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Chronique
"Tout le monde" de Zazie
"J’avais l’idée d’écrire une liste de courses…"

L’année où l’équipe "black-blanc-beur" de Thuram, Barthez et Zidane gagnait la coupe du monde de foot, Zazie faisait rimer Jamel, David et… Jean-Marie. Dix-huit ans plus tard, Zazie revient sur la genèse de cette chanson.

Comment l'idée vous est-elle venue d'écrire une chanson à partir de prénoms ?

Je suis partie d’une liste de mots en deux syllabes. Au début, j’avais écrit une liste de courses qui devait faire deviner la vie des personnages : quelqu’un de pressé n’achète que du surgelé, etc. Il y avait l’idée de jouer sur les slogans. D’ailleurs, des publicitaires m’ont, plus tard, proposé de chanter "tout le linge il est beau". J’ai évidemment refusé. La liste de courses, c’était une fausse bonne idée.

Par ailleurs, la musique était up tempo, légère, mais je cherchais à l’éclairer de quelque chose d’émouvant sur un passage en mineur. Donc, je suis passée à une liste de noms de chanteurs morts à 27 ans (Hendrix, Joplin, Buckley…). L’idée était de les faire revivre et de leur rendre hommage, mais ça aurait pu paraître prétentieux et un peu accablant. Il y avait, néanmoins, quelque chose à jouer avec une liste de prénoms.

Qu'est-ce qui est le plus important, dans cette chanson : les couplets ou le refrain?

Les couplets. Le prénom, ça dit l’identité, l’histoire, le patrimoine… Mais ça dit aussi ce qu’on en a fait dans le cas de Johnny ou Jamel.

J’habite à Belleville, où se côtoient David, Karim et Zazie. C’était donc un hymne à la paix, au métissage et à la différence. Il fallait que ce soit fédérateur. C’est une chanson légère, mais faussement naïve.

Je n’ai pas la prétention de changer quoi que ce soit, d’être provocatrice ou politique. Je suis, par contre, attachée à la liberté de dire une inquiétude en laissant le choix aux gens de voir seulement le côté "tout le monde il est beau" ou de voir un peu plus loin. À moi de trouver les ruses et une forme d’élégance pour continuer à poser les bonnes questions.

Chanter «quitte à faire de la peine à Jean-Marie», c’est une familiarité, mais c’est doux, comme attaque. Il faut pouvoir se moquer du monde, et de nous-mêmes.

Avez-vous été inquiétée en la chantant ?

Dans ces années-là, j’ai eu des soucis avec quelques antennes locales du FN. Je me souviens d’un concert à Amiens, où des tracts avaient été distribués à mon public qui invitaient au boycott. C’était écrit: "chanteuse d’extrême gauche" (rires).

Aujourd'hui, la chanson prend-elle une signification nouvelle ?

Elle rappelle simplement que derrière un prénom, il y a une identité et que tous les Karim ne sont pas des terroristes.

Pour autant, on reste dans le divertissement et, après ce qui s’est passé au Bataclan (en novembre 2015), le divertissement devient en soi une forme de subversion. Il faut continuer à faire entendre une pluralité : des chansons gauloises, engagées, désengagées, cyniques…
Il y a encore des chanteurs qui osent des chansons à la fois populaires, poétiques et engagées comme Souchon, avec Et si en plus y’a personne.

Comme disait en substance Léo Ferré, on a la poésie "à la gâchette"*. Il faut s’en souvenir.

Expression tirée du poème Des armes,* publié en 1969. Le vers cité est : "Et des poètes de service à la gâchette".

Par Yohav Oremiatzki.
Crédit photo : Marc Chesneau/Sacem

Partition "Tout le monde"
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L'auteur

Philippe Barbot

Philippe Barbot, journaliste musical de Télérama à Rolling Stone, est aussi l'auteur d’une biographie d'Alain Bashung, de"Backstage"et de "101 Chansons Cultes".
Auteur compositeur interprète, il a publié deux albums de chansons, "Point Barre" et "Dynamo".