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Hommage
Jean Musy, la musique à fleur de cœur

L’arrangeur, compositeur, pianiste avait mille cordes à son arc. Il a été cinq décennies durant le « metteur en scène » du champ musical français. Sans préjugés de styles, mais avec le sien.

Curieux et fin gourmet, Jean Musy a exploré tout au long de sa carrière des registres allant de la chanson aux musiques pour l’image et aux musiques instrumentales de tous types. Son talent est prolifique : plus d’un millier de 45 tours, 150 albums et 200 musiques de film et séries télévisées portent sa griffe. Admis à la Sacem en tant que compositeur le 27 mai 1966, devenu Sociétaire définitif en 1979, Jean Musy s’est éteint le 26 avril 2024 à l’âge de 76 ans.

Fils d’un imprimeur de la banlieue ouest de Paris, Jean Musy fut un touche-à-tout passionné et précis, un homme empathique, qui portait barbe blanche et cheveux mi-longs. Son destin est chanceux. Né le 18 décembre 1947, il a trois ans quand ses voisins déposent sur son palier un piano dont ils n’avaient pas l’usage. En gardant le piano et l’enfant à la maison, sa mère, espagnole, ouvre la voie à un talent précoce. Echappant à l’école maternelle au profit du piano, il a sept ans lorsque Jean Nohain, animateur et parolier, séduit par sa précocité, l’invite à accompagner chaque jeudi des artistes sur Radio Luxembourg, en direct du Théâtre Daunou – les vedettes d’alors s’appellent Robert Lamoureux, John William, André Claveau.

Autodidacte, Jean Musy étudie Chopin, gagne le concours Leopold Bellan en interprétant La valse de l’adieu, Opus N°1 en la bémol majeur. Au lycée, il découvre le jazz, l’orgue Hammond, Bud Powel et Eroll Gardner. Un des clients de l’imprimerie familiale, Paul de Roubaix, est le père du futur compositeur François de Roubaix, alors bassiste. Jean a une quinzaine d’années quand il les rejoint un soir au Caveau de la Huchette. De Roubaix lui propose de faire un bœuf. « On a joué Fats Waller », racontait, ému, l’ex jeune prodige à Serge Elhaïk, auteur du livre Les arrangeurs de la chanson française.

Puis, avec le batteur Pierre-Alain Dahan et le guitariste et arrangeur Mickey Baker, Jean Musy fait son entrée au royaume de la chanson française. Mickey Baker lui présente Nino Ferrer. Il l’accompagne pendant un an, et enregistre avec lui Je voudrais être noir. Il a à peine vingt ans lorsque Joe Dassin, dont il est pianiste et chef d’orchestre, lui confie à l’arraché les arrangements de la chanson Les Champs Elysées. C’est le début d’une impressionnante série de collaborations avec les plus grands artistes : du groupe Il était une fois (J’ai encore rêvé d’elle) à Dick Annegarn (Bruxelles), de Barbara (Les amours incestueuses) à Nicole Croisille (Une femme avec toi, Parlez-moi de lui), en passant par Véronique Sanson (Vancouver), Yves Duteil (Prendre un enfant par la main), Nicolas Peyrac (So Far Way From L.A.), Charles Aznavour (Une vie d’amour), Michel Jonasz (Je voulais te dire que je t’attends) et tant d’autres.

« Une chanson, c’est essentiellement dans la tête », disait Jean Musy, attaché à susciter ces fugaces « instants d’émotion » qui créent « une lumière incroyable ». Le piano, poursuivait-il, « ça se caresse, c’est très sensuel ». Il définissait son style par sa faculté à ne rien prévoir « Je laisse le chanteur agir, on l’accompagne avec son cœur, on écoute sa respiration ». Autodidacte, Jean Musy devait son savoir-faire selon lui à l’étude en solitaire du Traité d'instrumentation et d'orchestration d’Hector Berlioz que lui avait offert le chef d’orchestre et compositeur Jacques Danjean. En 1977, il rencontre le compositeur Francis Lai et réalise les arrangements de ses musiques de films (Bilitis, Les uns et les autres, etc.).

Dès lors, Jean Musy passe au cinéma. Il compose les B.O. de Noce blanche de Jean-Claude Brisseau, Papy fait de la résistance de Jean-Marie Poiré, Vanille fraise de Gérard Oury, Le Voleur d'arc-en-ciel d’Alejandro Jodorowsky, Clair de femme de Costa-Gavras, Mariage de Claude Lelouche… En 2016, Jean Musy est honoré du Grand Prix Sacem de la musique pour l'image, puis en 2017, le Prix UCMF « audiovisuel » pour Mon frère bien-aimé, le téléfilm de Denis Malleval. Dans les années 2000, avec la chanteuse Anne-Marie David, il est à l’origine d’une création originale Mon cinéma sans image, et il compose sur des textes de Stefan Zweig et Rainer Maria Rilke, qu’il lit lui-même. En 2019, il écrit un oratorio Edmund, la légende d’un roi, l’histoire d’un souverain né en 831, couronné à 14 ans et trépassé sous la main des Vikings. « La musique, c’est tellement simple, il faut la voir comme ça. Tout est mélodie, tout, dans la nature. Ce qui est important, c’est ce qui se passe derrière », qui se construit avec amour et sympathie. Faute de quoi on rate sa vie, disait ce grand couturier de la musique.

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"Jean, Jean la Musique, Jean, la douceur qui charme, Jean, la douleur qui chante. Pourquoi t'être éloigné mon ami ? On a tant besoin de gens comme toi, Jean, de cette vraie tendresse humaine que tes notes transformaient en harmonie. Certains sont virtuoses du paraître, toi, de tout ton être, tu as été un magicien de la vérité. Merci pour tout ce que nous laisses, de musique, de passion et d'humanité." Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem.

Photo d'entrée : Jean Musy, Grands Prix Sacem 2016 (c)Nicolas Krief