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« Toujours grossier, jamais vulgaire » : Coluche, l’humoriste agitateur


Il était humoriste, farceur, comédien, provocateur. Coluche était aussi bien le généreux que le bougon. L’agitateur, l’ambigu comme l’agité. Celui reconnaissable autant par sa salopette rayée que par son visage poupon. « C’est l’histoire d’un mec » qui a fait l’histoire de l’humour et de la politique en France. 

Il a ce visage reconnaissable entre tous. Une frimousse enjouée et farceuse. Un regard profond. Encore aujourd’hui, il est l’un des comiques disparus préférés des Français. Parce que Coluche ce n’est pas que ce visage mais aussi ces sketchs, cette poésie espiègle, cette malice et une générosité inébranlable.

Il avait adhéré à la Sacem en tant qu’auteur le 28 mai 1975 et en tant que compositeur quatre ans plus tard.

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Premiers pas


Michel Colucci naît le 28 octobre 1944 dans le 14e arrondissement de Paris, rue Gazan, tout près du parc Montsouris. Bien loin d’être drôle, son enfance est d’abord marquée par le décès de son père, à l’âge de trente ans, contraignant sa mère à élever seule ses deux enfants. Une mère qui se démène : d’abord fleuriste, elle est obligée de cumuler les petits emplois pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré une grave scoliose, et tente de ne rien montrer au monde en faisant tout pour que ses enfants ne manquent de rien et soient bien habillés.
Mais, tout jeune, Coluche n’est pas vraiment un exemple de sainteté. C’est un petit cancre, ni paresseux ni inapte mais avant tout blagueur. À l’école, ce qu’il aime c’est faire rire la galerie, que ce soit dans les cours de récré comme avec sa « bande Solo », nom donné à sa troupe de copains de la cité « La Solidarité » à Montrouge. C’est là qu’il s’est installé.

Sauf qu’en réalité, Coluche ne sait pas bien qui il est et où il va. Plus tard, il tâtonne, expérimente, suit les choses de manière hasardeuse ou au gré de ses envies. Avec beaucoup de dérision, il écrit d’ailleurs plus tard la chanson « Sois fainéant », qu’il déclare à la Sacem le 21 juin 1978.

Pourtant, fainéant Coluche ne l’est pas : il s’essaie aux métiers de céramiste, photostoppeur, fleuriste (comme sa mère, jadis), serveur.
​​​​​​​Dans une interview d’archive, il le dit lui-même : « J’ai eu quatorze métiers différents et j’ai jamais réussi à en faire un seul. » C’est dans cette période d’errance qu’il a même des soucis avec la police à force de faire l’imbécile – voire parfois le voyou. En 1964, alors incorporé dans le régiment d’infanterie de Lons-le-Saunier, il fait même de la prison pour insubordination. Coluche se trouve cependant rapidement une première voie : la musique.

Paris, sa plonge et ses cabarets


Michel Colucci est sûrement loin de se douter que les expériences qui jalonnent alors sa vie le rendront Coluche. Celui capable de parler des autres, de leurs failles comme de leurs forces. De ses expérimentations aussi diverses et variées, en tant que télégraphiste ou aide-pompiste, ressort une vive sensibilité pour autrui. De ses rencontres, des personnages à imiter, à mettre en lumière ou à moquer.

Mais à cet instant précis, il ne le sait pas encore. Ce qui le guide c’est la musique. Ses références, d’abord : le rock anglais des Beatles, le puissant Johnny Hallyday, le poète Georges Brassens…
Puis Coluche finit par s'acheter une guitare à l’âge de vingt et un ans, alors même qu’il n’en a jamais joué. Amateur mais curieux, il se prend surtout de passion pour l’instrument et se décide, à la fin des années 1960, à reprendre les plus grands avec sa guitare, devant qui voudra bien l’entendre. Boris Vian, Yves Montand, Charles Trenet… Coluche se les approprie tous devant des clients de terrasses parisiennes typiques des quartiers de Saint-Michel et alentours.
​​​​​​​C’est là qu’il rencontre ses premiers grands camarades de jeu et de vie : Xavier Thibault et Jacques Delaporte, tous deux musiciens. Avec eux et le guitariste et flûtiste Jean-Claude d’Agostini, Coluche crée un groupe, Les Craignos Boboys. Sans le savoir, c’est ici que tout commence réellement. Un effet papillon qui débute au 16, rue des Bernardins, dans le 5e arrondissement de Paris.

Coluche cherche des petits boulots par-ci par-là pour subvenir à ses besoins – mais surtout tenter d’approcher du doigt le milieu parisien du spectacle. Il toque alors à la porte d’un petit cabaret du quartier de la montagne Sainte-Geneviève : Chez Bernadette. La jauge ? Une trentaine de places, pas plus, mais une ambiance bohème, insouciante et chaleureuse. Coluche joue plutôt le plongeur que le musicien mais une fois son service fini, il s’amuse à reprendre quelques chansons, notamment d’Aristide Bruant. C’est ici qu’il rencontre celui qui deviendra son mentor, son camarade puis son ami : Georges Moustaki.

« Ce qu’il avait, c’était un énorme sens de la repartie », se souvient ce dernier. Grand amateur de Georges Brassens, parolier et interprète, Moustaki est alors connu pour être celui qui a écrit « Milord » à Édith Piaf. Au quotidien belge la DH, il s’émeut de leur rencontre : « Coluche est devenu une icône. Pour moi, il reste surtout un type extrêmement humain », se rappelle-t-il, tout comme il se souvient de l’ambiance familiale qui règne alors dans le cabaret : « Bernadette nous nourrissait, nous entourait de chaleur humaine, mais, avec ses 30 spectateurs quand tout marchait bien, elle ne pouvait guère nous payer convenablement. Alors on s’entraidait. »

C’est comme ça que Coluche se retrouvait à être hébergé dans l’appartement de Georges Moustaki. Chez Bernadette signe vraiment le début de la carrière de Coluche, jusqu’à son nom de scène lui-même : ce serait elle, la première, qui lui aurait donné ce nom. Plongeur d’un côté puis comédien le soir dans d’autres cabarets, rue de Seine ou rue Saint-Jacques, barman du cabaret La Méthode rue Descartes puis régisseur, Coluche vivote. Jusqu’à une autre rencontre : celle avec le Café de la Gare.

C’est l’histoire d’un lieu…


Juin 1969, quartier Montparnasse. Les pavés ont été battus un an lors de la célèbre révolte de Mai 68 un an plus tôt et chacun l’a fait à sa manière : dans la rue, avec les armes ou dans les arts. À Paris règne une atmosphère étonnante : un sentiment de liberté, une certaine insolence, une saveur d’impertinence. Certains en deviennent rapidement ses représentants.
Le 12 juin 1969, rue d’Odessa, ils sont nombreux à cofonder un café-théâtre dans une fabrique de ventilateurs. Coluche et son ami Romain Bouteille, lui aussi comédien, humoriste et auteur de théâtre, en font partie. Son nom ? Le Café de la Gare. Son but ? Sortir des cabarets où « le bonhomme est tout seul » et où « il n’y a pas de troupe », se remémore Romain Bouteille quelques années plus tard sur BFMTV. Ici, quelle troupe… Miou-Miou, Patrick Dewaere, Sotha et tant d’autres foulent cette scène face à 180 places. Avec une ambition : « On voulait faire quelque chose de complètement différent. On a fait un théâtre politique – si on peut appeler politique ce qui est libertaire et anarchiste », explique Romain Bouteille.

Ensemble, ils montent une sorte de village, avec ses règles, ses lois et ses usages : « un groupe déhiérarchisé, rappelle Romain Bouteille, avec le partage équivalent de tout bénéfice éventuel. » Et des méthodes bien à lui : un tirage au sort à l’entrée pour connaître le prix de sa place, du vin à l’entracte, des textes burlesques, souvent improvisés, des invitations impromptues… L’impertinence fonctionne, le concept étonne, le public comme la presse s’en rapprochent.

Miou-Miou devient la compagne de Coluche. Le reste de la troupe, comme ceux qui l'intègrent ici et là, ses amis. Il a alors vingt-trois ans. Là-bas, c’est la débrouille. Un peu comme vivre d’amour et d’eau fraîche mais clairement sans le sou. Romain Bouteille raconte d’ailleurs à Télérama que l’arrivée de Coluche dans la troupe avait été presque évidente : « On n’avait pas un rond mais Coluche était un voyou. Il volait des outils dans les magasins. » On ne se refait pas, diront certains…
​​​​​​​Sauf que le caractère de Coluche n’est pas le plus sobre, dans tous les sens du terme. L’histoire entre Coluche et le Café de la Gare s’étiole en deux ans. Parfois violent, problématique, son rapport à l’alcool ne lui réussit pas et il finit par quitter la troupe.
Restent de cette période rue d’Odessa de profondes amitiés, des amours et un goût plus que certain pour la comédie, pourvu qu’elle soit irrévérencieuse. Coluche fonde alors, en 1971, Le Vrai Chic parisien, son propre café-théâtre. Il l’installe à la même place que le Café de la Gare, qui a déménagé entre-temps rue du Temple. Pendant plusieurs années, il affine son style, ses textes comme sa posture. Jusqu’à devenir ce Coluche inoubliable, à la salopette rayée et aux lunettes rondes.

« Toujours grossier, jamais vulgaire »


« C’est l’histoire d’un mec qui est sur le pont de l’Alma… Et qui regarde dans l’eau. » Avec « L’histoire d’un mec », son premier sketch, Coluche s’amuse de la difficulté de faire des sketchs, justement. Avec celui-ci, il connaît son premier succès populaire et national, en 1974.

Loin de se contenter du Vrai Chic parisien, Coluche enchaîne alors les one-man-shows dans différentes salles de France ou de Belgique, jusqu’à se produire le 18 février 1975 dans la prestigieuse salle de L’Olympia. Quelques semaines plus tard, Coluche remplit son acte d’adhésion aux statuts de la Sacem en ses qualités d’auteur.

Coluche est alors facilement reconnaissable, grâce à l’une de ses marques de fabrique : son look. Une salopette de fermier, un tee-shirt jaune, un nez rouge… Et on le voit : fort de son succès sur les planches, il intéresse aussi le monde de la télévision comme de la radio, d’abord aux côtés de Jean-Claude Brialy puis de Guy Lux. C’est avec ce dernier qu’il parodie une émission de télévision dans un sketch inspiré de Pierre Dac, « Le Schmilblick ».
​​​​​​​Survient alors l’un de ses personnages phares : Papy Mougeot. On retrouve ensuite Coluche sur Europe 1, puis RMC… Sur chacune de ces antennes il se fait réprimander voire licencier pour son humour provocateur et parfois indélicat. Il faut dire que Coluche revendique d’être « toujours grossier, jamais vulgaire », une phrase qu’il clame souvent.
Parallèlement, il commence une carrière de comédien et de réalisateur. En tant qu’acteur, il joue dans une dizaine de films. Des comédies, bien sûr, mais aussi des drames, à l’image de Tchao Pantin. Mais on lui doit aussi le film Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, qu’il réalise à la fin des années 1970. Toujours avec son ton d’agitateur, il y met en scène des mousquetaires qui font la collecte de l’impôt et abusent de leurs pouvoirs. À la musique, on trouve Vladimir Cosma ou encore Serge Gainsbourg.

Mais Coluche n’est pas qu’un humoriste, un musicien, un réalisateur, un comédien. C’est aussi quelqu’un avec ses failles, ses addictions et ses affres. Parmi elles, le suicide de son ami Patrick Dewaere. Le comédien s’est donné la mort le 16 juillet 1982 après que son épouse a rejoint Coluche en Guadeloupe. L’arme utilisée avait été offerte par Coluche lui-même…
À cette période, l’humoriste connaît une période noire – dépression, problèmes de drogue et d’alcool. Il commence même à être mis à l’écart du système médiatique. Cependant, il ne tourne pas le dos à ses engagements, ni à son humour devenu politique lorsqu’en 1980, il décide de se présenter à l’élection présidentielle. Son slogan ? « Jusqu’à présent, la France était coupée en deux, avec moi elle sera pliée en quatre ! » « Mon argument principal sera ne pas être élu », confie-t-il au journal Le Monde. Pourtant, dès l’année suivante, il est crédité de plus de 10 % d’intentions de vote. C’est tellement sérieux qu’il en inquiète la sphère politique. Rapidement cependant, à la suite de menaces et de pressions, Coluche décide de se retirer : « Je préfère que ma candidature s’arrête parce qu’elle commence à me gonfler », clamera-t-il.

Ce qui ne le « gonfle » pas, c’est visiblement son engagement. Comme lorsqu’en mars 1985 il chante aux côtés d’autres artistes la chanson « SOS Éthiopie ». Il continue aussi la musique, en écrit pour les autres, comme son ami Renaud. Surtout, il donne naissance à son projet le plus important : Les Restos du Cœur. « C’est pas vraiment de ma faute si y en a qui ont faim. Mais ça le deviendrait si on y changeait rien. » Au milieu des années 1980, Coluche s’émeut à la radio des conditions de vie de nombreux Français et s’indigne du gaspillage alimentaire. En 1985, il décide de créer l’association Les Restos du Cœur. Son ambition initiale : offrir une aide alimentaire aux personnes dans le besoin. L’année de son lancement, plus de 8 millions de repas sont distribués. Aujourd’hui encore, Coluche en est l’égérie. Sa signature, aussi. Tout comme « La chanson des Restos », écrite par Jean-Jacques Goldman et interprétée par Coluche. À sa sortie, elle s’est vendue à plus de 500 000 exemplaires et a permis de financer les débuts de l’association.

Sans qu’il puisse le savoir, les Restos du Cœur seront l’un des derniers faits d’armes de Coluche. Le 19 juin 1986, l’humoriste engagé rentre de Cannes sur sa moto, lui qui est passionné de ces bécanes. Avec elle, il roule sur la départementale 3, cette route qui parcourt les Alpes-Maritimes. Aux alentours de 16 h 30, un camion se met sur son passage. Sa tête heurte alors le véhicule, le tuant sur le coup. Le pays est sous le choc. De nombreuses personnalités se rendent à son inhumation le 24 juin 1986 au cimetière de Montrouge. Son ami Renaud lui écrira même une chanson, « Putain de camion » : « Putain, j’ai la rage contre ce virage », chante-t-il.

Humaniste, humoriste, provocateur, chanteur, Coluche laisse derrière lui un héritage considérable, encore pris en exemple aujourd’hui.