X
interstitiel
Chronique
Plus rien qu’une adresse en commun
Un titre de Claude François repris par Paul Anka et les Bee Gees

En 1971, Claude François chante avec succès depuis une dizaine d’années, mais sort de la période qui a suivi Mai 68 et qui a été difficile pour tous les ex-yéyés. Exit les adaptations américaines plus vraiment à la mode, Claude François cherche davantage de chansons originales.

C’est dans ce contexte qu’il enregistre « Plus rien qu’une adresse en commun ». La chanson est signée par Alain Le Govic et Michel Pelay pour la musique, Yves Dessca et Maxime Piolot pour le texte.

Le premier, Alain Le Govic, qui a déjà quelques 45 tours à son actif, ne va pas tarder à sortir son premier succès chez Flèche, la maison de disques de l’idole. C’est même ce dernier qui le baptisera Chamfort.

Le deuxième, Michel Pelay, a enregistré deux super 45 tours chez Vogue en 1966 à sous le nom de Michel Palay. Sans succès. Il travaillera beaucoup avec le premier. Egalement avec Delpech.

Le troisième, Yves Dessca a signé quelques chansons pour des artistes mineurs depuis 1967 (dont le jeune Alain Bas(c)hung). Alors qu’il « place » un titre sur un 33 tours de Sylvie Vartan, Vline Buggy le présente à Claude François pour lequel il co-écrit un succès « tendre » en 1968 (« Avec la tête, avec le cœur »). Il récidive dans le même genre avec « Parce que je t’aime mon enfant » qui va être repris à l’international. Il gagne aussi l’Eurovision au printemps 1971 et entame une collaboration avec Sardou. De quoi motiver Cloclo…

Le quatrième, Maxime Piolot, est le moins connu des quatre, malgré quelques 350 chansons au catalogue de la Sacem, beaucoup éditées par les éditions du groupe Bayard, quelques-unes co-signées avec Alain Chamfort et Michel Pelay.

De quoi parle une chanson avec un titre aussi imagé ?

Derrière ce titre peu évident, se cache un texte qui parle de la fin d’un amour, non pas d’adolescence, mais d’âge adulte… L’histoire d’un couple qui vit ensemble depuis longtemps, qui est peut-être marié, et qui ne partage plus grand-chose, si ce n’est le même toit.

Nous sommes dans les années 70 et Claude François ne chante plus uniquement pour les teenagers, mais aussi pour ceux et surtout celles qui l’ont été dans les sixties. Il sait qu’il doit évoluer avec eux, les accompagner, tout en essayant de séduire une nouvelle génération d’adolescents.

Déposée le 16 novembre 1971 à la Sacem, la chanson y avait déjà été enregistrée sous le titre « Plus qu’hier et bien moins que demain ». Il y a fort à parier que l’idole ait préféré la musique au texte et qu’il ait demandé aux auteurs de revoir les paroles.

Cloclo a dû être moyennement convaincu par le nouveau texte, car ce dernier ne va pas permettre de sortir le titre en 45 tours. « Plus qu’une adresse en commun » est uniquement publiée sur un 30 cm de Claude François avant les fêtes 1971, juste après le retour de l’idole dans les hit-parades grâce à son album enregistré à Detroit avec « C’est la même chanson », au moment du succès « Il fait beau, il fait bon ».

“Do I Love You ?” : la suite de “My Way” ?

Pourtant, ce morceau va avoir un destin international, un de plus pour une chanson de Cloclo (après « Comme d’habitude »/ « My Way » et « Parce que je t’aime mon enfant » / « My Boy »).

Une fois de plus, c’est Paul Anka qui se charge d’adapter le morceau, et sans se soucier que Cloclo ne le sorte pas en face A de 45 tours. Il faut dire qu’il a le vent en poupe puisqu’après avoir « placé » « My Way » à Frank Sinatra, il a signé, en 1971, le « She’s A Lady » de Tom Jones. Et Anka croit en son oreille.

Dès août 1971, il fait de « Plus rien qu’une adresse en commun » « Do I Love You (Yes In Every Way) » qu’il enregistre et publie en septembre chez Buddah Records. La chanson est un tel succès qu’elle sort en 45 tours au Canada, aux USA, mais aussi au Royaume-Uni, en Allemagne, au Japon… et même en France !
La chanson atteint même le 14ème rang dans le US Billboard Easy Listening et le Canada RPM Adult Contemporary. Elle est également classée N°16 au Canadian RPM Top Singles, mais pas vraiment ni au US Billboard Hot 100 (N°53), ni au Cash Box Top 100 (N°38).
Paul Anka la ré-enregistrera même en duo avec Dolly Parton, la reine de la country, dans l’album « Duets » de cette dernière, en 2013

Si Anka enregistre le titre, il ne sera pas le seul.
Quelques vedettes internationales vont s’en emparer, notamment le chanteur-crooner Engelbert Humperdinck sur l’album « King Of Hearts », et Scott Walker sur « Any Day Now », tous deux en 1973.

Ceci dit, il y aura surtout la chanteuse country Donna Fargo qui va en refaire un succès en l’enregistrant sur son opus « Shame On Me » en février 1977.
Cette dernière en fera même le deuxième extrait single de ce 30 cm. Avec ce titre, Fargo finira N°1 du Canadian RPM Country Tracks, et N°2 du US Billboard Hot Country Singles. On la retrouvera aussi N°45 du US Billboard Easy Listening et N°94 du US Cash Box Top 100.

Chantée en espagnol par un des Bee Gees

La chanson deviendra même « ? Yo te amo ? » en espagnol.
En 1996, Paul Anka en enregistrera une version dans cette langue avec sa fille, Anthea, Kenny G et Barry Gibb des Bee Gees !

Etonnamment, Cloclo n’enregistrera pas ce titre en anglais en 1977 quand il voudra partir à la conquête des marchés anglophones. Il faut dire que, contrairement à « My Way » et « My Boy », il ne l’avait pas cosigné. Ceci dit, il l’avait quand même édité sur Isabelle Musique, un de ses deux catalogues (l’autre étant Jeune Musique), ce qui aurait pu le pousser à l’inclure dans son projet international.
Peut-être parce que « Comme d’habitude » a pris trop de place…

L'anecdote

Cette chanson marque le début de la collaboration entre Alain Chamfort et Claude François (la même année, Alain cosignera aussi des « Roses de Noël » pour l’idole).

En 1972, Cloclo va relancer la carrière d’interprète de l’ex-Mods (groupe de Chamfort en 1966-1967) en publiant un premier 45 tours sur son label Flèche : « Dans les ruisseaux ». En le prenant aussi en première partie de ses galas. Enfin, en lui offrant les colonnes de Podium, le magazine pour adolescentes qu’il vient de reprendre, et qui, très vite, devient le rival N°1 de Salut les Copains et Hit Magazine.

Et c’est ainsi que la carrière de chanteur d’Alain Chamfort – qui avait commencé en 1968 chez Odéon / EMI – va prendre un nouveau tournant. Alain restera quatre ans chez Cloclo.

Les reprises

Voici une liste de versions enregistrées surtout en anglais… depuis que l’œuvre a été créée.
Seules sont précisées les versions autres qu’en français.

1971 Paul Anka (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)
1973 Engelbert Humperdinck (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)
1972 Sonny Knowles (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)
1973 Scott Walker (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)
1976 Tammy Jones (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)
1976 Peter Lemongello (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)
1977 Donna Fargo (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)
1978 ? André Fontaine
1979 Tracy (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)
1986 Patsy Riggir (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)
1996 Paul Anka, Anthea Anka, Barry Gibb & Kenny G. (espagnol « Yo te amo » adapté par Alejandro Lerner)
2013 Paul Anka & Dolly Parton (anglais « Do I Love You ? » adapté par Paul Anka)


L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).