« Aux Champs-Élysées, aux Champs-Élysées / Au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit / Il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Élysées » : il n’est pas nécessaire d’avoir une âme de touriste pour chanter Les Champs-Élysées, un des plus grands et des plus durables succès de Joe Dassin.
Cette chanson a été utilisée par les services consulaires français au Japon pour attirer touristes et hommes d’affaires à Paris, mais elle est aussi un hymne précieux à toutes les occasions – des mariages aux fêtes d’école – pour écrire des parodies de circonstance.
Pourtant, Les Champs-Élysées n’est pas une chanson d’origine française, puisqu’il s’agit de l’adaptation d’un titre du groupe britannique Jason Crest, Waterloo Road. Sortie en février 1968 en Grande-Bretagne, la chanson n’a aucun succès.
Waterloo Road est pourtant remarqué par un éditeur français qui lui trouve quelque chose d’à la fois séduisant et intemporel. On pourrait même dire banal, puisque la chanson est fondée sur les accords du Canon en ré majeur à 3 voix sur une basse obstinée pour cordes et continuo de Pachelbel qui, à l’époque, est d’une présence presque étouffante sur les ondes européennes.
Cette pièce de musique baroque est réévaluée depuis peu avec passion par les émissions de musique classique et elle est reprise par la musique pop, comme dans Oh Lord Why Lord des Pop Tops ou bientôt Rain and Tears des Aphrodite’s Child.
L’astuce de Michael Wilshaw, musicien de session qui a composé Waterloo Road pour Jason Crest, est de donner une sensation familière aux auditeurs sans qu’ils entendent vraiment le Canon de Pachelbel. Sans doute est-ce pour cela que Joe Dassin et Jacques Plait, son directeur artistique chez CBS, croient en cette chanson.
Quand Plait la présente à Pierre Delanoë, un des paroliers les plus prolifiques de l’Histoire, celui-ci demande où est Waterloo Road. Informé qu’il s’agit d’un équivalent londonien des Champs-Élysées, l’auteur se lance.
Il ne fait qu’adapter en français l’histoire en trois couplets de cette rencontre entre un garçon et une fille qui l’entraîne dans une cave où jouent des musiciens formidables qu’ils abandonnent au point du jour quand chantent les oiseaux sur l’avenue. Delanoë glisse tout juste un peu de sentiments amoureux – on est en France – là où les Anglais se concentrent sur le plaisir musical, mais Jacques Plait conserve la brillante invention des commentaires du saxophone soprano entre les vers du refrain.Peut-être la facilité avec laquelle cette chanson est conçue conduit-elle ses pères à ne pas la considérer avec beaucoup d’égards. C’est une « chanson d’album » et elle se retrouve en face B du 45 tours du Chemin de papa, mélancolique ballade familiale mid-tempo composée par Joe Dassin, qui sera le premier titre de la première face son nouvel album.
Les Champs-Élysées vient en troisième position sur ce 33 tours qui reprend les chansons de trois 45 tours parus au cours des derniers mois (Siffler sur la colline, Ma bonne étoile et Le Petit Pain au chocolat). Le Chemin de Papa est censé poursuivre cette impeccable série de singles à succès quand les programmateurs des radios et – tout simplement – les fans de Joe Dassin avouent retourner le disque avec plaisir.
Oh, Champs-Élysées sera ensuite un des plus grands tubes de la discographie en allemand de Joe Dassin, tout comme The Champs Elysees marquera le commencement de sa carrière en langue anglaise – deux succès d’exportation valorisant avec efficacité les prestiges éternels de « la plus belle avenue du monde » autant que les charmes du Paris aux mœurs libres d’après Mai 68.
Photo en haut de page © Bob Lampard-Rancurel Photothèque / Dalle
L'auteur