Comment la bluette d’un chanteur de charme malaisien du nom de Shake devint hymne de fierté au Moyen-Orient, et participa même au Printemps arabe…
1977 : Dalida s’essaie pour la première fois à la langue d’Ismaël et triomphe au Moyen-Orient avec Salma Ya Salama, l’histoire d’un exilé parti chercher fortune ailleurs mais rêvant secrètement d’un retour au pays.
Voulant battre le fer tant qu’il est chaud, Orlando, frère et producteur de la star, demande alors à Jeff Barnel, compositeur de Salma Ya Salama, de lui amener un titre de la même couleur. Barnel propose de reprendre la mélodie de Io T’Amero qu’il a co-composée avec Bernard Liamis pour un 45 tours de Shake, jeune poulain d’Orlando, sorti l’année précédente.
Avec une orchestration plus lascive et orientalisée, des paroles traduites en arabe, et la chaleur du timbre de Iolanda Gigliotti, Helwa Ya Baladi (Qu’il est beau mon pays) rencontre dès 1979 un succès dans tout le Moyen-Orient. Barnel et Saada, les deux adaptateurs, qui pensaient simplement évoquer l’Egypte, ont la surprise de découvrir que tous les Orientaux voient dans ce texte fédérateur un message d’amour à leur propre pays.
En juin de la même année, la diva est invitée à se produire à Gizeh pour trois concerts, dont l’un dans le cadre majestueux des Pyramides, où Anouar el-Sadate, récent prix Nobel de la paix, vient la saluer. Il faut dire que depuis les Accords de Camp David, Salma Ya Salama est la chanson qui réunit l’Egypte et Israël. Helwa Ya Baladi jette un nouveau pont entre Arabes et Juifs.
Lorsqu’El-Sadate sera assassiné par des islamistes en 1981, Dalida lui rendra hommage en enregistrant Comment l’oublier, version française d’Helwa Ya Baladi cosignée, comme Io T’Amero, par le futur écrivain Gilbert Sinoué (« Comment être indifférent à son message ? Car il n’avait qu’une seule idée : faire de la terre avec ses frères une terre de paix »).
Trente ans plus tard, la chanson sera reprise durant le Printemps Arabe par des milliers d’Egyptiens contestant le régime d’Hosni Moubarak. Le 11 février 2011, après 18 jours d’une violente répression, les manifestants obtiendront finalement le départ du successeur d’El-Sadate. On entendra également Helwa Ya Baladi lors de rassemblements dénonçant la dictature du Syrien Bachar-Al-Assad. En 2015, sur un toit de Bethléem, la Palestinienne Lina Sleibi en livrera une version bouleversante d’épure, et forcément engagée.
Ils n’ont pas fini de chanter cette chanson, ceux qui pensent que leur pays pourrait être encore plus beau.
Talent-shows, tee-shirts, sacs de plage, parapluies... Helwa Ya Baladi, hymne devenue slogan, est partout au Moyen-Orient, même dans les stades de foot : lorsque l’idole Mohamed Salah qualifie les Pharaons pour la Coupe du Monde 2018, les 86 000 supporters du Stade Borg Al Arab d’Alexandrie communient instinctivement en entonnant fièrement cet air.
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