Born To Be Alive compte parmi les standards mondiaux consommés à l’envi depuis des décennies sous tous les cieux et à tous les degrés – la fête conviviale, le divertissement de masse, le remploi distancié… Pourtant, c’est une chanson rescapée du naufrage ordinaire d’une carrière dans la périphérie du mainstream.
L’épopée de Born To Be Alive est à ce point prospère qu’on a fini par perdre le compte des exemplaires vendus du single et des présences de la chanson sur des compilations, et par tenir pour à peu près juste le total de cinquante-six disques d’or dans vingt-cinq pays. De toute manière, est-il encore besoin de compter à ce niveau-là ? Il suffit de penser à ce « Born, born, born » à la voix grave et filée pour se souvenir…
Né en 1949, Patrick Hernandez appartient à cette génération qui grandit avec la Beatlemania et arrive dans la carrière à l’orée des années 70, comme Gérard Blanc de Martin Circus ou Serge Koolenn d’Il Était Une Fois. Mais il n’a jamais eu l’occasion encore d’atteindre les sommets. Il commence par écumer les bals entre Sud-Ouest et Limousin, participe à plusieurs groupes dont le plus notable est Paris Palace Hotel. Costumes à la Rubettes, variété-pop un peu sucrée, reprise rock de Ramona – une musique dans l’air du temps, mais qui ne convainc guère.
Il a presque complètement abandonné la musique pour se tourner vers l’agriculture quand son chemin recroise Jean Van Loo. Le producteur belge avait travaillé avec PPH et lui propose de venir à Mouscron, à deux pas de la frontière française, pour y travailler avec lui dans le studio de Marcel De Keukeleire.
Cet ancien accordéoniste de bal était disquaire quand Jean Van Loo dirigeait le Twenty Club, où Jimi Hendrix a donné son unique concert en Belgique. Marcel De Keukeleire créé en 1970 une maison de production discographique.
Ensemble, les deux hommes disposent d’un flair étonnant. Ils lancent ainsi Chocolat’s, « groupe » qui, entre 1975 et 1978, va enregistrer une série de tubes internationaux, à commencer par Brasilia Carnaval, écrit, composé, enregistré et mixé en une journée par Marcel De Keukeleire. Ensuite viendront des classiques de la boîte de nuit et du mariage populaire comme Rythmo Tropical ou Donne-moi un baiser (adaptation flandrienne du traditionnel Ban mwen on ti bo des Antilles françaises) – plus de six millions d’albums. Ensuite, en 1980, ils découvriront l’efficacité d’une sorte de polka flamande jouée à l’accordéon, qui en fait est née en 1957 en Suisse alémanique et à qui ils vont faire courir la planète sous le nom de Danse des canards – 41 millions d’exemplaires…
Dans l’immédiat, Jean Van Loo propose à Patrick Hernandez de revenir sur son ancien répertoire et notamment sur une chanson enregistrée en 1975 avec PPH sur un album qui n’est jamais sorti. Born To Be Alive va être revêtue de nouveaux atours au goût du jour.
Car les deux sorciers de Mouscron ont compris que la disco, qui déferle sur le monde entier, a besoin de mélodies simples posées sur une rythmique solidement charpentée, mais aussi d’idées sonores très caractéristiques, comme la voix à la fois ronde et métallique de Patrick Hernandez qui répète « You see you were born / Born, born / Born to be alive ».
Sorti en France en novembre 1978, Born To Be Alive passe la Manche en janvier 1979 puis l’Atlantique en avril. N°1 en France et dans la plupart des pays européens, n°10 en Grande-Bretagne, n°16 aux États-Unis (mais 1er dans les clubs), la chanson prend rapidement un rythme de croisière singulier. Avec sa canne qui ne le quitte jamais sur scène, Patrick Hernandez court le monde des boîtes de nuit et des plateaux de télévision.
Aucune de ses autres compositions ne parviendra à égaler Born To Be Alive mais il continuera d’en assurer inlassablement la promotion, année après année. Et il reconnaîtra en interview être sans doute le plus serein des one hit wonders.
Par Bertrand Dicale
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