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Chronique
Je n’ai pas changé - 1979
Claude Lemesle - Dino Ramos

Julio Iglesias alors au firmament de sa carrière française, triomphe en 1979 avec ce 45t. Il ne peut imaginer le destin cultissime que la chanson va connaître quatre ans plus tard grâce au cinéma.
Entre la fin 1981 et le début 1983, « Papy fait de la résistance » est une pièce de théâtre à succès écrite par Christian Clavier et Martin Lamotte. Suite à l’adaptation au cinéma du « Père Noël est une ordure », le duo d’auteurs souhaite faire de même avec ce nouvel éclair de génie.

Un film aux débuts chaotiques

Après six mois de réécriture, Jean-Marie Poiré est prêt à démarrer le tournage, qui sera fort compliqué. Annie Girardot est approchée pour le rôle d’Héléna Bourdelle mais refuse, outrée par le scénario. Elle ira jusqu’à déconseiller ses consoeurs de participer au projet.

Louis de Funès, qui est venu voir deux fois la pièce, est enthousiaste à l’idée de travailler avec des jeunes. Deux possibilités s’offrent à lui : Papy ou bien le Reichsminister Ludwig von Apfelstrudel (le demi-frère d’Hitler). Le 27 janvier 1983 c’est le drame, l’acteur numéro 1 du box-office depuis trois décennies meurt, le film lui sera dédié.

Il est remplacé par Michel Galabru (Papy) et Jacques Villeret (le demi-frère d’Hitler), comédiens qui avaient tous deux fait équipe avec Fufu. Quant à La Bourdelle, elle s’incarne brillement sous les traits de Jacqueline Maillan. Mélanger les générations, tel est le pari osé du film.

Une scène décalée

La scène la plus délirante, paroxysme de l’absurde, se tient entre Maillan et Villeret, quand celui-ci se met à chanter le « Je n’ai pas changé » interprété par Julio Iglesias (alors que l’action du film se situe pendant la seconde guerre mondiale). Ce titre est la version française de No vengo ni voy composé par Dino Ramos : les paroles ont été adaptées en français par Claude Lemesle.

Clavier et Lamotte l’avait écouté en concert au Palais des Congrès ce qui eut comme conséquence un fou-rire incontrôlé. On touche au sublime lorsque Villeret passe de l’accent allemand à la voix d’Yves Montand sur le deuxième couplet. Derrière ce moment devenu légendaire, la souffrance de Jacqueline Maillan, qui a pleinement conscience de son rôle de faire valoir du tout autant génial acteur. Son regard sombre en dit long mais n’entache pas l’efficacité comique.

A sa sortie en octobre 1983, le public se presse dans les salles (4 104 000 entrées France !) pendant que la critique vilipende l’ovni et que le compositeur du reste de la musique du film, Jean Musy, va jusqu’à le trouver nul.
Quant au chanteur espagnol, il rit de bon cœur et entame une brillante carrière aux Etats-Unis, boycotté en URSS qui le classe dans la catégorie « néo-fascistes » croyant que l’utilisation de son tube était pro-nazis !

Malgré tout, 27 ans plus tard « Papy fait de la résistance » figure dans le Top 10 des comédies françaises les plus cultes de tous les temps et cartonne encore à chaque diffusion TV.
Régalons-nous alors de cette critique parue à l’origine : « La séquence la plus navrante est certainement celle de la mise en boîte de la chanson de Julio Iglesias « Je n’ai pas changé ». Cela vient comme un cheveu sur la soupe. On reste coi face à tant de vulgarité et d’indigence. Pas un soupçon d’invention. » (Eric Léguebe, Le Parisien, 29 octobre 1983)


L'auteur

Mathieu Alterman

Journaliste, chroniqueur (LCI, C8, Le Point, ...) et réalisateur de documentaires (Les Magnifiques - Paris Première).

Après avoir été pendant dix ans directeur artistique en maisons de disques et prêté sa plume à la revue Schnock, il enseigne le décryptage de la pop-culture, la communication de crise, le pitching et l’histoire des médias.

Il anime des conférences pour le groupe Ionis (Jacques Séguéla, Maurice Levy, Jacques Attali, …) et est aussi l’auteur de plusieurs livres dont « Les larmes de Johnny » (éditions Carnets Nord) et « Femmes Fatales (éditions Quai des Brunes).
Chroniqueur dans TPMP sur C8, professeur de pop culture et de podcast.