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Chronique
La vie est un long fleuve tranquille - 1988
Etienne Chatiliez, Gérard Kawczynski et Florence Quentin
Un film culte avec "Jesus reviens"

La vie est un long fleuve tranquille est l’une des comédies dites cultes des années 80 avec Le Père Noël est une ordure ou Trois hommes et un couffin.

Un ovni

Sa singularité est cependant importante : le réalisateur Etienne Chatiliez inconnu du public en est à son premier long-métrage (après une brillante carrière dans la publicité : Eram, …) et il n’y a aucune star au casting à l’exception de la participation de Daniel Gélin.

Bref, en ce début 1988, c’est un véritable ovni qui triomphe dans les salles (4 millions de spectateurs !) face aux critiques pour le moins réservés.
Parodie ? Dérision ? Premier degré ? William Leymergie y voit même une ressemblance avec les films tchèques des années 60.

Les médias ne comprennent pas mais la France rit et fort devant ce portrait au vitriol des familles catholiques traditionnalistes face aux prolétaires que quelques kilomètres séparent. Le réalisateur s’est servi de ses souvenirs d’enfance dans le nord de la France et s’est inspiré des comédies italiennes, « Affreux sales et méchants » en tête.

Une scène culte

Et puis il y a cette scène extraordinaire, quand le père Aubergé campé par Patrick Bouchitey interprète la chanson instantanément mythique « Jésus Reviens » lors de la kermesse de fin d’année d’une école primaire dite « libre ».

Telle une rock star il empoigne guitare douze cordes et micro tout en mixant les sous-entendus, notamment lorsqu’il prononce « Judaaaas ». Le film, alors dans sa première demi-heure, entre dans la légende.
Le titre composé par Gérard Kawczynski (ex-collaborateur de Dutronc et membre du groupe culte Le System Crapoutchik) et écrit par les scénaristes Chatiliez / Florence Quentin est en parfaite symbiose avec le début 1988, fin de la première cohabitation (Mitterrand / Chirac), quelques mois avant les élections présidentielles que les conservateurs veulent gagner pour se venger de mai 1981. Coluche et Le Luron sont morts en 1986, Desproges va partir, les Nuls percent parmi les initiés sur Canal Plus et le cinéma a besoin de nouveautés.

Si « La vie est un long fleuve tranquille » manie une dérision ancrée 80’s, il annonce clairement la décennie suivante par son esthétique sobre voir minimaliste et son malaise social sous-jacent. Comme un retour aux années 70.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Patrick Bouchitey, aidé par la chanson, y fait son retour inattendu au cinéma après des débuts prometteurs en 1976 (« La meilleure façon de marcher » (Claude Miller) aux côtés de Patrick Dewaere) puis une longue éclipse.

"La vie est un long fleuve tranquille" est le film anti-frime à une époque où celle-ci était tant à la mode. Bouchitey, les comédiens de théâtre, les révélations Benoit Magimel (Momo) – Catherine Jacob (Marie-Thérese), c’est somme toute ce qui n’a pas fait prendre une seule ride à l’œuvre.
Juste un pas de côté et sans méchanceté pour les personnages, rire des choses profondes, on redécouvre encore certaines perles plus de trente deux ans plus tard. « Du haut de la croix indique-nous le chemin ».

Bulletin de déclaration "Jesus reviens"
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Partition "Jesus reviens"
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L'auteur

Mathieu Alterman

Journaliste, chroniqueur (LCI, C8, Le Point, ...) et réalisateur de documentaires (Les Magnifiques - Paris Première).

Après avoir été pendant dix ans directeur artistique en maisons de disques et prêté sa plume à la revue Schnock, il enseigne le décryptage de la pop-culture, la communication de crise, le pitching et l’histoire des médias.

Il anime des conférences pour le groupe Ionis (Jacques Séguéla, Maurice Levy, Jacques Attali, …) et est aussi l’auteur de plusieurs livres dont « Les larmes de Johnny » (éditions Carnets Nord) et « Femmes Fatales (éditions Quai des Brunes).
Chroniqueur dans TPMP sur C8, professeur de pop culture et de podcast.