Ce mélodrame de la Belle Epoque aura attendu la fin des années 40 pour connaître le succès, d'une façon assez inattendue...
« On m’appelle l’Hirondelle du Faubourg / Je ne suis qu’une pauvre fille d’amour / Née un jour d’la saison printanière / D’une petite ouvrière / Comme les autres, j’aurais p’t-être bien tourné / Si mon père, au lieu d’m’abandonner / Avait su protéger de son aile / L’Hirondelle ».
Il y a bien des tragédies dans cette chanson avant même que le scénario ne soit corsé par son auteur Ernest Dumont, qui a signé avec son complice Louis Bénech bien d’autres grands classiques de la chanson populaire des premières décennies du XXe siècle – Nuits de Chine, Riquita, L’Étoile du marin, Lune d’amour, Dans les jardins de l’Alhambra, Du gris, Maman est une étoile…
Donc, que sa maman ait été fille-mère a conduit la jeune femme à être une prostituée. Pire encore, le premier couplet campe un décor de misère et de phénol : « À l’hôpital, c’est l’heure de la visite / L’médecin en chef passe devant les lits / L’numéro treize, qu’est-ce qu’elle a, cette petite ? / C’est la blessée qu’on am’na cette nuit / N’ayez pas peur, faut que j’sonde vos blessures / Deux coups de couteau, près du cœur, y a plus d’sang / Non, pas perdue, à votre âge, on est dure ».
On apprend que la jeune fille est orpheline, sa mère ne lui ayant laissé en mourant qu’une médaille, souvenir de son amoureux qui l’avait abandonnée, et que le médecin examine : « Laissez-moi lire : André, Marie-Thérèse / Mais j’la r’connais cette médaille en argent / Et cette date : Avril quatre-vingt-treize / Laissez-moi seul, j’veux guérir cette enfant ».
Car c’est lui le père indigne et – évidemment – la blessée va succomber malgré sa science et ses remords…
Il ne semble pas que cette chanson ait été un énorme succès à sa sortie en 1912, lorsque Gaston Dona crée L’Hirondelle du faubourg au Casino Saint-Martin.
Ce n’est pas le sommet de la hiérarchie du café-concert et les petits formats de la chanson ne portent pas d’autre nom d’artiste, ce qui est le signe d’un succès commercial mitigé car les « tubes » de ces années-là se reconnaissent à leurs multiples reprises par des artistes de renom.
Cette Hirondelle pourrait rester à jamais au nid s’il n’y avait le Régisseur Albert… deux guerres mondiales plus tard.
Pierre Cour incarne dans l’émission Silence antenne sur Paris Inter un personnage radoteur et rétif à toute modernité. En 1947, il enregistre avec Francis Blanche la chanson dans une version résolument délirante.
Mais la conséquence de cette interprétation parodique est surprenante : exhumée pour une interprétation au second degré, la partition de L’Hirondelle du faubourg va connaître une notoriété qu’elle n’avait pas atteint à sa création.
Car l’après-guerre s’intéresse beaucoup à la chanson du début du siècle, goûtée pour sa candeur, sa simplicité ou sa verdeur. Et ce mélodrame spectaculairement triste sonne alors plus Belle Époque qu’à la Belle Époque.
Dans les cabarets, la chanson connaît une sorte de résurrection au premier degré, puis est enregistrée par Lina Margy, Annie Flore, Jack Lantier, Luc Barney, Georgette Plana, Raoul de Godewarsvelde – tous les spécialistes de la « chanson de toujours » et des « refrains de nos grands-parents ».
Jamais encore L’Hirondelle n’avait volé si haut…
Par Bertrand Dicale
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