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Maurice Ravel, un monument du XXe siècle naissant


Un « horloger suisse » pour Stravinsky, un Basque influencé par une Espagne rêvée pour d’autres, Maurice Ravel reste une figure musicale majeure du XXe siècle.
L’œuvre du compositeur du Boléro, né il y a cent cinquante ans, est le reflet d’une modernité en éclosion.

© Heritage Images/Aurimages

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Un Basque à Paris


Né le 7 mars 1875 à Ciboure, commune proche de Saint-Jean-de-Luz (Basses-Pyrénées), Maurice Ravel tire ses origines d’une mère bascophone, Marie Delouart (1840-1917), dont la famille était implantée dans ce village de pêcheurs depuis des générations. « Ma mère, dira Ravel, m’endormait en me chantant des guajiras. Peut-être par atavisme, je suis très attiré par l’Espagne et la musique espagnole. »

Il grandit à Paris où son père, Pierre-Joseph Ravel (1832-1908), un ingénieur suisse réputé, emmène vivre sa famille quelques mois après sa naissance. Pas étonnant, dès lors, qu’Igor Stravinsky ait utilisé la métaphore de l’« horloger suisse » pour définir le style minutieux du futur compositeur.

Admiration et polémique


L’enfant se met au piano à sept ans et impressionne déjà ses professeurs. De 1889 à 1895, il suit des cours de piano et d’harmonie au Conservatoire de Paris. À l’instar de Nadia Boulanger, Florent Schmitt ou Charles Koechlin, il entre au cours de composition de Gabriel Fauré en 1898. Son maître le pousse à se présenter au prestigieux prix de Rome. Obtenant le second prix en 1901 pour sa cantate Myrrha, il échoue ensuite à quatre reprises devant un jury réfractaire à son style peu académique. La polémique enfle et la presse s’empare de « l’affaire Ravel ». Résultat : sa popularité augmente.

Durant cette période, il peaufine l’écriture de pièces pour piano. Dédiée à la princesse de Polignac, une mécène d’origine américaine, Pavane pour une infante défunte est créée en 1902 par le pianiste Ricardo Viñes, son ami du Conservatoire. Autre signe d’aboutissement, la reprise telle quelle de l’une de ses premières compositions, Habanera, intégrée à Rapsodie espagnole, sa première œuvre orchestrale majeure composée en 1907, un an avant Ibéria de Claude Debussy (1862-1918).

1900 – 1918 : la grande période et la « Grande Guerre »


Les deux « impressionistes » partagent donc un même imaginaire espagnol et s’estiment. En 1902, Debussy écrit à Ravel : « Monsieur, au nom des Dieux de la musique et au mien, ne changez pas une seule note de votre quatuor [à cordes]. » L’admiration se transforme pourtant en rivalité mimétique, puis un froid s’installe à partir de 1905 entre les deux hommes.

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, Maurice Ravel se montre très prolifique. Tandis que la plupart de ses contemporains mettent en musique des poèmes symbolistes ou romantiques, lui se prête à l’exercice du recueil de mélodies avec Histoires naturelles, d’après Jules Renard. Puis il aboutit à son grand chef-d’œuvre pianistique Gaspard de la nuit (1908), inspiré du recueil de poèmes d’Aloysius Bertrand.

Durant les années suivantes, son travail entre dans l’univers de la danse. En 1912, le ballet Daphnis et Chloé est créé au Châtelet, en collaboration avec Diaghilev et les Ballets russes. L’arrangement pour piano à quatre mains sera confié à l’organiste et compositeur Léon Roques. Suivra notamment La Valse, poème chorégraphique achevé en 1920, huit ans avant le Boléro.

Alors que la Grande Guerre fait rage, Ravel, réformé, n’a pourtant qu’une idée en tête : s’engager. En 1916, mobilisé près de Verdun, il est admis à la Sacem sans examen. L’année suivante, la disparition de sa mère le plonge dans le désespoir. Il achève Le Tombeau de Couperin en hommage à ses camarades tombés au front. Le titre de cette suite de six pièces reprend le terme usité au xviie siècle pour désigner un hommage musical. Elle est dédiée à l’organiste et claveciniste François Couperin (1668-1733).

1918 – 1932 : vers la consécration


1918 est aussi marquée par la disparition de Claude Debussy. Ravel est désormais considéré comme le plus grand compositeur français vivant. Cela ne l’empêche pas de refuser la Légion d’honneur en 1920. L’année suivante, l’artiste trouve la tranquillité au « Belvédère », étrange propriété acquise à Montfort-l’Amaury (Seine-et-Oise).

Le Boléro amorce le tournant vers le « dépouillement extrême ». Avec son crescendo continu et son rythme obsessionnel, il préfigure la musique répétitive. D’abord intitulé Fandango, ce qui ne devait être qu’une étude d’orchestration devient un ballet composé à la demande de la danseuse et chorégraphe Ida Rubinstein et créé en 1928 à l’Opéra Garnier, puis un tube joué dans le monde toutes les quinze minutes. « Mon chef-d’œuvre ? Le Boléro, bien sûr. Malheureusement il est vide de toute musique », écrit le compositeur, provocateur.

Au faîte de sa gloire, l’artiste s’embarque début 1928 pour une tournée nord-américaine triomphale. Saluant le travail de George Gershwin et fréquentant les clubs de Harlem, il enjoint les Américains à reconnaître le jazz comme « la musique nationale des États-Unis ». De 1929 à 1931, il compose ses deux dernières œuvres majeures, combinant forme classique et style moderne emprunté au jazz : au Concerto pour la main gauche répond le Concerto en sol.

Une fin de vie marquée par la maladie


La même année, Maurice Ravel est victime d’un grave accident de voiture. Il développe ensuite une maladie dégénérative qui s’aggrave en quelques mois : une atrophie cérébrale circonscrite. Si ses facultés intellectuelles restent intactes, l’homme ne peut plus écrire, ni jouer.

En décembre 1937, il subit une chirurgie visant à traiter une tumeur cérébrale suspectée. Il y survit quelques jours avant de tomber dans un coma définitif. Le 28 décembre 1937, alors que son élève Manuel Rosenthal dirige sa fantaisie lyrique L’Enfant et les sortilèges, Maurice Ravel s’éteint à l’âge de soixante-deux ans.