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Chronique
"Un homme heureux" de William Sheller

Si les gens qui s’aiment sont toujours un peu les mêmes, ils sont nombreux, les gens qui aiment la chanson de William Sheller "Un homme heureux", enregistrée presque à la sauvette, tout au bout d’un album live piano-voix en 1991, et couronnée d’une Victoire de la musique l’année suivante. Elle fait partie des fleurons du répertoire de M. William.

Un homme heureux est sans doute votre chanson la plus populaire. Comment est-elle née ?

C’est toujours un peu mystérieux, la façon dont viennent les chansons. Parfois, elles naissent de situations très banales.

Pour celle-là, je me souviens qu’au tout début, je suis parti un matin manger des huîtres à Deauville, avec une amie. Quand je suis revenu dans l’après-midi, un peu pompette, j’avais en tête un vague petit bout de mélodie, je me suis mis au piano et petit à petit, toute la mélodie est venue.

Je l’ai gardée pendant deux ans, en y revenant régulièrement.

Et le texte ?

Les textes, c’est mon éternel problème. Depuis quarante ans que j’écris des chansons, j’ai toujours l’impression que j’ai déjà tout dit, ou que quelqu’un d’autre l’a déjà dit mieux que moi… Je ne trouvais pas d’idée, j’avais juste la phrase «je veux être un homme heureux».

Et puis je suis tombé sur un article de journal qui disait que les vieux couples, ceux qui arrivaient à vivre ensemble jusqu’à la vieillesse, finissaient par se ressembler physiquement. Moi, je vivais une période de solitude, je me demandais pourquoi ce qu’il y a de bon n’arrivait qu’aux autres…

J’ai tiré le fil et le texte est né. Après, on compte sur ses doigts pour les syllabes et on essaie de faire un truc qui se tienne, c’est un travail d’horlogerie.

À l’époque, la chanson figurait sur l’album "Sheller en solitaire". C’était même le tout dernier titre du disque. Vous cherchiez à ce qu’elle passe inaperçue ?

Je l’ai placée en dernier parce que le disque était en public et que les gens ne la connaissaient pas.
Je ne pensais pas qu’une chanson sur un album enregistré seul au piano aurait un tel impact.

D’ailleurs, personne n’y croyait; ma maison de disques pensait que ça ne marcherait jamais parce que c’était une chanson triste. Mais au contraire, c’est une chanson pleine d’espoir.

Aviez-vous conscience que vous teniez là quelque chose d’exceptionnel ?

Quand, à chaque concert, les gens se lèvent à la fin de la chanson et la redemandent, on se dit qu’il se passe quelque chose. Mais je ne pensais pas qu’elle allait devenir l’arbre qui cache le jardin…

Justement, aujourd’hui, comment la considérez-vous ?

C’est parfois gênant parce qu’elle est devenue une sorte de référence; on peut avoir l’impression que j’ai commencé ma carrière avec cette chanson.

Sur scène, je suis évidemment obligé de la chanter. Mais je sais qu’elle fait désormais partie de la vie des gens, de leurs souvenirs. C’est ce qu’il y a de plus émouvant pour un auteur de chansons.

Par Philippe Barbot.
Crédit photo : Lisa Roze

Partition "Un homme heureux"
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Bulletin de déclaration "Un homme heureux"
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L'auteur

Philippe Barbot

Philippe Barbot, journaliste musical de Télérama à Rolling Stone, est aussi l'auteur d’une biographie d'Alain Bashung, de"Backstage"et de "101 Chansons Cultes".
Auteur compositeur interprète, il a publié deux albums de chansons, "Point Barre" et "Dynamo".