Le 17 septembre 1980, au Palais des Sports de Paris, a lieu la première représentation d’une nouvelle comédie musicale adaptée du roman de Victor Hugo : « Les Misérables ». Elle est signée, pour les chansons et le livret, par le compositeur Claude-Michel Schönberg et par les auteurs Alain Boublil et Jean-Marc Natel alias Jean-Claude Lucchetti-Mourou.
Schönberg et Boublil n’en sont pas à leur coup d’essai : en 1973, ils ont déjà signé et monté « La révolution française », le premier opéra-rock français, qualifié ainsi car, sur scène, on trouvait, à la fois, un orchestre symphonique avec les chœurs de l’opéra de Paris et aussi le groupe pop-rock Martin Circus.
Quelques mois après cette révolution dans le monde du théâtre musical jusque-là dominé par l’opérette, Claude-Michel Schönberg décroche un premier tube d’interprète avec « Le premier pas » et entame une carrière qui va durer une dizaine d’années. On l’entendra même dans l’album de la comédie musicale « Front Populaire 36 » avec Julien Clerc.
De son côté, depuis la fin des années 60, Alain Boublil écrit des chansons sous le pseudo de Franck Harvel et, en parallèle, travaille pour Europe N°1 puis comme directeur artistique des disques Vogue. Il signe quelques succès avec Michel Berger, quelques autres avec Schönberg, pour Dani comme Petula Clark, et place aussi les titres de son copain Claude-Michel à divers interprètes.
Quant à Jean-Marc Natel, il signera en 1982 la chanson « Secrétaire de star » avec Balavoine et Boublil pour la vedette de « Starmania », Fabienne Thibeault, puis, en 1984, « La fusée de Noé », toujours avec Boublil, pour la comédie musicale « Abbacadabra ».
Evidemment, quelques mois plus tard au Palais des Sports, la distribution va changer presque entièrement. Si Yvan Dautin et Rose Laurens restent, d’autres artistes - tels Jean Vallée ou Marianne Mille - remplacent les vedettes. Il faut préciser, qu’en 1980 en France, cela ne se fait pas pour ces dernières de jouer dans une comédie musicale (même si elles sont rares, mise à part « Starmania » créée en 1978).
Prévue pour huit semaines, les « Misérables », qui sont mis en scène par le célèbre comédien Robert Hossein, vont rester à l'affiche 16 semaines, et réunir en 107 représentations près de 500 000 spectateurs… Et cela aurait pu continuer ainsi… Si le Palais des sports avait été disponible, ce qui n’était pas le cas.
A cause de cet arrêt après seulement quatre mois, on racontera longtemps que « Les Misérables » n’ont pas tenu l’affiche à leur création. Si on rajoute qu’aucune chanson du spectacle n’a été un tube en 1980, on comprend mieux pourquoi on a alors parlé d’échec.
Si « J’avais rêvé d’une autre vie » déclenche une ovation sur scène, c’est vrai qu’elle ne révolutionne pas les hit-parades des radios périphériques françaises (la bande FM ne sera libérée que l’année suivante, en 1981), ni celui des disquaires (le Top 50 ne sera créé qu’en 1984).
Ce serait d’ailleurs par le plus grand des hasards que Cameron Mackintosh, le grand producteur de comédies musicales à Londres (il a lancé « Cats » en 1981) serait tombé sur le 30 cm des « Misérables », arrivé par la poste sur son bureau. Comme tous les professionnels qui ne veulent rien manquer, il aurait posé machinalement le disque sur sa platine et serait immédiatement tombé amoureux des chansons.
Tellement fort, que, quelques temps après, Mackintosh décide d’adapter le spectacle en anglais, mais en deux actes, au lieu de trois. C’est là que « J’avais rêvé d’une autre vie » devient « I Dreamed A Dream » sous la plume d’Herbert Kretzmer.
Tout va très vite ensuite. En octobre 1985, « Les Misérables » sont présentés au Barbican Theater de Londres où ils font un triomphe. Patti LuPone y crée « I Dreamed A Dream ». Elaine Page, qui a fait partie de la troupe de la création de « Cats », prendra la suite.
Suite à un triomphe dans le West End, la logique veut qu’on enchaine sur Broadway. « The Miz » s’installe donc à New-York dès mai 1987. C’est à nouveau un triomphe. Jusqu’en 2002 où le musical sera arrêté après 15 ans, 6 612 représentations et des recettes dépassant les 390 millions de dollars. « The Miz » arrive juste derrière « Cats » pour le titre de spectacle le plus longtemps joué à Broadway.
En revanche, à Londres, en 2006, « The Miz » détrônent « Cats » en dépassant les 21 ans de présence à l’affiche. En 2009, le Musical bat le record du nombre de spectateurs, tous pays confondus, avec 65 millions.
Evidemment, l’heureux producteur fera tourner « son » spectacle un peu partout dans le monde, y compris en France avec une nouvelle version adaptée de celle de Londres (Boublil doit même réécrire les textes d’après ceux de Kretzmer), neuf mois en 1991 à Mogador et un mois en 2010 au Châtelet. Cette version est également jouée au Théâtre Saint-Denis à Montréal. Cependant, si les critiques françaises sont bonnes, le spectacle ne se joue pas à guichets fermés, ce qui fera dire à nouveau aux médias que « Les Misérables » ne marchent pas en France.
En été 2008, Le Capitole de Québec obtient les droits exclusifs pour créer une nouvelle version : nouvelle mise en scène et nouveaux arrangements (sans guitare et sans synthétiseur). C’est un tel succès qu’elle sera reprise l’été suivant au même endroit, puis, en 2010, aux Francos de Montréal. La même année, Mackintosh offrira un lifting à la version londonienne et autorisera à Varsovie une nouvelle version inédite en polonais. Sept ans plus tard, c’est une version en hébreu qui sera jouée à Tel Aviv.
Si Mackintosh a produit d’autres Musicals jusqu’à aujourd’hui (« Le fantôme de l’opéra », « Oliver »…), et notamment du tandem Boublil-Schönberg (« Miss Saïgon », « Le retour de Martin Guerre »…), il n’a jamais laissé tomber « Les Miz » et les a « protégés ». En effet, le spectacle n’a jamais été filmé sur scène et donc n’a jamais été diffusé en télévision ni n’a pu sortir en VHS ou en DVD. En Blue Ray, on ne trouve que la captation d’un concert à 02 Arena de Londres. Le meilleur moyen de préserver le chiffre d’affaires des salles de spectacles….
En 2012, Mackintosh est cependant derrière la production du film de Tom Hooper (Alan Parker avait déjà voulu faire un film des « Miz » mais n’avait pas réussi à le monter). Comme le Musical, le film marche mieux à l’international qu’en France, où il fait un mauvais démarrage avec 127 909 entrées en première semaines (n°9). Y aurait-il une malédiction ?
Ceci dit, la chanson ne connait une véritable résurrection qu’en avril 2009, lorsque l’Écossaise sans emploi, Susan Boyle, la reprend et stupéfie le public et le jury lors du télé-crochet « Britain’s Got Talent » sur ITV. Au mois de novembre suivant, le titre sera même la locomotive de son premier album qui battra des records de ventes avec plus de 10 millions d’exemplaires vendus. Elaine Paige, déclarera même être prête à chanter cette chanson en duo avec Susan.
En revanche, dix ans plus tard, on « rêve toujours d’une autre vie »… en français pour ce standard mondial… « Nul n’est prophète en son pays ».
Déjà, au printemps 1961, quand « West Side Story » se joue à l’Alhambra Maurice Chevalier de Paris (aujourd’hui disparu), Alain Boublil, qui a 20 ans, tombe sous le charme des comédies musicales, bien différentes des opérettes à la mode en France.
Cependant, il n'imagine pas être un jour capable de créer une telle œuvre. Il faut dire que la musique de « West Side Story » est signée Leonard Bernstein et les textes Stephen Sondheim. Et comme Boublil comprend l’anglais, il se dit que la barre est vraiment trop haute.
Ce n’est que dix ans plus tard, alors qu’il est à New-York et qu’un patron de maison de disques lui demande de le remplacer à la Première d’une nouvelle comédie musicale, qu’il aura le véritable déclic.
En effet, en octobre 1971 à Broadway, « Jesus-Christ Superstar » lui paraît bien plus accessible. La musique en est signé d’Andrew Lloyd Weber et les textes Tim Rice. Les deux créateurs sont tous deux plus jeunes que lui et n’ont que peu d’expérience. Ils ont d’abord enregistré un album de « Jesus-Christ » avant de monter le spectacle sur scène… Et, enregistrer un disque, ça, Alain Boublil sait faire.
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