X
interstitiel
Chronique
Maladie d’amour
Henri Salvador repris par Paul Anka !

Le 7 février 1931, l’Orchestre de la Boule Blanche enregistre une biguine martiniquaise du nom de « Maladie d’amour », en face A d’un 78 tours pour les disques Columbia. C’est le début d’une longue histoire à plusieurs chapitres.

Des origines créoles

La biguine – qui aurait beaucoup influencé le jazz - a débarqué des Antilles en Europe, et notamment en France, grâce au clarinettiste martiniquais (qui a grandi en Guyane) Alexandre Stellio, lequel se produit à Paris en 1929. En avril 1930, il joue à l’inauguration de la Boule Blanche, le cabaret antillais de la rue Vavin. Son orchestre devient ensuite, en 1931, l’attraction du Pavillon de la Guadeloupe à l’Exposition coloniale qui se tient au Bois de Vincennes à partir du 6 mai 1931. Il y engage comme chanteuse la pétillante Léona Gabriel-Soïme, alias Estrella, originaire de Rivière-Pilote à la Martinique.

Il faut dire que Léona Gabriel chante déjà la biguine. C’est elle qui, sous le pseudonyme de Mademoiselle Léona, assure - ce qu’on appelle alors - le « refrain chanté » sur le 78 tours instrumental de « Maladie d’amour », joué par l’Orchestre de la Boule Blanche. Ce dernier est dirigé par Robert Charlery-Banguio, qui est d’ailleurs crédité sur l’étiquette bleu du disque pour l’« arrangement » du morceau. En revanche, personne ne l’est ni pour le texte ni pour la musique car « Maladie d’amour » fait partie du folklore martiniquais. La chanson est d’ailleurs chantée en créole. Fin du premier chapitre.

Une histoire familiale

Né en 1917 à Cayenne de parents guadeloupéens, Henri Salvador débarque en France avec sa famille en 1929. Il a une sœur, Alice, un frère, André… Et sa tante est Léona Gabriel.

Fasciné par cette dernière, il va souvent l’applaudir en cabaret et apprend la batterie et la guitare, quittant même l’école pour la musique. C’est en 1933 qu’il découvre le jazz. Deux ans après, il se produit avec son frère dans le très renommé cabaret parisien le Jimmy’s où Django Reinhardt repère des « parfums tropicaux » dans la façon de jouer d’Henri et l’engage comme accompagnateur.
Après un service militaire où il est emprisonné comme déserteur, la guerre éclate. Il a à peine le temps d’être envoyé sur le Front Nord que c’est la débâcle. On le retrouve en zone libre à Nice comme musicien de l’Orchestre de Bernard Hilda.

C’est là que Ray Ventura le remarque et l’emmène avec lui et son orchestre en Amérique du Sud jusqu’à la fin de la guerre. Au Brésil, il triomphe en imitant Popeye, mais aussi en chantant le « Maladie d’amour » de sa tante.

Une carrière lancée

C’est en 1946, rentré en France, qu’il entame une carrière solo de chanteur créole. Signé chez Polydor, le label de Jacques Canetti qui est aussi alors celui de Ray Ventura, il enregistre « Maladie d’amour » en face A de son premier 78 tours solo qui sort en mars 1948. Là encore, l’étiquette rouge indique comme crédits « Folklore antillais ». Fin du deuxième chapitre.

Cette chanson, qui lance la carrière d’Henri Salvador, va le marquer tellement qu’elle figure en janvier 1958 sur un super-45 tours où sont regroupées ses « Chansons créoles ». Détail intéressant, cette chanson est à nouveau créditée au dos de la pochette « folklore antillais ». Il faut dire qu’en 1958, le titre a commencé sa carrière internationale.

La carte de signalétique datée de 1959 indique Henri Salvador et Léona Gabriel (disparue en 1971) comme compositeurs et Léona(rd) Gabriel et Jean Marcland (alias Marc Lanjean) comme auteurs.
Leona Gabriel aurait par ailleurs déposé une cinquantaine de chansons, la plupart « folkloriques », dont « Petite fleur fanée », avec André Salvador, le frère d’Henri.
Quant à Jean Marcland, un arrangeur, compositeur mais aussi adaptateur, il aurait déposé plus de 200 chansons avec Ray Ventura, Paul Misraki, Léo Ferré et Michel Legrand.
Selon le musicien et compositeur antillais Ernest Léardée, qui a lancé André, le frère d’Henri, et d’après son ouvrage « La Biguine de l'Oncle Ben's », Henri Salvador aurait déposé la chanson suite à un arrangement de l’œuvre avec son complice Jean Marcland (Ndlr : ce qui est courant quand on « arrange » un morceau du domaine public ou du folklore).
En fait, la chanson a bien été déposée une première fois en 1949 par Henri Salvador et Jean Marcland/Marc Lanjean et une seconde fois en 1959, en créditant en plus Léona Gabriel.

Melody of love

Il faut dire qu’en 1957, la chanson commence à être reprise à l’étranger. Peut-être grâce à Jean Sablon, vedette française en Amérique notamment, qui l’a enregistrée dès 1950, et a certainement contribué à sa carrière planétaire.

Parmi les premiers à l’enregistrer hors de nos frontières, il y a le duo danois Nina & Frederik, en 1957. S’ils la chantent en version originale, ils en signent cependant l’arrangement sur l’étiquette du 45 tours qui sort au Danemark, mais aussi aux Pays-Bas. A Copenhague, c’est Raquel Rastenni, qui, plus tard, adaptera Gainsbourg en danois, qui l’enregistre toujours vers 1957 dans une adaptation danoise de Knud Pheiffer qui est crédité aux côtés d’Henri Salvador.
La même année, une version en suédois est enregistrée par Lars Lönndahl. Là encore, on trouve le nom de Salvador indiqué aux cotés de celui de l’adaptateur local, Lisbeth Stahl.

Cependant, c’est le quatuor américain Ames Brothers qui met vraiment le feu aux poudres avec une version anglaise - « Melody d’Amour » signée Leo Johns – qui se classe N°5 en décembre 1957 au Billboard Pop Chart. Cette version anglaise sera ensuite souvent nommée « Melody Of Love » voire « Cha Cha Cha d’amour ».

Sur l’étiquette, on découvre le nom de Salvador à côté de celui de Johns, comme sur le disque du grand chef d’orchestre de Trinidad, Edmudo Ros, qui l’enregistre aussi la même année et va en faire un de ses standards. Quelques années plus tard, Paul Anka puis Dean Martin la graveront aussi en anglais avant qu’un groupe de dixieland ne la classe, cette fois, à la deuxième place du Billboard en 1963.

Toujours en 1957, la chanson est reprise en allemand par la Belge Angèle Durand sous le titre « Melodie d’amour », un texte de Heinz Woezl, alias Glando qu’on retrouve sur l’étiquette aux cotés de Salvador et Johns.

Danemark, Suède, USA, Allemagne… ça y est : Henri Salvador a définitivement acquis la paternité de la chanson… et cette douce « Maladie d’amour » va contaminer la planète.

L’anecdote

Le musicien antillais Ernest Léardée fait également remarquer dans son livre de souvenirs, que, né en 1896, il se souvenait avoir entendu la chanson adolescent, notamment à l’époque du carnaval où on composait des chansons pour tourner quelqu’un en dérision. Et les auteurs originaux et inconnus de « Maladie d’amour » avaient jeté leur dévolu sur une femme d’âge mur, surnommée Cha Cha qui avait l’habitude de s’amouracher de garçons bien plus jeunes qu’elle.

© Jean-Marie Birraux / Dalle

Retrouvez la liste des reprises (format pdf)

Ancienne carte signalétique "Mélodie d'amour" - version anglaise
DÉCOUVRIR L'ARCHIVE
Bulletin de déclaration "Mélodie d'amour"
DÉCOUVRIR L'ARCHIVE

L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).