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Chronique
C'est si bon
Il y a 70 ans, Louis Armstrong mettait le feu aux poudres !

Henri Betti
« C’est si bon »… de constater qu’une chanson française peut à la fois traverser les océans et le temps !
Nous sommes en juillet 1947, Henri Betti, qui a 30 ans, marche dans les rues de sa ville natale de Nice. Pour lui, tout va bien, s’il est né dans une famille modeste, il a réussi, comme on dit.
En effet, après avoir fait le Conservatoire de Musique de Paris (où il a obtenu un prix d’harmonie en 1937), grâce à un copain parolier Roger Lucchesi, il rencontre la plus grande vedette francophone, Maurice Chevalier, dans sa maison de Cannes La Bocca. Et comme le courant passe bien, il devient son pianiste durant l’Occupation, lui composant aussi des chansons qui permette au jeune Niçois de s’inscrire à la Sacem dès 1941.

Mais revenons à ce jour d’été 1947, où Henri a promis à son père de le rejoindre pour une partie de bridge… Alors qu’il passe devant la vitrine d'une boutique de lingerie féminine « Scandale » - située sous les arcades de l’avenue de la Victoire, future avenue Jean Médecin -, neuf notes de musique s’enchaînent dans sa tête (fa, mi, mib, fa, sol, la, sol, fa, ré)…
Comme il pense qu’il « tient » quelque chose, il pose les fameuses notes sur une feuille de papier à musique afin de ne pas les oublier et de pouvoir les jouer sur son piano dès son retour chez lui. Et c’est ce qu’il aurait fait après la fameuse partie de bridge, composant même le reste de la mélodie en moins de dix minutes…

Quelques temps après, alors qu’il doit « monter » à Paris, il prend rendez-vous avec le parolier André Hornez, qui a écrit la plupart des succès de Ray Ventura et de ses Collégiens dans les années 30, et qui a travaillé également pour Maurice Chevalier.
C’est à l’hôtel Powers de la rue François 1er que le rendez-vous a lieu, un rendez-vous qui va changer le cours de la vie de ces deux créateurs…
André Hornez saisit tout de suite le point fort de la mélodie, soit les trois premières notes. Pour lui, c’est là qu’il faut placer le titre et qu’il soit en trois syllabes, cela ne fait aucun doute pour lui. Rendez-vous est donc pris pour le lendemain afin qu’Hornez présente ses idées à Betti.
Le premier arrive donc avec une liste de dix titres en trois syllabes, dont neuf ne séduisent pas vraiment le second. En revanche, le dixième, « C’est si bon », fait tilt dans la tête de Betti, même si Hornez hésite parce que Charles Trenet a déjà enregistré un titre proche : « C’est bon ». Betti le rassure en lui disant que le « si » fera toute la différence. Confiant, André Hornez termine son texte et la chanson est rapidement déposée à la Sacem le 18 août 1947.

Un titre en trois syllabes : la combinaison gagnante

Afin de la rôder, Henri Betti la joue et la chante d’abord lui-même au piano lors des soirées qu’il anime au restaurant « La Réserve » à Nice, puis laisse faire son éditeur, Roger Seiller des Editions Paul Beuscher Arpèges pour qu’il la présente à des vedettes afin qu’elles l’enregistrent.

Yves Montand est le premier chanteur vedette à l’entendre, jouée au piano par le compositeur en personne.
Il faut préciser que les éditeurs employaient à l’époque des pianistes à demeure qui jouaient les nouvelles chansons en live aux artistes débutants qui défilaient dans les maisons d’édition, toutes situées à Paris dans le fameux « quartier des éditeurs ». En effet, il n’y avait pas de possibilité d’enregistrer des maquettes des morceaux, le magnétophone venant à peine d’être inventé.
En revanche, quand c’était une vedette qui cherchait des nouvelles chansons, les éditeurs se déplaçaient chez elles avec le pianiste de l’édition ou même le compositeur de l’œuvre. Ce qu’a donc fait Seiller avec Betti.
Installé au piano chez Montand, le Niçois propose au Marseillais tout d’abord une chanson sur mesure, « Mais qu’est-ce que j’ai ? », dont Edith Piaf a écrit les paroles après sa rupture avec ce dernier. Betti enchaîne avec « C’est si bon ». Montand prend les deux et promet d’en faire quelque chose. En ce qui concerne la seconde, s’il ne la chante pas en octobre 1947- lors de son récital au Théâtre de l’Etoile -, il le fera quelque temps plus tard en radio et sur scène avant de finir par l’enregistrer en mai 1948.

Entre temps, et depuis janvier 1948, d’autres l’ont déjà chantée sur scène, à la radio et au cinéma (Jean Marco avec le Grand Orchestre de Jacques Hélian le 18 février 1948, notamment dans le court-métrage « Rythmes de Paris »), voire gravée sur un 78 tours (Bernard Hilda, Lucien Jeunesse, Les Sœurs Etienne)…
En 1948, « C’est si bon » est sur toutes les lèvres de la Douce France. Dans deux ans, ce sera sur toutes celles de la planète.

Débarquement en Amérique

Du 22 au 28 février 1948, l’Américain Louis Armstrong est à Nice pour le premier festival de jazz jamais organisé au monde. Il se produit même durant deux soirées à l’opéra de la ville.

C’est cependant dans le hall du Negresco durant la soirée de clôture du festival, baptisée « La Nuit de Nice », qu’il découvre « C’est si bon ». Cette « Nuit » est une soirée de gala qui a lieu à partir de 22 heures le samedi 28 février 1948 avec Django Reinhardt, Stéphane Grappelli, Claude Luter, Louis Armstrong…, mais aussi Suzy Delair et Yves Montand en récital entre 23h et 23h30, tous deux accompagnés par Jean Marion, compositeur de musique de film et chef d'orchestre français.
La RDF (Radio Diffusion Française) étant partenaire du festival, la soirée est diffusée sur les ondes radio, mais pas dans son intégralité. Il faut dire qu’elle se termine vers 3 heures du matin et que le gala vire à la jam session. Boris Vian y assiste même pour en écrire le reportage dans la revue Jazz Hot. Malheureusement, le Nissart Henri Betti n’assiste pas à la soirée.
Quoiqu’il en soit, ce soir-là, c’est Suzy Delair qui aurait chanté « C’est si bon » devant les 600 spectateurs présents moyennant 5000 AF, alors qu’elle ne l’avait pas enregistrée et qu’elle ne le fera jamais. Suzy Delair confirmait d’ailleurs cette version en 2001 en radio, dans une émission de Benoît Duteurtre sur France Musique.
Ceci dit, il y a fort à parier que c’est davantage la version de Johnny Desmond et son succès (cf. plus loin), qui, à la fin du printemps 1950, ont donné envie à Satchmo d’enregistrer ce titre entendu à Nice deux ans plus tôt…

C’est cependant en 1949 que « C’est si bon » va commencer à voyager, d’abord en Italie où il est adapté en « Tutto è bello » (éditions Nazional Music Milano) et enregistré par la vedette Natalino Otto en mars. La même année, Jerry Seelen écrit les paroles en anglais (en ayant la bonne idée de garder le titre en français) et la chanson est enregistrée par l’Américain Johnny Desmond (& The Quintones) en janvier 1950 (sa version finira N°25 au Billboard en mars suivant). La chanson sort aux USA et au Canada en face A de 78 Tours mais aussi en Suède. Mais c’est surtout à partir du 26 juin 1950 - date de l’enregistrement de la chanson par Louis Armstrong - que le destin de la chanson va prendre une autre dimension.
Concours de circonstances : sur la face B du 78 tours Decca d’Armstrong, on trouve une autre chanson française au destin tout aussi exceptionnel et reprenant également les mots du titre en français : « La Vie en Rose ».

Un succès international

Evidemment, on compte plus les versions anglaises enregistrées depuis 1950. Parmi elles, il faut cependant noter celle de la vedette internationale française, Jean Sablon, qui l’enregistre d’abord en français, ensuite en anglais.
Egalement celles des plus grands artistes américains : Danny Kaye (N°21 aux USA en 1950), Eartha Kitt qui en fait un véritable standard (N°8 au Cash Box US en 1953), Nat King Cole (il ne l’a chantée qu’en télé), mais surtout Conway Twitty (N°22 aux USA, classé cinq semaines dès le 16 janvier 1961, N°40 en UK, classé trois semaines dès le 23 février 1961, N°10 en Italie, classé 5 semaines en 1962).
Et il y en aura d’autres : Caterina Valente, Paul Anka, Bing Crosby, Dean Martin, Cliff Richard, Petula Clark, Dionne Warwick, Barbra Streisand…

Au Royaume-Uni, la chanson (sous-éditée par Peter Maurice Music Co) entre le 8 avril 1950 au hit-parade des ventes de petits formats (les partitions musicales qui se vendent alors bien plus que les disques auprès du public). Elle va y rester 18 semaines avec une troisième position à la clé. Johnny Desmond est là-aussi le premier à la publier en mars sur ce marché.
Suivent les versions de Danny Kaye, Robert Clary en avril, Victor Sylvester, Géraldo et leurs orchestres en mai. Toujours en mai, on découvre la version de Jean Sablon, de Léo Fuld. En juin, ce sera celle de Joe Loss et de son orchestre. Quant à la version de Louis Armstrong, elle n’arrivera à Londres qu’en avril 1951.

A partir de là, « C’est si bon » va être adapté dans de nombreuses langues, la plupart du temps en gardant son titre français.
Dès les années 50, on trouve des versions en allemand, yiddish, espagnol (« Es mejor », « Es tan bueno »), portugais (« Cecy bom », « É tão bom »), flamand et néerlandais (« T'es Zu Goed », « T’Ess Zu Goot », « 't is zo leuk »), suédois (« Längkalsong », « Direktor »), danois, finnois (« Hyvä on olla luonasi »), hongrois (Vártam rád), roumain (« Ce frumos »), bulgare (Толкова Е Хубаво), polonais (« To Jest To »), russe (« Xopowo » ou « Это Так Прекрасно »), japonais…

Avec « Les feuilles mortes », « La vie en rose », Comme d’habitude »… et quelques autres, « C’est si bon » compte des centaines de versions enregistrées.

Une chanson de films et de pub !

La chanson sera aussi utilisée – souvent en version instrumentale - dans de nombreux films, téléfilms et feuilletons (des productions françaises mais aussi italiennes et américaines) depuis 1948 : une douzaine dans les années 50, une dizaine dans les années 60 (y compris « Le fugitif » et « Ma sorcière bien aimée »), une demi-douzaine dans les années 70 (notamment « Columbo »), idem dans les années 80 (y compris « Magnum »), dans les années 90, une dizaine dans les années 2000 (des productions également suédoises et brésiliennes) et presque une vingtaine dans les années 2010 (notamment « X-Men : Days of Future Past», « Absolutely Fabulous, le film », « Le loup de Wall Street »…).

Quant à la publicité, elle a largement utilisé « C’est si bon ». On a dénombré une vingtaine de spots en France (Mont Blanc, St Laurent, William Saurin, Lu, Jacques Vabre, McDonalds avec une version inédite signée Bob Sinclar, Harry’s, Palmolive, Renault, Crédit agricole…), mais il doit en exister bien d’autres sur la planète.

L'anecdote

En 2020, avec Iggy Pop et Diana Krall en featuring, Thomas Dutronc a publié une nouvelle version de « C’est si bon ».
Juste retour des choses, car, au printemps 1967, l’éditeur de « C’est si bon », Philippe Seiller de Paul Beuscher, avait trouvé que le tube de la jeune vedette Jacques Dutronc, « J’aime les filles », avait des similitudes avec « C’est si bon », notamment au niveau des harmonies. Seiller en aurait même parlé à Henri Betti mais « l’affaire » n’alla pas plus loin.

Remerciements à Olivier Betti, petit-fils d’Henri Betti, pour ses importantes recherches sur les chansons de son grand-père.

Découvrez les nombreuses reprises de ce titre


L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).