ressentent même s’ils écrivent pour Hervé Vilard (« Sayonara » composée par Jacques Revaux) et aussi pour leur troisième yéyé girl : Françoise Hardy (« Des bottes rouges de Russie » sur une musique d’André Popp, adaptée en italien).

A la charnière des années 70, après quelques titres pour Régine, Dalida, Guy Mardel, Patricia (avec Jack Arel), et la jeune Jeanne-Marie Sens, « La colombe ivre » de Serge Prisset (adaptée en allemand), ils écrivent quelques chansons pour la rentrée triomphale de Marcel Amont à l'Olympia en avril 1970, avant de signer – avec Roland Vincent - « L'amour ça fait passer le temps », un tube que ce roi du Music-Hall enregistrera en italien, espagnol, allemand... D’autres titres suivront.
Toujours dans le registre « bonne humeur », ils offrent à Henri Salvador « Ah c'qu'on est bien quand on est dans son bain » sur une musique de Christian Sarrel…

En 1971, ils retrouvent Eric Charden et participent à son raz de marée avec Stone, signant tous les succès du duo de 1971 à 1974 (orchestrés par Jean-Claude Petit), dont « L’avventura » (inspirée par le film d’Antonioni, adaptée en espagnol, italien et reprise par Tino Rossi…).
Ce trio offre même, en 1971, un 45 tours à Jean-Pierre Foucault et Mimi, la fille de Filipacchi, et un autre, l’année suivante, à Patrick Topaloff, produit par Cloclo.
Toujours en 1971, avec Philippe Monet, ils retrouvent Marie Laforêt et signent pour Line et Willy.

En 1972, les deux co-auteurs écrivent aussi « Viens à la maison (Y a le printemps qui chante) » sur une musique de Jean-Pierre Bourtayre et Claude François, et « La Musica » avec et pour Juvet.
A la suite de ce tube, Cloclo commande à Juvet une « démarque » dont ils écrivent les paroles : « Le lundi au soleil ». Nouveau tube, repris en langues étrangères. Cloclo comme Juvet feront encore appel à eux.
Consécration : la reine de St-Germain des Près, Juliette Gréco, leur chante un texte en 1971 sur une musique d’André Popp.

C’est au milieu des années 70 que le Tandem se sépare, après quelques derniers simples enregistrés par Vicky Léandros ou Richard Anthony, une décision de Frank. Il reste d’eux tous ces tubes de variétés efficaces mais soignés…


L’APRES-TANDEM

Après la séparation, Frank Thomas réalise un album pour Marina Vlady. Il monte ensuite une édition pour produire Michel Jonasz. Ensemble, ils connaissent le succès en 1974.
Frank continue aussi à travailler pour Cloclo. Il signe d’ailleurs le plus gros tube de l’idole : « Le téléphone pleure ». Suivront deux adaptations, en 1975 et 1976… Avec Bourtayre, Frank produit Eve Brenner. De 1975 à 1978, il travaille avec Gilbert Bécaud…Il va s'occuper de Francis Lalanne : il réalisera ses deux premiers albums et son Théâtre de la Ville.
Dans ce début des années 80, Frank lance la carrière de Lucid Beausonge avec l’éditeur Christian de Ronseray. Ceci dit, la décennie sera vraiment marquée par Gérard Berliner qu’il produit avec l’accordéoniste Roland Romanelli de 1982 à 1985. Dans la deuxième partie des années 80, il écrit aussi pour Jean-Luc Lahaye. A partir des années 90, il travaille pour le cinéma avec Reinhardt Wagner. En 2008, ils auront enfin un succès avec la BO du film de Christophe Barratier, « Faubourg 36 ».
Dans les années 2010, il retrouve ses vieux copains dont le chanteur Bernard Sauvat avec lequel il refait des chansons. Il nous quitte le 20 janvier 2017.

En 1966, alors que Jean-Michel Rivat signe seul la version française de « Guantanamera » pour Dassin – enregistrée aussi par Nana Mouskouri et Tino Rossi -, il place aussi un titre à Catherine Ribeiro et un aux Surfs.
Après avoir travaillé pour Roger Hanin en 1970, Philippe Lavil et Alain Chamfort en 1972, Jean-Michel écrit aussi seul des textes à succès pour le producteur de ce dernier (Cloclo). Ceci dit, son grand interprète (et ami) des 70 est Michel Delpech avec lequel il co-signe quasiment tous les succès de 73 à 83. Ensemble, ils signent aussi pour France Gall. En parallèle, toute la variété lui demande des paroles : il écrit une douzaine de chansons pour la Marseillaise Maria de Rossi. Les Martin Circus, Gérard Palaprat, Nicole Croisille, Dani, Sylvie Vartan, et surtout Eric Charden et Marcel Amont, chantent ses mots. A la charnière des années 80, Jean-Michel réalise qu’il préfère le son des mots aux mots eux-mêmes. Il se passionne pour la musique synthétique et s’installe un studio rue d'Aguesseau à Paris. Son grand retour a lieu en 1986, quand il est à l’origine de « Voyage, voyage », le tube international de Désireless. Dans les années 90, Rivat, qui a installé son studio au sous-sol de sa maison du 13ème arrondissement, fait de la Dance Music.


L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).