exposition
Sommaire
De la Ville rose au barnum montmartrois
De Jean-Michel Arnaud à Michel Legrand
Quand le jazz est là, Nougaro ne s’en va pas
À lire aussi...
Avec Claude Nougaro, le jazz et la java ne sont jamais partis. Claude Nougaro « au cœur qui bat dans sa candeur », comme il l’écrit dans une archive de la collection personnelle de sa famille, a adhéré à la Sacem le 25 mai 1955 en tant qu’auteur et le 7 janvier 1970 en tant que compositeur.
Sur sa photo d’identité transmise à son inscription à la Sacem, il a ce regard malicieux, un brin espiègle. Il fait partie de ceux dont les sourires discrets en disent long. Le chanteur, poète et musicien, lui, s’évade et se livre grâce à ses chansons.
La chanson
Celle qui fait sa place au soleil
Dans l’ombre de nos cœurs
Et que rien n’effarouche
Consulter l'intégralité des archives Sacem de Claude Nougaro
Photo ci-dessus : (c) Patrick Ullmann / Roger-Viollet
Car la chanson, c’est « celle qui rêve ». Et Claude Nougaro a la musique chevillée au corps.
Fils du chanteur d’opéra et baryton Pierre Nougaro et d’une professeure de piano italienne, Liette Tellini, Claude Nougaro naît à Toulouse le 9 septembre 1929 et ne peut qu'avoir un appétit inné pour la culture. À la maison, il affûte ses oreilles grâce à « l’inestimable trésor » que ses parents lui donnent, « celui de l’opéra italien », se remémore-t-il sur les ondes de France Musique en 1976. Nougaro traîne dans les coulisses des Opéras, voit son père « mourir » plusieurs fois sur scène en costumes somptueux… mais tout ça a un prix : des parents absents, la plupart du temps en tournée. C’est auprès de ses grands-parents que Claude grandit, dans le quartier populaire des Minimes au nord du centre-ville de Toulouse. Loin des bruits de la ville, enfermé entre les murs d’une vie corsetée, l’adolescent est agressif, symptôme d’un profond malaise. À part les cours de français, rien ne l’intéresse. En trois ans, il change trois fois de collège, échoue aussi au baccalauréat.
De son service militaire au Maroc, il lui reste en principal souvenir les mois passés au cachot à cause de sa conduite. « Je ne suis pas un révolutionnaire, je suis un révolté », dit-il de lui. Son goût pour la révolte, contre les injustices, a au moins le mérite de lui faire écrire plus tard, en 1968, l’un de ses plus grands succès, la chanson Paris mai, la capitale vivant alors d’importantes manifestations. Il ne se laisse pas faire, Claude. D’autant qu’il sait déjà ce qui l’anime : l’art des mots. Pas étonnant, donc, qu’il commence par entamer des études pour devenir journaliste.
Enfant comme adulte, Claude Nougaro est cet indocile au grand cœur. De cette jeunesse lui reste une odeur, le lait caillé de sa grand-mère, et surtout des sons, ceux de la radio. C’est grâce à elle qu’il aiguise son amour pour le jazz.
« La chanson est précisément un nouvel art d’expression où la poésie reprendra ses droits à travers le rythme et la musique », dépeint Nougaro dans l’émission Discorama en mars 1968.
Lui, c’est par le jazz qu’il y est entré. Après le lyrisme, ses goûts musicaux se développent grâce à Glenn Miller, Louis Armstrong, Édith Piaf et d’autres qui résonnent dans le poste.
Tous affûtent ses goûts, polissent ses oreilles. Surtout, ils donnent du rythme à ses mots. Ce n’est pas pour rien qu’il se qualifie de « mot-sicien ». Les mots sont pour lui un instrument à part entière, ils vernissent les notes, subliment les sons. Mais c’est plus tard qu’il découvre leur puissance.
1950, avenue des Ternes, 17e arrondissement de Paris. Claude Nougaro, tout juste âgé de vingt et un ans, rejoint ses parents qui y ont déménagé. S’il demeure un digne porte-parole de la Ville rose (« Parfois au fond de moi se ranime / L’eau verte du canal du Midi / Et la brique rouge des Minimes », chante-t-il dans Toulouse, déposée à la Sacem le 23 juin 1967), reste que Claude Nougaro est le plus parisien des Toulousains. Véritable amoureux de la capitale, il s’imprègne de son odeur comme de son barnum, de sa liberté comme de ses couleurs.
Port étincelant, où débarquaient
Tous les marins de l’âme,
J’accourus vers toi, Paris !
L’amour du jazz en bandoulière, les mots pour seule arme, c’est à Paris que tout commence. Surtout dans une maison en pierre du XIXe siècle, rouge orangé, en plein cœur de Montmartre. Sur la devanture, un nom : Au Lapin Agile, un cabaret où son père se rend souvent. Là-bas, l’atmosphère est bohème, le public, éclectique. En 1954, Claude Nougaro frappe à la porte d’entrée pudiquement pour y réciter ses poèmes. Ces soirées montmartroises lui offrent l'occasion de tester son répertoire, d'expérimenter et de se nourrir des influences qui émanent de ce chaleureux cabaret.
Le Lapin Agile et avec lui Paris deviennent aussi le lieu de toutes les rencontres. Celles, éphémères ou éternelles, qui donnent de la matière aux poèmes comme celles, professionnelles, qui façonnent la légende Claude Nougaro et qui lui feront dire plus tard : « J’ai mis ma vie dans ma voix. »
Une première rencontre marque sa vie. Personnellement, celle avec sa femme Sylvie, hôtesse au Lapin Agile. Musicalement, celle avec le pianiste et compositeur Jean-Michel Arnaud. Avec lui, il compose des dizaines de chansons. Claude Nougaro n’est plus ce jeune adulte qui frappe timidement à la porte d’entrée des cabarets mais est désormais capable d’écrire des chansons pour les autres : la comédienne Odette Laure, l’actrice Lucette Raillat, comme le chanteur et acteur Marcel Amont, qui lui doit Le barbier de Séville et Le balayeur du roi.
Il envoie même ses textes à Marguerite Monnot, la compositrice d’Édith Piaf. Cette dernière laisse l’interprétation à son mari Paul Péri, mais le rencontre plusieurs années plus tard. Alors qu’il écoutait la Môme dans le poste lorsqu’il était enfant, voilà qu’il entre presque dans ses sphères. Nous y sommes : le 25 mai 1955, un an seulement après son arrivée au Lapin Agile, Claude Nougaro adhère à la Sacem en sa qualité d’auteur : « Je soussigné, Nougaro Claude, né à Toulouse (Hte Garonne) le 9 septembre 1929 exerçant la profession de parolier-interprète ».
Dans une interview pour Radio Monte-Carlo, Marcel Amont se souvient : « Assez vite j’avais repéré qu’il ne rêvait que d’une chose, c’est de chanter pour son propre compte. » Pour ça, il attend l’année 1957 et notamment sa rencontre avec l’un des plus grands musiciens et compositeurs, Michel Legrand, immédiatement séduit par la poésie et l’originalité des textes de Nougaro. De son côté, Nougaro admire les capacités d’arrangeur et la sensibilité musicale de Legrand. C’est le début d’une amitié fructueuse, teintée de respect mutuel. Boris Vian, Jimmy Walter… il s’entoure des plus grands. Surtout, il ose enfin sortir ses propres disques.
1958, 33 tours, label Président. Le public découvre pour la première fois Claude Nougaro avec son disque Il y avait une ville. À la composition, on retrouve Jimmy Walter et Michel Legrand. Henri Salvador en signe la préface. S’il n’a pas d’affection particulière pour ce disque – qu’il juge trop juvénile –, Claude Nougaro est cependant lancé. Avec lui, il fait les premières parties d’une certaine Dalida. Mais il faut attendre l’année 1962 pour qu’il connaisse un succès grandissant avec ce qui est devenu un classique de la chanson française : son album Le Cinéma, préfacé par son ami, l’écrivain et poète Jacques Audiberti.
« Je ne suis pas un jazzman. Je suis un chanteur de langue française, un chanteur à textes qui chante un peu en rythme », déclame Claude Nougaro. Pourtant, il est clair que le jazz fait partie intégrante de sa vie musicale et, avec lui, laisse une place indélébile dans la chanson française. Surtout, il lui permet de rendre son écriture « percussive ». Le jazz rythme ses mots. La preuve en est l’un de ses premiers succès : la chanson Le jazz et la java, déposée à la Sacem le 5 avril 1962. Alors que le public s’anime autour du twist, lui marque la différence avec ses chansons. Don Juan, Le cinéma, Les mines de charbon… Avec Michel Legrand et Eddy Louiss à l’orgue, il transforme les mots en percussions, le jazz en chanson française. L’un de ses succès les plus importants advient en 1963 avec Cécile, ma fille, dédiée à la sienne, celle qu’il a eu avec sa femme, Sylvie. Élégant, poétique et sensible, ce titre écrit avec le compositeur Jacques Datin est aujourd’hui un classique de la chanson française.
Fini le Lapin Agile et ses planches, place aux plus prestigieuses salles de spectacles. Tout juste revenu d’un voyage au Brésil – marqué, aussi, par un accident de voiture qui l’immobilise pendant plusieurs mois en 1963 –, il se produit, à l’Olympia comme au Théâtre de la Ville à Paris.
Claude Nougaro est alors décrit comme une « bête de scène », un artiste intarissable d’énergie, le rythme pour cadeau, les mots comme offrande. Il s’imprègne de tout. De son voyage au Brésil, il rapporte des influences comme Bidonville, une adaptation de la chanson Berimbau de Baden Powell et Vinícius de Moraes. O que será de Chico Buarque devient le grand classique Tu verras. Toujours le jazz au cœur, il s’entoure des plus grands : Richard Galliano, Marcus Miller, Michel Colombier… De ses amours adolescentes entendues dans le poste de radio il fait aussi une chanson Armstrong, hommage au célèbre chanteur et trompettiste.
Chante pour moi, Louis, oh oui
Chante, chante, chante, ça tient chaud
En vingt ans, Claude Nougaro s’inscrit dans la digne lignée des plus grands artistes français de tous les temps. Jusqu’à avoir besoin de s’en extraire un peu, pour mieux revenir. L’année 1986 marque son départ pour New York, ses buildings et ses couleurs. Sur place, il écrit et enregistre ce qui devient un album resté mythique, Nougayork, plus rock, grâce auquel il reçoit deux ans plus tard le prix du meilleur album aux Victoires de la musique comme celui de meilleur artiste interprète masculin. Après des décennies de carrière, 20 albums, Claude Nougaro n’a pas pu voir l’engouement suscité par son dernier opus. Emporté par un cancer, il s’éteint le 4 mars 2004.
« Je me sers de la vie pour écrire, et de l’écriture pour vivre », clamait-il. Claude Nougaro, « grand paumé de la vie », amoureux des lettres et de leurs pouvoirs, le rythme en bandoulière pour contrer les injustices du monde, a marqué la grande histoire de la musique.
Après avoir adhéré à la Sacem en tant qu’auteur le 25 mai 1955, puis en tant que compositeur le 7 janvier 1970, il est devenu sociétaire définitif le 7 avril 1965.