Alors que la guerre froide était bien installée, un vent de romantisme sibérien permit à Maurice Jarre de s’imposer définitivement à Hollywood… Après une première collaboration auréolée de succès sur Lawrence d’Arabie (7 Oscars dont celui de la meilleure musique originale), David Lean et Maurice Jarre décident de retravailler ensemble sur l’adaptation du Docteur Jivago.
Cette somptueuse fresque historique et poétique de Boris Pasternak, prix Nobel de littérature en 1958, met en scène un triangle amoureux entre Youri, sa femme et sa muse Lara sur fond de guerre civile, le Pays des Tsars se transformant douloureusement en Union des Républiques Socialistes Soviétiques.
Apprenant que la mélodie du répertoire russe qu’il envisageait de prendre pour chanson-thème n’est pas libre de droits, Lean charge Jarre de lui créer un leitmotiv rythmant les apparitions de la belle Lara et enveloppant les bonheurs du couple adultère qu’elle forme avec Youri Jivago (incarné par Omar Sharif, déjà remarqué dans Lawrence d’Arabie), docteur sensible et poète mal vu des Bolchéviques.
Les trois premières tentatives du compositeur français sont refusées par le réalisateur anglais. Trop triste. Trop maniérée. Trop rapide. Pas assez directes. Lean suggère alors à Jarre d’oublier un temps le scénario en allant passer un week-end à la montagne avec sa compagne. Ensuite, il écrira une mélodie pour cette dernière. Amoureuse, et universelle.
Jarre suit ce conseil, et le lundi matin suivant cette escapade, une courte valse romantique de 16 mesures à deux temps naît sur son piano. Afin de l’habiller d’une couleur locale, il songe à la balalaïka, luth à trois cordes au son sec et brillant très populaire dans la musique folklorique russe.
Conscient que les musiciens de l’orchestre de la Metro Goldwyn Mayer ne sauront maîtriser cet instrument, le compositeur se rend ensuite dans une église russe orthodoxe de Los Angeles, où il déniche une trentaine de balalaïkistes qui ne lisent pas la musique et auxquels il doit apprendre une à une les notes d’un air qui va bientôt devenir culte.
Une fois la bande originale enregistrée, Docteur Jivago peut sortir en salles et émouvoir le monde entier entre 1965 et 1966, à l’exception du bloc soviétique qui le censure (tout comme le roman de Pasternak).
La chanson-thème de Jarre, qui revient une quinzaine de fois dans le film, suscite alors l’intérêt des chanteurs de variété. Parolée en « Somewhere My Love », elle est notamment enregistrée par Frank Sinatra, puis adaptée dans de nombreuses langues, dont le tchèque, le russe… et le français.
Confiant son désir de retravailler avec le compositeur de Lawrence d’Arabie à un producteur de la MGM, Lean se serait vu rétorquer que si le Français avait fait ses preuves pour le sable et le désert, il ne serait pas à la hauteur pour la neige et la toundra.
La partition de Docteur Jivago a finalement valu au père de Jean-Michel Jarre son deuxième Oscar ainsi qu’un Golden Globe.
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