Vincent Baptiste Scotto nait à Marseille le 21 avril 1874, ses parents sont originaires du Golfe de Naples. Il apprend la guitare dès l’âge de 7 ans. Après avoir accompagné des chanteurs amateurs de la région marseillaise, il entame une vraie carrière a 32 ans. L’une de ses premières compositions est chantée par le grand Polin : « La petite Tonkinoise », dès 1906. Scotto s’installe alors à Paris où il connaît de belles réussites comme le célèbre « Sous les ponts de Paris » créé par Georgel en 1913, un succès international. Dans les années 20 suivent : « Elle vendait des petits gâteaux » par Félix Mayol en 1922, « J’ai deux amours » par Joséphine Baker en 1930…, un deuxième succès international…
René Crescenzo nait à Toulon le 18 janvier 1901. Fils d'un immigré italien, et d’une Ciotadenne d’origine génoise, il passe son enfance à Marseille, parle le « Marseillais », et fait ses débuts en amateur dans la Cité phocéenne, dès l'âge de 15 ans, puis monte à Paris en 1930. Il a 29 ans. Chansonnier jusqu’en 1936 au cabaret de La Lune Rousse, tenu par un Marseillais, il y rencontre l'humoriste Pierre Dac, dont il écrit les sketches…
Le 9 mars 1929, Marcel Pagnol crée la pièce « Marius » au Théâtre de Paris : la capitale, charmée par l’accent chantant du Midi, lui fait un triomphe. Paris passe à l'heure du Vieux Port. Cependant, si un grand nombre de Marseillais occupent déjà une place dans le monde du spectacle parisien, ils ne mettent pas leurs origines en avant. Déjà le problème de l’image…
C’est en 1931 que le compositeur Vincent Scotto rencontre le parolier René Sarvil, grâce à l'acteur-chanteur Alibert, lequel leur propose de créer une revue marseillaise dont il serait la vedette. Il faut dire qu’Alibert est le gendre de Scotto et que « Le Méridional des Méridionaux » est très connu depuis la fin des années 20. Contrairement au Toulonnais Mayol, il joue de son accent.
A eux trois, ils vont « être » l’opérette marseillaise… Même si, cette dernière frise souvent la caricature, Scotto, Sarvil et Alibert ne forcent guère plus le trait que Pagnol au cinéma. Ce dernier écrira même à Scotto cet hommage : « Mon cher Vincent, quand tu partiras, tu laisseras cent ou deux cents chansons, des sentiments à toi, des idées à toi, qui feront encore du bien à des gens qui ne sont pas nés. »
L’ambiance se confirme dès que le spectacle commence. Tout est là, en couleurs et en parfums : le bleu du ciel et de la mer, le jaune du soleil et du mimosa… Ne manquent que les cigales… Les tableaux s’enchaînent comme dans toute revue qui se respecte. On y a regroupé tout ce qui existe comme chansons provençales (« La chanson du cabanon » de 1919) et on crée le reste : « Zou, un peu d’aioli », repris par le public en délire dès le premier soir, sera un gros succès de l’éditeur du Tandem : Francis Salabert.
Au théâtre, on refuse du monde tous les soirs jusqu'au 22 octobre 1932, où « La revue » est remplacée à l’affiche par « Au Pays du Soleil », première véritable « opérette marseillaise ».
Le spectacle n’est donc plus une suite de tableaux sans liens, mais une pièce qui raconte une histoire en 2 actes. Alibert en signe le livret, Sarvil les lyrics et Scotto la musique.
Les chansons – toutes originales - deviennent d'énormes succès comme « J’ai rêvé d’une fleur », qui sera reprise par Tino Rossi et Franck Fernandel qui ne s’arrêteront pas là… Et c’est en janvier 1933 que la troupe présente cette opérette marseillaise « à la maison », soit à l'Alcazar de Marseille, qui devient le temple du genre sur le Cours Belsunce. En ces temps où le cinéma n’est parlant que depuis quelques années – et où on chante dans tous les films - « Au pays du soleil » se retrouve sur grand écran en 1934, avec un remake en 1951. Une version sera également diffusée en télévision en 1961 dans la série « Airs de France ».
On ne change ni une équipe, ni un concept, qui gagnent. Dès 1933, Alibert exploite le genre que certains qualifient d’opérettes-revues, le livret étant souvent mince. Scotto et Sarvil signeront la plupart de leurs soixantaine de titres communs pour ces opérettes, souvent avec Alibert, quelquefois avec Marcel Cabridens, très souvent avec le jeune Raymond Vinci.
C’est donc le 19 décembre 1933 qu’est créé à Paris « Trois de la Marine ». Là encore, les succès qui marquent leur temps sont nombreux : « A Toulon » et « Sur le plancher des vaches ». Un film sera tiré de l’opérette en 1934 et en 1957.
Une opérette-revue marseillaise par an : le rythme est pris.De façon un peu « métronomique », ces opérettes-revues sont en général créées en automne quand les Français commencent à être en manque de soleil et d’été. Et ce manque ne sera pas comblé par les premiers congés payés du printemps 1936 car les Parisiens vont encore davantage voir l’Océan que la Méditerranée. Les producteurs d’opérettes marseillaises ne vont pas s’en plaindre : Comme l’inaccessible « Grand Bleue » fait rêver, les billets se vendent d’autant plus et mieux.
Cependant, un tel succès attise les convoitises et d’autres veulent aussi tirer profit de cette mine d’or. Ainsi, en 1935 et 1936, trois Marseillais (dont Georges Sellers) et un Belge vont créer plusieurs opérettes marseillaises. C’est le début de la fin, même si le Tandem ne va pas se laisser faire…
En effet, à l’automne 1936 est lancée l’opérette-revue « Les gangsters du Château d’If », d’abord à Lyon aux Célestins le 10 novembre 1936, puis à Paris aux Variétés le 22 janvier 1937. C’est dans cette œuvre que se niche « Tout autour de la Corniche » et cette production finira sur grand écran juste avant la guerre. Ce sera la dernière…
En 1937, le Tandem essaie de prendre un virage avec « Ceux de la Légion », sans Alibert et avec la vedette Georgel. Manquent sans doute les odeurs d’anisette, car l’opérette-revue ne tient que 18 jours. Pour sauver leur année, ils remontent rapidement, à Marseille et Paris, la revue « Ca, c'est Marseille », une sélection des tableaux les plus connus des opérettes précédentes, une sorte de best-of.
1938 est marquée par « Le Roi des galéjeurs » présenté aux Célestins à Lyon le 16 avril 1938 et aux Variétés à Paris le 16 septembre. Les refrains semblent moins portés par le Mistral.
Septembre 1939 : la guerre, hélas, vient interrompre cette « machine à spectacles ». Nos deux mousquetaires vont d’ailleurs se perdre de vue dans la Débâcle et ne se retrouveront qu’après les hostilités.
Ceci dit, pendant l’Occupation, Alibert retrouve Georges Sellers, juste avant que Scotto ne les rejoigne pour une revue « à grand spectacle » qui tient l'affiche jusqu'à mars 1941, où elle s'installe en zone libre, à Cannes. Suivront quelques opérettes mineures. Quant à René Sarvil, il se réfugie en zone libre, chez lui à Marseille. Il y signe plusieurs revues montées et/ou co-écrites par Emile Audiffred à l'Odéon et à l'Alcazar de la ville.
Malheureusement, un seul petit succès va en émerger : « Le petit bal de la Belle de Mai ». Les temps ont changé. L’opérette marseillaise est passée de mode. Place à la chanson sentimentale et au jazz des « Libérateurs », qui fait danser.
Ainsi s’achève la période de gloire de l'opérette marseillaise.
Avec l’automobile qui se démocratise, le public rêve à des soleils plus lointains, l’Espagne et l’Italie deviennent les destinations en vogue. Raymond Vinci signe avec Francis Lopez « La Balle de Cadix » que chante Luis Mariano. L’accent n’a plus l’odeur de la soupe au pistou mais celle de la paella…
En marge de ces opérettes, Vincent Scotto connaitra bien d’autres succès avec d’autres paroliers, notamment avec pour la nouvelle vedette des années 30, Tino Rossi (« O Corse île d’amour », l’international « Vieni Vieni », « Marinella », « Tchi tchi »…). Il y aura « Prosper yop la boum » pour Maurice Chevalier et le premier succès de la Môme Piaf : « Les mômes de la cloche ».
Au total, Scotto signera environ 1500 chansons. Après avoir enterré Alibert en 1951, il nous quitte à Paris le 15 novembre 1952 à l’âge de 78 ans. Il repose au cimetière St-Pierre à Marseille.
René Sarvil mènera dès les années 30 une double carrière, de parolier mais aussi d’acteur-chanteur de second plan. Après un premier film en 1932, il en tournera une grosse trentaine jusqu’aux années 60.
Entre 1951 et 1965, il portera à bout de bras des opérettes marseillaises à l’Alcazar de Marseille (qui ferme en 1965).
Au total, il aura signé une centaine de chansons. Il prend sa retraite en 1968 aux Arcs-sur-Argens et nous quitte le 31 mars 1975 à Marseille. Il reste, selon son biographe et neveu Georges Crescenzo : « L'oublié de la Canebière »…
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