Plus qu’un personnage de feuilleton télévisé, plus qu’un héros de bande dessinée, plus qu’un archétype du cinéma incarné par Alain Delon ou Antonio Banderas, Zorro est une chanson.
Mais, le 21 décembre 2007, pendant l’ultime concert de sa carrière, au Palais des Congrès, Henri Salvador lance à propos de Zorro est arrivé : « Ça fait manger, ça ! ». Car s’il s’agit sans doute du plus grand succès de sa carrière, il n’a pas longtemps caché qu’il n’avait pas grande estime pour cette chanson.
À l’aube des années 60, malgré ses succès de la décennie précédente, Henri Salvador étouffe dans le carcan d’une maison de disques. Il aime le jazz, l’art des crooners, la chanson douce. Bien sûr, il sait faire rire et ne s’en est jamais privé. Simplement, il se lasse qu’on ne lui demande que cela et ses relations avec Philips se sont peu à peu dégradées.
En 1964, il décide de rompre tout à fait avec Philips et crée les disques Rigolo, qui seront distribués par Vogue. Premier 45 tours-quatre titres : Avec la bouche, adaptation drôle et virtuose de Bye-bye Blues, chanté jadis par l’immense Bessie Smith.
En deuxième position de la face B (donc a priori sans aucune ambition commerciale), la reprise d’Along Came Jones, chanson des Coasters, quintet de doo wop qui a atteint la neuvième place du classement des ventes pop aux États-Unis. C’est un délire inspiré par le film Along Came Jones, sorti en 1945, avec Gary Cooper dans le rôle principal. En 1959, la chanson des Coasters évoque l’ennui suscité par un western englué dans les clichés du héros grand, mince et flegmatique.
L’adaptation française a été écrite par Bernard Michel, fidèle complice de Salvador. Le sujet ? Un héros dont les aventures sont connues en France par la bande dessinée et qui est l’objet d’un feuilleton dont on dit qu’il est un colossal succès aux États-Unis… Titre rythmé, amusant, sans prétention, rapidement enregistré et dont le chanteur dit ouvertement à son entourage qu’il ne l’aime pas.
La légende veut que ce soit l’émission d’Europe 1 « Dans le vent », destinée au jeune public, qui lance Zorro est arrivé en le passant vingt-trois fois de suite à la demande des auditeurs qui appellent au standard. Salvador peut bien ne pas avoir beaucoup de goût pour cette chanson, elle fonctionne à plein dès les premières semaines.
Les disques Rigolo réagissent : puisque qu’Avec la bouche est un bide, le 45 tours ressort avec Zorro est arrivé en première position. À toute allure, Salvador tourne un Scopitone dans lequel il joue tous les rôles : le téléspectateur hypnotisé par sa télé, la pauvre Suzy qui se fait ficeler et jeter sur les rails, l’immonde Jojo le Bouffi et évidemment Zorro qui monte un cheval-jupe en jouant du banjo. Quand le Zorro de Walt Disney est diffusé à partir du 7 janvier 1965, beaucoup de jeunes téléspectateurs ne comprennent pas pourquoi une autre chanson figure au générique…
© Jean-Marie Birraux / Dalle
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